Urs d’or à Morioka

Les surprises font partie du sport et cʼest tant mieux. On n’a dʼyeux que pour notre favori mais on a toujours un petit attrait pour ce petit qui pourrait faire tomber le gros, cet outsider qui pourrait déjouer tous les pronostics, ce David qui materait Goliath. Certes, on aime, je dirais même on bande, quand notre Roger national glane un phénoménal 18ème titre du Grand Chelem ou quand notre craquante Lara relègue la concurrence à plus dʼune seconde, mais on a toujours plaisir à voir lʼexploit improbable.

Lʼobjectif de cette nouvelle rubrique est de revenir, mois après mois, sur ces exploits dʼun jour, dʼune semaine, dʼun mois ou dʼune saison qui ont marqué lʼhistoire. Ces types improbables, ces championnes inconnues ou ces équipes de bras cassés qui, par on ne sait quel miracle, ont un jour, une fois, touché le Graal. Le choix sera bien entendu parfaitement subjectif et toute proposition bien évidemment bienvenue..

A lʼaube des championnats du monde de ski de St-Moritz, lʼidée mʼest venue de revenir, pour ce galop dʼessai, sur le formidable et totalement inattendu exploit dʼUrs Lehmann lors de la descente des championnats du monde de ski alpin, en février 1993, à Morioka au Japon.

Le parcours du bonhomme et les circonstances de sa victoire en valent, qui plus est, particulièrement la peine. Déjà sa naissance fut une blague. Eh oui, cʼest bien un 1er avril, en 1969 quʼest né le brave Urs dans la charmante bourgade de Rudolfstetten-Friedlisberg, dans le Canton dʼArgovie. Loin des montagnes et des pentes enneigées donc. Cʼest pourtant vers le ski que, très jeune, il se tourne et plus particulièrement les disciplines de vitesse. Et très rapidement les résultats suivent dès les juniors avec comme point dʼorgue le titre mondial de descente aux championnats du monde juniors de 1987, à Hemsedal en Norvège, à 18 ans. Et cʼest donc tout naturellement que, dès la saison suivante, il intègre les cadres de lʼéquipe nationale suisse de ski et participe à ses premières courses de coupe du monde.

Pourtant les résultats ne seront, comme souvent, de loin pas à la hauteur des espérances apportées par ce titre. 107 ème du général en 1990 il ne parvient que très rarement à entrer dans les points et il souffre de la concurrence particulièrement vive à lʼépoque au sein de lʼéquipe suisse de vitesse. De plus, une vilaine chute le prive de lʼintégralité de la saison suivante et, par conséquent, dʼune éventuelle qualification pour les championnats du monde de Saalbach. Alors que le doute sʼinstallait, cʼest pourtant dès son retour lors de la saison 1991-1992 que les résultats vont enfin commencer timidement à arriver avec, comme point dʼorgue une 4ème place lors de la descente de Val Gardena, performance qui restera sa meilleure place en coupe du monde. Un 52ème rang final au général de la coupe du monde viendra conclure cette saison du retour.

Arrive alors la saison 1992-1993 avec comme sommet les championnats du monde, organisés à Morioka, au Japon, en février 1993. Qualifié pour la descente de ses mondiaux grâce à quelques performances, certes honorables, mais relativement loin du podium, le brave Urs débarque au Japon en étant déjà content dʼêtre là et, par conséquent, sans pression aucune.

Le choix de Morioka, dicté par des intérêts purement économiques, va sʼavérer catastrophique sur le plan sportif. Effectivement, dʼune part les conditions météorologiques sont particulièrement capricieuses sur les pistes de Shizukuishi et, dʼautre part, les pistes sont dénuées de toute difficulté. Le super-G messieurs sera même purement et simplement annulé. Et à cette loterie, cʼest lʼours qui va remporter la timbale en descente. Maintes fois reprogrammée, elle a finalement lieu le même jour que la descente dames, sous la pluie et sur une piste balayée par les bourrasques de vent. Urs Lehmann, et son dossard 20, vont bénéficier de la seule accalmie de la journée et en profiter pour mettre une demi-seconde à tout le monde sur le haut et conserver son avantage jusquʼau bout pour réaliser, finalement, un exploit aussi fantastique quʼinattendu. Le gars, en fait, il aura juste été là au bon endroit au bon moment pour remporter un titre quʼil nʼaurait jamais empoché dans des conditions équitables. Seule médaille de la délégation helvétique au pays du soleil levant, il aura en plus lʼhonneur dʼapparaître comme le sauveur de la nation.

Malheureusement la suite sera moins glorieuse. On ne peut pas avoir le cul bordé de nouilles à chaque coup et lʼargovien retombera vite dans lʼanonymat du Cirque Blanc duquel il nʼaurait dʼailleurs jamais du sortir. Et malheureusement aussi, sa reconversion, certes réussie sur le plan académique puisquʼil est docteur ès sciences économiques de lʼUniversité de Zürich, est un beau fiasco puisque, à la tête de la Fédération Suisse de ski depuis 2006, il multiplie les erreurs stratégiques et les bourdes en tout genre. Mais personne ne pourra lui enlever sa médaille dʼor.

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