Contrepied : In Eos excitati erant (parmi  eux, il y avait des excités)

Note du Rédenchef : Cet article a été écrit le 1er mars, avant le rétropédalage d’INEOS. Il parle des réactions que le nouveau logo a engendrées. Finalement, quelle que soit la décision finale, il reste d’actualité. Et puis il est trop bien écrit pour que je renonce à le publier.

Orange, ô désespoir, ô sponsor ennemi
N’ai-je donc vécu que pour cette infamie ? (Pierre Corneille, le Cid, enfin presque…)

Or donc, il s’avéra que le 13 novembre 2017, après que l’atermoiement fut pendant de nombreuses ânées la règle fondamentale d’une gestion sportive pour le moins discutable, doublée d’une direction financière pour le moins prudente, la multinationale britannique INEOS fit l’acquisition du FC Lausanne-Sport LS Vaud Foot SA. Ce changement de direction, outre qu’elle soulagea indubitablement Alain Joseph d’un fardeau qu’il portait bravement depuis dix ans dont six de présidence, ouvrit quelques perspectives qui ravirent le supporter que je fus, suis et serai. On promettait de mettre quelques moyens à disposition ; on déclarait que l’Europe était un objectif à deux ou trois ans. Bref, soudain, il y avait un avenir plein de promesses. En effet, le mercato hivernal permit l’arrivée de quelques joueurs (ce papier n’étant pas destiné à juger des performances de l’équipe, je n’émettrai aucun avis sur ces derniers) et, enfin, on nommait le directeur sportif que d’aucuns réclamaient à grands cris depuis de nombreuses saisons. On joignait le geste à la parole. Dont acte. Evidemment, le supporter sceptique, celui qui, quoi qu’il advienne, est un conspirationniste en puissance, celui qui, en toutes circonstances, a toujours prôné une meilleure solution qu’il vend au café du commerce en même temps que son incurie crasse,  jugea que « ouais mais quand même, INEOS, c’est pas loin de l’industrie chimique. Pour un club sportif, on aurait pu trouver mieux. Pi, de toute façon, ils s’en sont mis plein les fouilles. À preuve que Joseph, l’a même pas dit le prix. Tu vois c’que j’veux dire… », le tout ponctué d’une œillade pleine de sous-entendus peu amènes.

 Revenons à un peu d’histoire : Le mardi 20 mai 2003, malgré d’innombrables tentatives pour sauver le Lausanne-Sports, le Président Philippe Guignard et son Comité demandent une mise en faillite du club. Le sursis concordataire est rompu et les joueurs libérés de tout contrat. Après 107 ans d’existence, le Lausanne-Sports est dissout et renaîtra sous un nouveau nom et une nouvelle structure sportive (Wikipédia, Lausanne-SportS). Notez bien : « Sous un nouveau nom et une nouvelle structure sportive ». Exit donc le Lausanne-Sports (avec S) et vive le FC Lausanne-Sport (sans S). Rappelons que, outre les commentaires du supporter précité – qui nous l’avait bien dit, hein -, cette disparition n’eut aucun effet sur la régulation du prix du beurre en Basse-Bretagne, sur la sans plomb à la pompe de Denezy ou encore sur la notation boursière de la capote usagée du côté de Sévelin. On a pris acte, c’est tout. Je parle là, bien sûr, de l’ensemble bigarré de la population urbaine pour qui la faillite de ces gaillards surpayés avait autant d’importance qu’un mégot négligemment jeté par la fenêtre ouverte d’un SUV à 100’000 balles. Pourtant, certains n’ont cessé d’y croire et se sont attelés, contre vents et marées, à réinventer le club, à lui redonner les lettres d’une noblesse perdue diluée qu’elle fut dans les scandales qui avaient précédé la chute. Et ils y sont parvenus. Honneur à eux, ils se reconnaîtront.

Le mardi 20 mai 2003, donc, le Lausanne-Sports n’existe plus. Y a plus rien, y a plus plus rien, aurait dit Ferré. Déchiqueté le LS, plus qu’une histoire. Une sorte de Pompéi sportif, un Herculanum après le rhume du Vésuve. Sous une autre forme, on remet la compresse et les couleurs. Et, alors que, après un tel séisme, on aurait pu avoir à cœur de tout changer, on garde le bleu et blanc ET le fameux sigle dont il est peut-être temps de parler parce que je babille, je babille mais je n’avance pas.

Tous ceux qui, dans les semaines passées, ont levé le bouclier contre l’inacceptable retouche dont d’aucuns ont osé tacher le sacro-saint emblème, sont sans aucun doute de bonne foi. Leur irritation est frappée au sceau de l’indignation la plus sincère : on bafoue la seule chose qui nous reste, aucun sponsor, pas même le Qatar n’a osé s’en prendre à ce sigle qui orne la poitrine de nos élus, on se demande comment auraient réagi les grands clubs si une telle chose leur était arrivée. On couvre les responsables d’opprobre, on les voue aux gémonies, on déprécie violemment leur éthique, on s’exprime à mots non couverts – notamment le supporter cité plus haut dans cette chronique -, on injurie, on salit, on blesse, on gerbe, on boycotte, on calicote (je sais, j’adore néologiser), on embrasse les supporters d’autres clubs qu’on tenait, il y a peu, pour de fieffés trouducs, parce qu’ils ont pris fait et cause contre cet outrage, on cause dans le poste, on se confronte, on se battra jusqu’à la mort et même au-delà. On va loin. On va très loin. On va trop loin !

Lorsque j’étais gosse, on arborait, sur les maillots que nous achetaient nos parents pour jouer dans ce club, un insigne tout simple portant les lettres LS en bleu sur fond blanc. On a ajouté, avec le temps, le nom Lausanne Sport au-dessus et des rayures tout autour. Et alors ? Vous me direz, car je vous sais fameux dialecticiens, qu’on reste dans les couleurs pantone de base et que le bleu domine (c’est même pas vrai, y a plus de blanc), qu’il n’a jamais été question de nier le passé et que ces quelques adaptations graphiques ne remettaient pas en cause l’âme historique de cette entité aujourd’hui violée. Et vous aurez raison. Vous me direz, car je vous sais esthètes, que l’orange et le « o » de INEOS n’ont pas à polluer le sigle aimé. Peut-être, en effet, vous accorderais-je quelque crédit. Mais, on assiste à une prise de possession. Ce changement, pour discutable qu’il soit, j’en conviens, est le reflet d’une réalité concrète : la Lausanne et son avenir appartiennent à cette société britannique. Elle marque son territoire, elle s’affirme et dit : nous sommes là avec un projet, de la thune et nous sommes les patrons. En prenant pied dans l’insigne, tout en en respectant 90% du graphisme, INEOS nous dit qu’on peut compter sur elle et que son engagement n’est pas une pirouette à la Kurz-Kita de sinistre mémoire. Bien sûr, mon ami le supporter rétorquera que cette société cherche surtout à se donner une image plus soft. C’est certainement exact mais cette volonté de s’inscrire dans la vie du club non comme un cochon de payant mais comme une vraie partie prenante me rassure, me fait croire – à tort ou à raison mais dans ce monde distordu par le blé et les magouilles, pourquoi ne pas admettre qu’il puisse y avoir de bonnes surprises – que demain sera rieur et qu’INEOS assumera l’entier de ses engagements.

En fait, cette histoire n’est qu’un épiphénomène, une mini cacade. Si demain je puis aller à la Pontaise et après demain là où il fera encore plus froid, plus au nord, là où les projecteurs aveugleront les avions et où on n’aura pas de terrain synthétique, assister à la renaissance des Seigneurs de la Nuit, à des matches de haut vol, à des rencontres dont seule l’affiche alléchante aura su m’éloigner de mon téléviseur et que c’est grâce à INEOS que je pourrai satisfaire ma gourmandise footballistique, que peut bien me chaloir qu’il y ait de l’orange et ce « o » bizarre sur le cœur de mes joueurs préférés. Les Anglais, dont bientôt plus un seul joueur insulaire ne joue en Premier League, ne s’offusquent pas d’un phénomène bien plus préoccupant que cette stupide histoire de couleur.

Admettons qu’il y a des combats d’arrière-garde et que ceux-ci réussissent rarement à ceux qui les engagent : Roland ne s’est pas senti bien à Roncevaux ni Léonidas aux Thermopyles. Cette stratégie jusqu’au-boutiste qui consiste – parce que vox populi, vox dei – à vouloir faire plier et ce de manière particulièrement rébarbative plus grand que soi m’horripile, encore plus quand l’enjeu est d’une telle futilité.

Mon Grand-Père, sage parmi les sages et qui, en 1920 était membre du Club Hygiénique qui fut honteusement absorbé par le FC Montriond, citait volontiers Talleyrand : « Ce qui est excessif est insignifiant ». Tout ceci est excessif. Il eut ajouté, sa moustache blanche frémissant sous un nez qu’il retroussait volontiers « Le ridicule tue et je sens que je vais devoir assister à une flopée d’enterrements bientôt ». Il est vrai que mon Grand-Père, pour sage qu’il était, n’était pas toujours gentil. Mais ce n’est pas de ça qu’il est mort.

A propos Bertrand Jayet 21 Articles
...

Commentaires Facebook

2 Commentaires

  1. Excellent article …vraiment.
    Il serait vraiment temps de passer à autre chose..du foot par exemple. Les mêmes intervenants qui critiquent toute décision prise par quelque partie que ce soit – sans s’impliquer concrètement, c’est plus facile – pourront alors à nouveau se profiler. On parle de sport, tout cela a-t-il du sens ?

  2. Une multinationale du secteur de la chimie qui a son siège en Suisse pour des raisons fiscales et qui traîne des casseroles écologiques et humanitaires achète le LS afin de redorer son blason (c’est mon avis personnel) Ô rage, ô désespoir, le titre me faisait espérer un article un brin critique par rapport à Ineos, mais que non, on tire sur les derniers (jeunes) supporters critiques parce qu’ils ont osé, ô sacrilège, tenir tête à Ineos pour une broutille nommée logo. Je ne peux que féliciter ces supporters d’avoir défendu avec succès le peu de valeur et d’identification que le football-business nous laisse. Pour les autres je citerai ma grand-mère, analphabète parmi les analphabètes et en plus pur produit de la Suisse primitive: wer sich en Finger in Arsch stecke lässt, muess nüt stune, wen der döt eines Tages en Arm findet ! Allez Lausanne !

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.