Les fruits de la passion

On est mardi, mon réveil sonne. Il est 10 heures du matin, année sabbatique oblige. En cette journée du 30 janvier 2001, mon seul véritable objectif de la journée est le match de ce soir en terre ennemie. Bientôt sept ans et un match en finale de championnat de LNB contre Rapperswil-Jona que je suis atteint de cette drogue nommé LSD, pardon LHC.

Depuis lors, une promotion et une relégation éclair plus tard, j’ai ce club dans la peau. Durant cette période, un match du Lausanne Hockey Club à domicile avait mon entière priorité dans mon agenda surchargé d’étudiant, aux dépens – souvent – d’une soirée en amoureux au resto ou au cinéma… C’est grave docteur ? Un peu oui, surtout quand en rentrant à la maison dans mon lit (seul évidemment), les seuls choses qui résonnent de manière sourde dans ma tête sont des «encore plus fort !» ou des «tous unis sous les mêmes couleurs chantent le virage avec ferveur…». Madame Corthésy, le diagnostique est clair : «votre fils est atteint de ©passion, aucune guérison possible, je suis désolé».Il est déjà midi et je déjeune en dévorant les articles d’avant-match des journaux locaux, goûtant aux dernières provocations sur les forums et me remémorant les 3 belles dernières victoires (sur 3) cette saison contre l’ennemi lémanique, le Genève-Servette de Paul-André Cadieux. Les Genevois ont pourtant de grandes ambitions cette saison, à la hauteur de leurs énormes gueules élastiques, depuis que le groupe américain Anschutz a posé ses bagages au bout du Lac Léman. Mais les Grenats, toujours en course pour le titre de LNB, ont de la peine à battre leurs concurrents directs, malgré des Brasey, Heaphy, Beattie, Fedulov, Ançay ou encore Wicky (t’es con !). Le match de ce soir est donc capital pour la nouvelle franchise franco-américaine.

De son côté et contre toute attente, le LHC fait une belle saison. Et pourtant, rien ne présageait cette belle entame de championnat après que l’administrateur du club, Pierre Hegg, avait cassé des œufs au printemps dernier en signifiant Laporte à Benoît. Son licenciement m’était d’ailleurs resté en travers de la gorge car j’appréciais le «boxeur de Martigny». Quelques mois plus tard, l’omelette était finalement mangeable avec un Riccardo «Führer» administrant sa potion à de jeunes inconnus mais talentueux (Müller, Kamber, Orlandi & Plüss) et à un mercenaire à la feinte unique mais magique (Shamolin).
17 heures, je ne tiens déjà plus en place, j’emprunte la Toyota Corolla de mon vieux, j’embarque trois de mes amis aussi accros que moi et nous montons sur la cité de Calvin. On arrive tôt sur le parking d’Aligro aux Vernets. Il pleuvine. Mon cœur bat la chamade, je suis tendu comme une carpe. Après avoir essayé les gradins visiteurs de «Furiani» lors du premier match à Genève, nous avons décidé de vivre encore quelques années de plus et donc de choisir la «tribune de concert», tout en étant proche du kop lausannois. La patinoire est pleine et l’ambiance est surchauffée. Les Lausannois se sont déplacés en masse, près d’un millier, pour qu’enfin le record d’affluence des Vernets, vieux de vingt-sept ans, soit battu ! De rien.
Le premier tiers est fabuleux, un mano à mano où s’enchainent les buts et les actions de classe dans des arrière-gardes aux abonnées absentes. Ils sont marqués par le sceau de l’école russe avec un Igor Fedulov buteur à deux reprises qui a tenté de répondre à l’inarrêtable Dimitri Shamolin, auteur de quatre points. 4-3 pour le LHC après un premier vingt de feu où le public a eu de quoi s’enflammer. Malgré mes douze heures de sommeil, je suis littéralement épuisé, à force de passer par tous les états d’âme.
Le LHC prend à nouveau deux longueurs d’avance grâce à Orlandi (26e) mais, comme depuis le début de cette rencontre, GSHC par Reymond (pas le rédac’ chef de CR hein) répond du tac au tac deux minutes plus tard. Puis, les défenses redeviennent imperméables et tout se décidera après le deuxième thé. En début de troisième tiers, c’est le drame. En supériorité numérique, Fedulov trouve Heaphy qui remet les équipes à égalité : 5-5 ! Je suis tétanisé, les Aigles mettent une forte pression sur la cage lausannoise mais concèdent finalement une pénalité à huit minutes du gong final.

Le jeu de puissance du premier trio est en place. Poudrier pour Lapointe qui décale sur sa gauche Shamolin qui – comme d’habitude – pique au centre et marque d’un tire du poignet dans la lucarne. Un copié-collé des deux buts précédents. C’est l’hystérie générale, on se saute dessus et on se roule par terre sur les escaliers de la tribune au milieu de familles genevoises médusées, murmurant probablement à l’oreille de leurs progénitures «quelles bandes de sauvages ces pêcheurs» ! On n’en a cure (pour rester poli), on est dans notre monde, la drogue produit ses plus beaux effets. Lorsque la sirène finale retentit la riche franchise hamburger-frites boit de la vodka D’mitri bon marché jusqu’à la lie. Furiani est à deux doigts de tomber sur les «tous ensemble» mais résiste finalement, au terme de cette folle rencontre rythmée par 11 buts.
Certes, pas de titre de champion ce soir, ni de promotion – qui tombera quelques mois plus tard d’ailleurs – mais une incroyable émotion pour une quatrième victoire (ponctuée par un match de folie) contre le grand rival dont deux dans son hangar à bateaux. Cela n’a pas de prix.
Malgré toute l’eau qui a coulé sous les nombreux ponts lausannois et les nombreuses déceptions vécues depuis ce match jusqu’à aujourd’hui, les supporters atteints de ©passion seront toujours prêts à s’enflammer à nouveau. Et pour moi, dès mon retour de l’étranger fin février en Suisse. 

Genève-Servette – LHC 5-6 (3-4 1-1 1-1)

Les Vernets, 7069 spectateurs.
Arbitres : Mandioni ; Wehrli ; Wirth.
Buts : 2’49 Lapointe (Shamolin, Müller) 0-1; 4’21 Fedulov (Heaphy, Brasey/5c4) 1-1; 10’23 Shamolin (Poudrier/5c4) 1-2; 13’13 Müller (Shamolin, Benturqui) 1-3; 15’16 Fedulov (Folghera, Schoenenberger) 2-3; 18’27 Shamolin (Poudrier/5c4) 2-4; 18’45 Ancay (Leibzig, Wicky) 3-4; 25’44 Orlandi (Tschanz, Pluss) 3-5; 27’11 Reymond (Wicky, Leibzig) 4-5; 40’47 Heaphy (Fedulov, Brasey/5c4) 5-5; 53’02 Shamolin (Lapointe, Poudrier/5c4) 5-6;
Pénalités : 9×2′ contre Ge-Servette, 7×2′ contre Lausanne.
Genève-Servette : Marco Streit; Studer, Knecht; Bertholet, Brasey; Leibzig, Gull; Heaphy, Beattie, Fischer; Schoenenberger, Fedulov, Folghera; Ançay, Reymond, Wicky («t’es con»). Entraineur : Paul-André Gargamel.
Lausanne : Flavio Streit; Poudrier, Benturqui; Princi, M. Kamber; Tschanz, Cordero (si, si); Lapointe, Müller, Shamolin; Orlandi, Plüss, Bornand; Rocky Giove, Ledermann, Bieri; Meyer. Entraineur : Riccardo Furher.
Notes : Servette sans Schafer, Lausanne sans Schwéry ni 0. Kamber (tous blessés).

Écrit par Daniel Corthésy

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