Timeo Ineos et dona ferentes

« Faut pas essayer de me la faire. » C’est, en substance, ce que dit le Troyen Laocoon au début de l’Enéide, en voyant arriver l’immense cheval de bois offert par les Grecs. Dans le texte : « Timeo Danaos et dona ferentes – Je crains les Grecs, même quand ils font des cadeaux. » Les Troyens ne l’ont pas écouté. Mal leur en a pris.

« Faut pas essayer de me la faire. » Il paraît que c’est ce que le premier ovule a dit au premier spermatozoïde qui se présentait, mais l’ovule était sans défense et le foutre a eu le premier mot. » Romain Gary, Pseudo, 1976

Dans son communiqué du 24 janvier, le FC Lausanne-Sport parle de son nouveau fanion. Le terme est utilisé dans le titre, dans la première phrase, et il est ensuite remplacé par « blason », qui revient quatre fois. Le terme « logo » remplace insidieusement les autres dans la dernière phrase du communiqué : « Avec ce nouveau logo, le FC Lausanne-Sport se sent prêt […] » On pourrait presque croire que c’est fait exprès, mais c’est difficile de prêter à l’équipe de communication du club des intentions aussi extratextuelles. Pour massacrer éhontément la langue française comme ils le font dans l’immense majorité des publications du site et dans les programmes de matches, je doute qu’ils soient capables d’une grande distance par rapport à ce qu’on écrit.

Le terme logo en lui-même a une connotation commerciale. Et le piège dans lequel nous sommes tous tombés est d’utiliser le terme « logo » au lieu de fanion, blason ou écusson pour parler de ce changement. La presse parle de logo, la pétition contre le changement parle de logo, la discussion consacrée à ce sujet sur le forum du LS parle de logo, j’ai parlé de logo dans mon courrier au club et dans mon mail collectif à tous mes vieux contacts, avant que quelqu’un me fasse remarquer les dangers de ce glissement. Parler de « logo », c’est situer le débat dans le registre commercial. Et les termes utilisés un peu partout vont dans le même sens. Il faut « être visible », Ineos a droit à un « retour sur investissement ».

Qu’on parle de logo ou de fanion, le traitement de ce sujet dans les médias est alarmant. On accompagne systématiquement le mot « supporter » des mots « courroux », « fâchés », « en colère », on dit « les nostalgiques » comme s’ils se réunissaient chaque semaine pour écouter du Nino Ferrer. La majorité des interventions publiques minimisent l’impact de ce changement, on trouve la réaction exagérée, qu’il s’agisse du « débat » de Sport Première, ou même de 24 heures, supposément local. Qui paie commande, nous dit-on sans sourciller. C’est encore le Matin qui s’en est à mon goût le mieux sorti en interviewant le président du BWFK, même si on n’a pas échappé au titre tapageur. Dans Lausanne Cités du 31 janvier, on voit également que la direction du club n’a pas compris ce qui se jouait en disant que le nouveau design s’adresse « à la nouvelle génération ». Les représentants de la jeune génération, qui sont nombreux à manifester leur désaccord, seront heureux de se sentir remplaçables.

Quand on parle de « grandiloquence » pour décrire la réaction à chaud des supporters qui s’identifient à leur club, quel terme devrait-on utiliser pour décrire la quasi-certitude avec laquelle certains affirment que le LS sera en Champion’s League dans quelques années ? Lausanne se voyait vice-champion après 10 matches en octobre 2016, pour finalement se maintenir en 1ère division deux journées avant la fin du championnat. Là, ils ont perdu leur meilleur joueur, reçu deux remplaçants de Bâle en prêt, Rapp qui certes est meilleur buteur après 19 journées, mais en plantant quatre de ses neuf buts contre… Lausanne, et le fils Zidane qui ne joue pas à Alavés. Bien sûr que ça peut donner quelque chose. Mais YB met les moyens depuis des années et n’arrive pas à gagner le titre, ni d’ailleurs à se qualifier pour la phase de groupes de la Champion’s League.

Il reste juste de la déception, à l’idée que le club va perdre le soutien de nombreuses personnes, pour des raisons que personne, staff, journaliste, docteur, ou autre supporter n’a le droit de leur reprocher. A l’idée que le jour-même du changement, des personnalités locales trouvent des excuses, minimisent, ne laissent pas le temps aux gens d’encaisser, leur vendent même du rêve dans le sens le plus littéral de cette expression, le rêve de voir un fanion véhiculant l’identité visuelle d’une entreprise privée côtoyer les spots de Gazprom à la télé.

De la déception d’en être réduit, pour citer encore Romain Gary, « à débattre sans fin les « pourquoi » et les « comment » d’une affaire où, en définitive, chacun ne voit plus que son propre cœur ». L’amour d’un club se passe de justifications, et ne mérite pas la suffisance avec laquelle il a été traité dès les premières heures qui ont suivi cette annonce. Quelqu’un dans mon entourage m’a partagé ce souvenir, et beaucoup s’y reconnaîtront sans doute : « Quand j’étais gosse, j’ai constaté, en entrant dans la commune de Lausanne en voiture pour un match, que les couleurs de la ville étaient le rouge et le blanc, et de m’être demandé pourquoi c’était rouge et pas bleu. Pour moi c’était clair que c’était la ville qui s’était trompée, pas le LS. »

La déception, encore, d’avoir vu la cote de sympathie du club remonter gentiment depuis quelques années – le retour de Valentin Stocker en Suisse rappelle à notre bon souvenir les saisons où Lausanne était l’objet d’une certaine suffisance de la part des autres clubs – et de constater qu’elle va pouvoir tranquillement redescendre si le fanion reste comme il est.

La déception, enfin, de n’entendre que des arguments mercantiles, comme si l’argent seul pouvait (et allait, certains n’en doutent pas) acheter le cœur des personnes attachées à leur club, comme s’il était la seule garantie de résultats, comme si cette idée même qu’on puisse garantir les résultats d’une quelconque manière n’était pas fondamentalement antisportive (quel suspense, la course aux titres chaque année en Suisse depuis 2010, quelle émotion en Challenge League, où pour la quatrième année de suite, le relégué est connu bien avant la fin du championnat, pour des raisons administratives), et comme si ces personnes avaient oublié que ce n’est pas avec l’argent d’Ineos que Lausanne, il y a quelques mois à peine, a battu les deux premiers de l’actuel championnat.

« Puisque nombre des sociétés les mieux connues ne fabriquent plus de produits et n’en font plus la réclame, mais les achètent et en font le branding, ces entreprises sont à jamais en quête de nouvelles façons créatives de construire et de renforcer leurs images de marque. La fabrication de produits exige peut-être des foreuses, des marteaux et le reste, mais la création d’une marque appelle un ensemble d’outils et de matériaux complètement différents. Elle exige une parade sans fin d’extensions de marques, une imagerie de marketing continuellement renouvelée et, par-dessus tout, des espaces frais et neufs pour propager l’identité officielle de la marque. » Naomi Klein, No logo, 2001

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5 Commentaires

  1. Papier fort bien écrit. Pour ajouter au débat : Ineos ne produit rien qui puisse intéresser le grand public ; je veux dire par là : quel est l’intérêt économique d’une telle société à gagner en visibilité ? À priori aucune.
    Si l’on prête crédit à l’information qui donne M. Ratcliffe comme créateur du fanion 2018, ne s’agirait-il pas simplement l’histoire d’un mec (je fais aussi des citations) qui s’est acheté un club et qui veut y mettre sa patte (ou la lever, c’est selon) ?

    • Merci pour le retour et le commentaire!

      Je ne suis pas tranché sur ce qui a poussé Ineos ou Jim Ratcliffe à s’inviter dans le blason du LS. Je ne pense effectivement pas qu’Ineos espère vendre des produits pétrochimiques à Mme Raymonde Dupont à Goumoëns-le-Jux. Mais étant donné toutes les allusions à une éventuelle participation à la Champions’ League que j’ai entendues dans l’entourage du club, je pose l’hypothèse que l’idée est de gagner en visibilité tout court, quelle que soit la manière et sans viser un public particulier, et surtout dans une vision à long terme. Supposons que Lausanne se qualifie effectivement pour la CL 2022-2023, et joue un match de groupe contre Barça, PSG, ou autre, ça ferait des sacrées retombées en terme de visibilité, pour un bête petit « o » incrusté dans le blason du club. Visibilité pour Ineos, qui se veut un des plus grands groupes pétrochimiques au monde, rêve européen pour les clubs de soutien (financier), pour qui la pilule a été avalée extrêmement vite.
      Ceci dit, il est vrai qu’on est plutôt habitués aux grandes multinationales qui se veulent discrètes en s’implantant en Suisse (Glencore, Trafigura,…), et ce qui se passe avec le blason du LS est inédit, et difficilement explicable en un article de passionné qui prend clairement parti sur le registre sportif. Donc je me répète: c’est une hypothèse, je ne cherche pas à creuser la question, mais simplement à en poser, donc merci d’alimenter ce questionnement!

  2. Article pas facilement compréhensible – le dernier paragraphe peut laisser croire que tu comprends l’action d’INEOS, vu que tu termines en plus par cela, le reste que tu es contre… Phrases mal tournées, exemple « La déception, encore, d’avoir vu la cote de sympathie du club remonter gentiment depuis quelques années (…) et de constater qu’elle va pouvoir tranquillement redescendre si le fanion reste comme il est. » Il eut plutôt fallu inverser les deux phrases, exemple « La déception encore, de constater que la cote de sympathie du club va pouvoir tranquillement redescendre, si le fanion reste comme il est, après qu’elle soit pourtant remontée gentiment depuis quelques années ». Car comme tu tournais ta phrase, cela suggérait que tu étais déçu d’avoir vu la cote de sympathie du club remonter gentiment depuis quelques années. Même si l’on comprend finlament, malgré l’article mal tourné, que tu es contre l’action d’INEOS. Mais pas évident à la fin à cause de la conclusion.

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