100’000 Suisses à Dortmund. Et moi et moi et moi…

Nous sommes en juin 2006, la canicule s’est installée sur l’Europe et la Coupe du Monde bat son plein dans un vrai pays de football, l’Allemagne. En Suisse, la Nati-mania s’est emparée du pays depuis une campagne de qualification héroïque, menée avec panache du Parc Saint-Jacques à Istanbul. On vibre aux exploits d’une génération de jeunes joueurs charismatiques et d’un entraîneur populaire. Le summum de cette épopée est atteint ce 19 juin 2006 dans la Mecque du ballon rond. Comme 99’999 de mes compatriotes, j’y étais !

Après un match nul sans relief contre des Bleus fatigués, emmenés par un Zinedine Zidane méconnaissable, la Suisse affronte le Togo avec quelques regrets. Oui, des regrets de n’avoir pas battu la France de l’affreux Domenech pour un exploit retentissant. On se rappelle encore de la main d’Alex Frei à la dernière minute qui avait empêché Johan Djourou de placer un coup de tête certainement victorieux. L’auteur du fameux crachat contre Gerrard en 2004 est de nouveau vivement critiqué au pays ; à raison ou à tort, me diras-tu.    C’est donc le Togo qui se présente sur la route des «héros d’Istanbul», ceux qui étaient revenus de l’enfer de Şükrü Saracoğlu avec la qualification en poche, et accessoirement une couille en moins. Comme bon nombre de mes compatriotes, je suis épris de cette équipe de Suisse et veux à tout prix assister à une rencontre de cette Coupe du Monde germanique. Mon choix se porte donc sur ce Suisse – Togo au mythique Westfalenstadion de Dortmund, le lundi 19 juin à 15 heures 30, et c’est sur Anibis.ch que je trouve mon bonheur. Au contraire de quelques arnaques ou surenchères à la limite de l’acceptable, le billet est vendu quasiment au même prix. Mais le vendeur me prévient : «Tes deux billets seront placés au rang 1, à l’opposé de la tribune réservée aux fans suisses.» Qu’à cela ne tienne, j’achète les deux sésames et propose à mon ami Jean-Ephrem, patron du Standard Café et grand fan de la Nati devant l’éternel, de m’accompagner. Et c’est parti pour une aventure qui sera gravée à tout jamais dans nos mémoires !

Graubünden 10 – Vaud 2

Le match étant programmé un lundi après-midi, nous décidons de partir dimanche matin afin d’arriver plus ou moins frais au stade, sans une nuit blanche dans le train. Départ de Lausanne vers 10h, arrivée à Bâle à 13h pour un ravitaillement en bières avant un long trajet jusqu’à Düsseldorf, où ma chaîne hôtelière m’avait offert une nuitée gratuite. Déjà bien chauds à la gare de Basel SBB, nous sommes alors agréablement surpris de voir que de nombreux fans suisses ont décidé de prendre la même option que nous. La gare est rouge de monde et les chants commencent déjà à partir. Ça promet ! En se dirigeant vers le train, nous nous rendons compte que nous avons des places numérotées et avons le secret espoir de tomber dans un «bon» wagon, celui rempli de supporters de la Nati plutôt que celui plein de retraités qui tapent le carton ou se racontent leur dernier week-end à la montagne. C’est un joyeux mélange des deux qui va se produire avec la présence d’une dizaine de fans des Grisons mais, aussi, par celle de personnes d’un certain âge.
Après 5 minutes, les présentations sont faites ; après 15 minutes, les Grisons nous offrent des Calanda tandis qu’on leur tend des Kronenbourg (ben non, on n’avait pas pris de Boxer…) ; après 30 minutes, les chants résonnent de partout ! Et ne stopperont pas une seconde jusqu’au changement de train à Cologne. Les Grisons reprennent nos chants en français et l’on fait de même en suisse allemand, avant d’entonner ensemble des «Schweizer Nati» qui feront trembler le wagon. Parmi les fans des Grisons se trouve un… ténor (si si !) dont la voix est la plus puissante qu’il m’ait été donné d’entendre. Les passagers comprendront vite leur désarroi, le contrôleur nous engueulera quelques fois mais il n’y aura rien à faire : c’est la Coupe du Monde et c’est la fête ! D’ailleurs, même s’il y aura quelques plaintes, les autres passagers seront particulièrement cléments, eux qui ne voulaient pas gâcher la joie de tous ces supporters venus envahir leur pays l’espace d’un mois. Le voyage passera comme un éclair, les accolades se succèderont et, déjà, ce déplacement devient mythique.

Hop Korea !

Arrivés à Düsseldorf en début de soirée, nous avons déjà toutes les peines à marcher droit. On décide tout de même de se rendre en ville, de s’enfiler une saucisse et de suivre Corée du Sud – France sur grand écran, l’autre match de notre groupe. On est dimanche soir mais l’ambiance en ville est incroyable : même si Düsseldorf n’accueille aucun match de ce Mondial, les rues sont pleines, tout le monde porte le maillot de son équipe préférée et on sent que la magie de la Coupe du Monde est omniprésente. Lorsque les Coréens égalisent contre les Bleus en fin de match, c’est une immense clameur qui parcoure la Fan Fest installée en ville : que ce soit les Allemands, Anglais, Suédois ou autres Polonais, ils sont tous pour la Corée du Sud ! Ou plutôt contre la France… La suite de la soirée sera festive avec un détour en boîte de nuit où de nombreuses personnes me donneront des tapes dans le dos, croyant que je suis coréen…

La marée rouge

Après une (très) courte nuit, c’est avec une énorme excitation que nous prenons le chemin de la gare pour embarquer pour Dortmund. Et c’est à partir de là que va débuter la marée rouge ! Des centaines de supporters helvétiques patientent sur le quai de la gare de Düsseldorf et, une fois dans le train, les fans de la Nati sont partout. Il est 10 heures du matin, les bières explosent les unes après les autres, les chants commencent à résonner. Encore une fois, les Allemands nous témoignent d’une grande hospitalité et ne manquent pas de nous encourager. L’arrivée en gare de Dortmund coïncide à une immense baffe. C’est simple : la ville est assiégée par les Suisses ! Les supporters helvétiques sont partout pour ce qui est – et restera pour longtemps – comme la plus grande transhumance de l’Histoire du sport suisse.
Tout au long du trajet entre la gare et le stade, un tapis rouge a été déployé. Nous le suivons religieusement et rêvons les yeux ouverts. Chaque deux mètres de ce tapis se trouvent un stand de bouffe, puis un stand de bière, et ainsi de suite jusqu’à l’arrivée devant le stade. Nous sommes plus de 100’000 dans les rues de Dortmund mais il faut moins de 10 secondes pour commander une bière ou une saucisse. L’Allemagne c’est magique, me dis-je.
En pénétrant dans le stade, on prend la deuxième baffe de la journée en apercevant le mur rouge en face de nous. Deux tribunes et demi sont entièrement occupées par des fans de la Nati. Seule la nôtre – la mythique Südtribune – est mixte avec des spectateurs neutres, quelques Togolais ici ou là et de nombreux Suisses qui, comme nous, n’ont pas réussi à trouver de sésames dans le bloc officiel. On y croise des potes, on y boit de la bière (avec alcool !) en attendant l’heure H. On y est et on se dit que merde, c’est quand même beau cet engouement pour unser Nati.

Au vu de ce qui précède, rien ne pouvait nous arriver ce jour-là. Enfin, à part l’annulation du match car les Togolais étaient alors en conflit avec leur Fédération et avaient menacé de ne pas se présenter sur la pelouse. Heureusement, un arrangement avait été trouvé au dernier moment. Bref, la Suisse devait gagner et l’a fait sans trembler, ou presque. On se rappelle juste qu’un pénalty en faveur du Togo avait été oublié en début de partie, avant qu’Alex Frei n’ouvre le score d’un coup de patte à bout portant et que Barnetta – en fin de match – inscrive le but de la sécurité dans une ambiance de grande kermesse. Un but important car il permettait à la Suisse de passer devant la Corée du Sud au goal-average et de pouvoir ainsi se satisfaire d’un match nul pour se qualifier en huitième de finale. Je dois t’avouer que, 6 ans après, je ne me souviens pas de grand-chose de ce match, sinon du bruit des 50’000 Helvètes lors des deux goals et de l’émotion au moment de l’hymne national. Jamais la Nati n’avait joué un match hors de ses frontières devant autant de ses fans, tandis que 50’000 autres compatriotes suivaient la rencontre sur les écrans géants au centre-ville. «Ce soir, on se prend une mine d’anthologie !», s’était-on dit à la sortie du stade. Comme la plupart de ceux qui avaient eu la chance d’assister à ce truc unique.
La suite de la journée ne fut que liesse, ivresse et bonheur dans une ville de Dortmund transformée en Fan Fest XXL. De rencontres en accolades, de chants en tournées, de retrouvailles avec nos potes grisons en théories en tous genres, nous étions juste contents d’être là, fiers d’avoir vécu de l’intérieur la ferveur et la folie de cette marée humaine rouge et blanche. Le retour en train le lendemain matin à 6h fut cadavérique, avant de reprendre nos forces pour la qualification face à la Corée du Sud, un vendredi soir de canicule, que l’on fêtera elle à Lausanne avec un bain de minuit dans la fontaine de la Palud. A poil et heureux !    

A propos Marco Reymond 470 Articles
Un p'tit shot ?

Commentaires Facebook

6 Commentaires

  1. Souvenirs, souvenirs! De lire ça m’a foutu la chair de poule 🙂
    Sur l’autoroute c’était aussi la marée rouge, des cars et des autos remplis de maillots à croix blanche. Une organisation fantastique, une nation tout entière qui soutient SA coupe du monde et un stade de 85’000 places acquis à la Suisse, que du bonheur!
    Merci de nous avoir fait revivre ce moment magique!

  2. @ Clash:

    Sauf erreur il n’y avait « que » 62’000 spectateurs à ce match car toutes les tribunes étaient en places assises, Coupe du monde oblige.

    Bravo à CR pour ce Calendrier de l’Avent qui nous a ravivé de beaux (ou moins beaux…) souvenirs avec passion et talent !

  3. Needed to compose you a litlte remark in order to give thanks the moment again considering the pleasant techniques you have discussed here. It was so seriously open-handed with people like you to convey unhampered precisely what a lot of folks might have advertised as an electronic book in making some money on their own, specifically given that you could possibly have done it in case you desired. Those principles as well acted like the good way to recognize that other individuals have the identical dream like my very own to figure out a litlte more on the topic of this condition. I believe there are thousands of more fun occasions up front for individuals that browse through your blog post.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.