La Bouffe du Lion

Dans le train spécial qui ramenait les supporters lausannois du Lido de Rapperswil en ce samedi d’avril 1994, les mines étaient déconfites. Outsider de cette finale de promotion en Ligue nationale A face aux artistes du Cirque Knie, les joueurs de Jean Lussier avaient créé la surprise en sortant leurs meilleurs amis du HC Martigny du vénéré René Grand, ils avaient ensuite réussi à arracher le droit de disputer un cinquième et dernier match dans cette finale, en terre saint-galloise. Une fois passée la déception de cette défaite aux portes de la gloire, les supporters des Lions passèrent l’été à espérer tant l’équipe construite pendant la trêve par le président Bertrand Jayet et son comité devait permettre de jouer à nouveau les premiers rôles et viser clairement la promotion.

près un début de saison poussif, avec trois défaites lors du premier tour, et malgré un incroyable 14-0 face à des souris soleuroises à la dérive, cette équipe va gentiment mettre son jeu en place et réaliser une brillante suite de championnat. Une défaite, un nul et seize victoires aux deuxième et troisième tours puis un grand chelem lors du quatrième, le LHC aborde les plays-offs en tête et en pleine confiance. Après un premier tour qui ne sera qu’une simple formalité face à ces fameuses souris d’Olten sans le sou, les Lions sortiront les tigres de Langnau en demis avec notamment un rocambolesque troisième match avec une bagarre générale d’anthologie et quatre pénalités de match côté lausannois et autant côté emmentalois. La finale tant attendue contre les Grasshoppers du mécène Emil Frey pouvait enfin commencer.
En s’imposant 6-3 à Malley lors du premier acte alors que les Lausannois menaient 2-0 fut une véritable douche froide pour une équipe peu habituée à la défaite cette saison. Heureusement, grâce à une solide performance défensive et un match héroïque de Beat Kindler devant la cage vaudoise, les joueurs de Jean Lussier parviennent à égaliser dans la série en s’imposant au Neudorf zurichois par 2 à 1 devant un bon millier de ses supporters malgré les 300 billets attribués aux Vaudois par l’hôte du jour. Vêtus de maillots de Thurgau ou du FCZ ou en soudoyant de simples passants qui avaient l’unique avantage de parler le dialecte local, tous les moyens furent bon pour obtenir l’un des précieux sésames. Seul bémol de la soirée, une sortie de patinoire houleuse pour les supporters rouges et blancs provoqués par des Deltas dont on commençait malheureusement à découvrir la bêtise, l’incompétence et la passion pour la violence gratuite. Bref, après quelques coups de tonfas bien sentis,  c’est tout de même avec la victoire en poche que le retour festif en car put se dérouler en ce samedi soir.

Vint alors le troisième acte de cette série, dans un CIGM blindé, chaud comme la braise et survolté. Poussés par ce public de feu, le LHC allait parfaitement maitriser son sujet et faire sauter le verrou défensif mis en place depuis le début de cette finale par Bruno Aegerter et ses joueurs, et l’emporter de brillante manière 5 à 2. A une victoire du sacre et de la promotion, c’est à nouveau à bloc qu’un bon millier de supporters lausannois prit la route de la capitale économique du pays. Menant 2-0 après 12 minutes de jeu, on se met à rêver d’une promotion dès ce 4ème match. Mails les Zurichois sont accrocheurs et reviennent dans la partie pour s’imposer finalement 5-4 dans une fin de partie complètement débridée. Le moral en berne mais pas anéantis pour autant, c’est dans le calme que s’effectue cette fois-ci la sortie de la patinoire et le retour sur Lausanne.
Enfin, retour sur Lausanne, pas pour tout le monde. En effet, une dizaine de supporters, dont votre rédacteur du jour, n’avait pas forcément réfléchi à ce scénario lorsque six mois auparavant on avait réservé le lendemain à 6 heures du matin un vol pour Budapest afin d’y aller suivre la Nati dans un match capital pour la qualification de la troupe de Roy Hodgson pour l’Euro 1996 en Angleterre. Après une courte nuit passée entre une célèbre brasserie du lieu et une discothèque improbable, le mémorable match nul obtenu par une Nati menée 2 à 0 grâce à deux réussites de derrière les fagots de Nestor Subiat en fin de partie, nous redonna des ailes et c’est vaillants qu’on se prépara à une deuxième nuit blanche consécutive avant notre vol de retour du lendemain matin. Après moult excès en tous genres, le retour fut pénible mais pas question de se laisser aller et de perdre la forme car le soir même, c’était la finalissima à Malley !
Après un solide apéro pour relancer la machine, c’est l’arrivée au Chaudron et, mauvaise nouvelle, notre mythique Jean Gagnon, pilier de la défense, sera forfait suite à un bris de mâchoire à l’entraînement. Qu’importe, on se dit que l’équipe fera corps et que chacun se surpassera pour palier à cette défection. Autant dire que la patinoire est totalement comble et même que, vraisemblablement, la capacité maximale autorisée est allégrement dépassée.
Après un peu plus de 2 minutes de jeu, Claude Verret (tout de même 119 points au total pendant cette saison) ouvre la marque et fait chavirer le temple. Bien aidée par des tribunes pour une fois réceptives et aussi chaudes que les virages, la Section Ouest met une ambiance indescriptible et certains pics atteignent des sommets rarement atteints. Mais le match est tendu et GC ne lâche rien et l’avantage n’est que de ce seul petit but lorsque la première sirène retentit.

Pourtant, dès l’entame du deuxième tiers, les Zurichois craquent et le plus beau récital de hockey sur glace que la vie m’ait donné jusqu’à présent va commencer. Maxime Lapointe d’abord, puis Laurent Pasquini, Claude Verret encore et Gaby Epiney vont donner cinq longueurs d’avance au LHC. Un de ces moments magiques qui voit les lausannois réussir tout ce qu’ils entreprennent et qui transportent le public dans une autre dimension. La messe est dite et l’assistance aura tout loisir de savourer cette promotion qui ne peut plus échapper désormais aux gars de Jean Lussier.
Le dernier tiers permettra encore de surfer sur cette vague positive et d’infliger au final une véritable correction aux coéquipiers d’Hannu Virta. En effet, Gaby Epiney et Max Lapointe par deux fois vont porter le score à 8-0. Dès la sirène finale, le virage ouest s’embrase et de nombreuses torches sont allumées. La foule envahit la glace puis les vestiaires pour fêter cette promotion, 17 ans après celle de la GDF. La fête, stratosphérique, se prolongera toute la nuit autour de la patinoire et en ville pour ne s’achever qu’aux aurores, après 3 nuits blanches consécutives, pour quelques supporters.
Même si les lendemains seront douloureux avec une prochaine saison pathétique en LNA, seule la magie de cette promotion restera à jamais gravée dans les mémoires de ceux qui l’ont vécue. Et, au-delà de l’exploit sportif, rarement une équipe aura autant fait l’unanimité sur la glace et au dehors par son talent, certes, mais également par son humilité et sa sympathie. Ainsi, peut-être que jamais une telle symbiose entre joueurs, entraîneurs, staff, dirigeants, abonnés des places assises, simples spectateurs et ultras ne se sera faite. Là était sans doute la raison principale de ce succès et de cette magnifique aventure.

A propos Grégoire Etienne 81 Articles
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3 Commentaires

  1. Comme ça fait du bien… J’avais courbé un souper organiser avec l’école pour notre voyage d’étude afin d’être à Malley ce soir là! Merci pour ces beaux souvenirs…

  2. Merci pour ce flash-back jouissif…

    14’000 personnes étaient à Malley ce soir-là !!

    La plus belle ambiance de TOUS les temps pour un événement sportif en Suisse…

  3. Je me permets de corriger l’affluence, tant ce nombre est inscrit à jamais dans ma mémoire: il y avait 11’014 spectateurs! En effet je n’ai jamais rien vécu de semblable niveau émotions sportives depuis…

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