Salt Lake Keels

China's Zhou Yang leads as she takes a curve during a women's 1,500 metres short track speed skating heat event at the Iceberg Skating Palace during the 2014 Sochi Winter Olympics February 15, 2014. REUTERS/Alexander Demianchuk (RUSSIA - Tags: OLYMPICS SPORT SPEED SKATING)

A Carton Rouge, il y a une rubrique, brillamment tenue soit dit en passant par notre vénéré rédaceur en chef, pour les sports débiles. Mais parfois, il y a des athlètes, appelons les ainsi, qui réalisent des exploits significatifs dans un de ces sports à la con. Et finalement, il n’y a pas de raison qu’ils n’aient pas le droit à leur part du gâteau sous prétexte qu’il pourrait y avoir doublon entre deux rubriques. Ainsi, ce mois-ci, vous aurez droit à une double ration de crème chantilly.

Parce que franchement, vous trouvez que les mecs qui font du short-track ils ont toute leur tête ? Et en français dans le texte, c’est même encore plus con : patinage de vitesse sur piste courte. Non mais sérieux. Déjà que le patinage de vitesse (devrait-on l’appeler sur piste longue ?) c’est aussi chiant qu’un concert de Richard Clayderman avec ces types en combinaisons ultra-moulantes qui tournent en rond en dodelinant du fessier et en balançant leur bras dans un rythme lancinant, mais alors sur piste courte ? Autant organiser une compétition d’Indycar sur 2834 tours du Stade de la Pontaise ou un marathon dans un Mediamarkt (ah merde ça a déjà eu lieu…)

En gros, 2 à 8 patineurs s’affrontent autour d’une piste à peine plus longue que 100 mètres de circonférence. La vitesse des patineurs pouvant atteindre près de 60 km/h, vous pouvez déjà imaginer le résultat de la majorité des courses qui s’apparentent alors à un véritable jeu de quilles sur glace et dont le vainqueur n’est souvent pas le plus fort mais le plus cocu.

Jusque là pas de problème, chacun a le droit de faire un sport à la con (et je vous promets que je sais de quoi je parle puisque cela fait plus de 20 ans que j’en pratique un mais ça c’est une autre histoire et je ne serais pas étonné que ce brave Yves Martin vous en fasse partager un bout un de ces prochains mois) mais là où le bât blesse c’est qu’un couillon ait eu l’idée d’en faire un sport olympique. Et c’est ainsi que le short-track est apparu au programme des Jeux d’Albertville en 1992. Et ce qui devait arriver arriva. Pile 10 ans plus tard. En 2002, chez les Mormons. Et sur la distance de 1’000 mètres.

A la différence du patinage de vitesse classique où les Néerlandais sont les rois, les pays dominants sur piste courte sont la Corée du Sud, la Chine, le Canada et la Russie. Ainsi, lorsque dès 1994 débarque un australien, les regards ne sont pas trop méfiants. Pourtant, il terminera 3ème du 5’000 aux Jeux de Lillehammer et offrira à son pays la première médaille de son histoire aux Jeux d’hiver. La suite sera moins évidente. Surtout que, malgré des qualités techniques et athlétiques évidentes, le bonhomme est particulièrement poissard. Jugez-en plutôt : Fin 1994, il percute un concurrent dont la lame du patin lui tranche la jambe. Onze points de suture et une longue pause forcée en seront les conséquences. Sa convalescence sera longue et peu couronnée de succès. En témoignera sa piètre performance aux Jeux de Nagano en 1998. En 2000, un patineur lui tombe dessus en plein entraînement et il atterrit sur les barrières de protection et se fracture deux vertèbres. Il est brisé tant physiquement que mentalement. Mais le kangourou est persévérant et courageux. Et Steven Bradbury, puisque c’est son nom, ne veut pas finir sur une blessure. Et il va parvenir à se qualifier pour ses troisièmes Jeux.

Au départ du premier tour du 1’000 mètres, il ne se fait pas beaucoup d’espoir et il espère juste réussir une sortie honorable. Il atteint alors son objectif, conforme à ses qualités sportives actuelles, en se qualifiant pour les quarts de finale réunissant les 25 meilleurs patineurs courts du monde. En quarts de finale, il s’agit de terminer dans les 2 premiers sur 5 athlètes pour se qualifier. Malheureusement, le brave Steven va terminer 3ème de sa série et voir ainsi logiquement se terminer son aventure olympique. Mais la chance semble avoir changé de camp et la disqualification du champion du monde canadien Marc Gagnon pour contact illicite lui ouvrir les portes d’inespérées demi-finales.
Mais là, la concurrence est vraiment très élevée et le Sydneysider va très rapidement se retrouver largement distancé par ses 4 adversaires. Mais à quelques hectomètres de l’arrivée, 3 de ces 4 mecs s’accrochent et se vautrent. Steven Bradbury voit alors soudainement s’ouvrir devant lui un boulevard aussi large que les épaules de Michael Phelps et termine 2ème, se qualifiant ainsi par les poils pour la finale. Il est aux anges même s’il sait que la finale sera une autre paire de manches et, qu’aux Jeux, seule la médaille est belle.

Il est le plus âgé des concurrents de cette finale dans laquelle il va être opposé au Coréen Kim Dong-Sung, au Japonais Satoru Terao, au Chinois Li Jiajun et au Canadien Mathieu Turcotte. Il est clairement le moins rapide et il est parfaitement conscient de ne pas avoir le niveau suffisant pour lutter contre ses adversaires. Alors, avec son entraîneur Ang Zhang, il va élaborer une tactique surréaliste. Sachant qu’il n’a donc pas la vitesse suffisante pour rivaliser, l’Australien va se laisser distancer dès le départ, rester délibérément et exagérément en retrait pour se protéger d’une éventuelle chute collective et espérer un incident entre deux coureurs pour décrocher un podium.

Et sa tactique va finalement fonctionner au-delà de ses espérances puisque, dans l’ultime virage, non pas deux mais quatre patineurs vont s’accrocher, faire un immense strike et se retrouver les fesses en l’air. Tellement distancé, Bradbury peut éviter la chute, et franchit seul la ligne d’arrivée, bras levés et visage incrédule. Il est champion olympique. Le premier d’un pays de l’hémisphère sud à des Jeux d’hiver. Il entre dans la légende. Son sacre passe à la prospérité. Il entre dans le jargon du sport puisque « faire une Bradbury » devient synonyme de réaliser une victoire accidentelle ou particulièrement inattendue.

Il est même sacré « Homme le plus chanceux du monde » par la BBC et il avouera même ne pas avoir su s’il devait fêter sa médaille d’or ou se cacher dans un coin.

 

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1 Commentaire

  1. Merci Grégy, cela me conforte dans mes ambitions de me dire que je peux encore faire une médaille olympique. A la descente de Fernet, au déballage de cervelat ou à la bataille. Et là tu pourras écrire un article qui couronnera ta carrière !

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