Nos vies nulles et inutiles

Devoir écrire sur rien du tout, remplir le vide, c’est souvent une occasion de laisser vagabonder sa réflexion avec poésie et pertinence. On appelle cela d’ailleurs « les discussion de bistrot ». Et au final, l’oeil jaune tranchant avec la rougeur violacée du nez, on en arrive souvent à la même conclusion: « la vie c’est nul ».

Dans le nouveau régime de carton-rouge.ch (je n’ai pas employé le terme « stalinien ») on me force à écrire un article sur l’équipe suisse de foot, en ce début février. Une review des joueurs, j’en ai déjà faite une le mois passé et ce n’est pas comme si il y avait des bouleversements trépidants depuis. Lorsque je fais remarquer à ma rédaction que tout le monde s’en branle de l’équipe de Suisse en cette période, le prochain match est dans perpét’ et on ne sait même plus contre qui ils ont joué la dernière fois, on me rétorque: « Mais fais un truc sur les joueurs jamais appelés que tu aimerais voir dans l’équipe ».

Attends… il y a bien… ah non il est Autrichien lui…

Heu…

Zuber il était bon lui en Russie non?

Non mais sérieux! C’est pas comme s’il y avait beaucoup à dire. On peut déjà être content de pouvoir en aligner onze sur le terrain. Bien sûr qu’on adorerait se taper Emily Ratajkowski plutôt que Lydie et Amelia, mais malheureusement c’est Lydie et Amelia qui traînent dans le bar d’à côté et pas Emily Ratajkowski. Yves Martin, manifestement encore tout excité par les insultes des fans du Kilomètre lancé, me harcèle de message « alors ? », « et ton article ? », «ALORS ? »… Parler de quoi ? De Xhaka en train de vivre sa crise d’adolescence en démontant les chevilles de ses adversaires et tentant le coup double en insultant une hôtesse de l’air peu après. Pour le fait de jeu  c’est dommage pour lui et il doit « apprendre à se gérer » sans doute mais à une époque on adulait Patrick Vieira et Roy Keane pour exactement les mêmes raisons. Pour le fait privé, insulter une hôtesse, même s’il s’avérait que cette personne soit effectivement une grosse bedoume c’est mal. Le caractère raciste de l’insulte en rajoute une couche. On n’a pas tardé à lire des commentaires sur les réseaux sociaux de certains faisant un parallèle entre le racisme d’un Suisse comme Granit vis-à-vis des étrangers que son pays promeut politiquement jusqu’à ce qu’on apprenne que ses propos auraient été « sale blanche » et là on n’a pas tardé à lire de la part d’une autre frange de personnes que c’était à cause du racisme anti-blanc que l’on trouve à force d’ouvrir nos frontières dans tous les sens. En soi c’est déjà une intéressante petite mise en abîme de la réception de l’information par le public et du fait qu’il est plus facile de voir ce qu’on y veut pour un même événement. Bref sans s’interroger sur le fait que Xhaka est blanc lui-même et que cela puisse poser quand même des questions, cela ne change rien au fait qu’il ne doit sûrement pas être un immense intellectuel. Voire même un footballeur.

On a mis une photo d’Emily Ratajkowski parce qu’on en parle dans l’article…

 

Veut-on parler de Lichtsteiner qui a prolongé son contrat à Turin? Ça serait un peu dur de dire que c’est parce que personne n’en voulait ailleurs vu que la Juve c’est quand même du caviar pour un mal aimé. Mais comme il avait été annoncé à peu près partout sauf à l’anniversaire de ma cousine, et que le club italien ne semblait pas spécialement le porter dans son coeur cette année, ce choix semble quelque peu troublant, d’un côté comme de l’autre. Lichtsteiner s’est fait beaucoup attaquer sur ce site ces derniers temps. Le voir sur un terrain a été, par le passé, un vrai bonheur, surtout lors de ses débuts à la Juve. Mais la dernière fois qu’on l’a laissé avec l’équipe suisse, on l’a surtout vu vociférer et enchaîner les mauvais gestes. Alors il est dur de croire encore beaucoup à notre capitaine.

Sinon vous savez quoi ? Roger a gagné l’Open d’Australie ! Oui oui 18 titres du Grand Chelem. Le tennis avec Federer et Wawrinka ça fait plus rêver que l’équipe Suisse de foot quand même. Mais personne ne pense trop à la claque qu’on va se prendre d’ici deux ou trois ans quand les deux joueurs auront pris leur retraite. On a beau avoir bu du sirop toute son enfance, une fois qu’on a découvert le Bordeaux c’est difficile de revenir au sirop, et, malgré le risque de sombrer dans le tennix de base, regarder du tennis sans eux dans le giron n’aura clairement pas la même saveur. Alors quoi/qui pour prendre le relais de notre chauvinisme crasse ? Celui-là même qui nous fait aimer Roger Federer parce qu’il est sérieux, rigoureux, sacrifiant sa vie au travail et que sa femme est moche alors qu’on déteste les « bourbines » parce qu’ils sont sérieux, rigoureux, sacrifiant leur vie au travail et que leurs femmes sont moches. Alors oui on est un peu nuls d’avoir des jugements si tronqués. Je ne dis pas que c’est idiot d’aduler Federer (même si toute adulation a un caractère quelque peu inquiétant) mais par contre ce sont davantage les aspects négatifs qu’on pourrait diminuer. Oui, ça fait un peu aimez vous les uns les autres.

Roger quand il gagne, on trouve qu’on est des gens supers…

Dans cette perspective l’équipe de Suisse pourrait-elle devenir la nouvelle satisfaction du public ? On parle là, bien sûr, de trucs dithyrambiques bien sûr, genre Coupe du Monde. Non parce qu’au final combien y avait-il de probabilités dans l’histoire qu’on ait droit à Stan et à Roger en même temps ? Encore moins que de voir la Nati remporter un Euro finalement. Certes nous sommes très loins du compte. De nos jours, parier sur une victoire de la Suisse dans une grande compétition internationale est aussi risqué que de lancer son business de location de VHS, évidemment.

Il paraît compliqué d’envisager Seferovic marquer le but de la victoire en finale contre le Brésil et encore plus d’imaginer Djourou lever une coupe d’Europe. Alors il y aura sans doute d’autres satisfactions sportives dans des sports comme le ski ou le curling. Mais force est de constater que dans les sports majeurs on va bientôt devoir beaucoup espérer pour le football au niveau international. Ce qui est triste quand on voit le niveau catastrophique de la Super League cette année et la lenteur de progression d’une génération de joueurs qui promettaient beaucoup dans leurs jeunes années. Mais si l’équipe de Suisse décrochait un titre un jour dans quinze ans, nul doute que je ressortirais cet article pour faire mon malin dans le style, « Je l’avais dit hein !». Comme quand les gens vous disent avec un air professoral et convaincu « Je pense qu’à moyen terme, la presse papier va disparaître ». Même si avec la Nati c’est plus compliqué.

Parfois, on a vu ça. Ça serait bien de s’y habituer.

 

Avec tout ça, on a fait le tour de ce qu’on peut avoir à dire sur l’équipe suisse en début février. Heureusement qu’ils recommencent les qualifications bientôt. On aimerait bien pouvoir ne plus y verser nos déceptions honteuses de ce patriotisme beauf. On aimerait pouvoir un jour à nouveau hurler comme une vache en saillie sans se sentir marginaux comme ce fut le cas dimanche il y a deux semaines. On aimerait que nos vies, marquées par la passion du sport, ne soient pas nulles et inutiles à ce niveau-là. Parce que gagner, même par procuration, c’est vachement bien.

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