Le footballgate, étonnant ? Non !

Image de une : Copyright Pad’R. Dessin paru dans l’émission « La Tribune » (RTBF) le 22.10.2018 et reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.

Depuis plusieurs semaines, le football belge est agité par un scandale sans précédent (l’affaire des caisses noires de 1983, c’est de la petite bière en comparaison), qui mêle fraude fiscale, corruption d’arbitres, corruption de journalistes, carrousel à la TVA, matches truqués, entraîneurs et joueurs servant de « boîtes aux lettres », avenants à des contrats de joueurs sans que ceux-ci en aient connaissance, blanchiment de capitaux, voire trafic d’êtres humains. L’affaire jette surtout une lumière crue sur le rôle toujours plus prépondérant joué dans la coulisse par quelques agents de joueurs – je vais être prudent et ne pas mettre tout le monde dans le même sac, d’autant que les dossiers étant toujours à l’instruction, la présomption d’innocence reste de mise – qui pourrissent le foot actuel. Et elle pourrait également avoir des ramifications dans d’autres championnats, à Nantes notamment  pour le volet fiscal uniquement et sans que Waldemar Kita soit au courant. On découvre également la concurrence féroce que se livrent et les coups bas que se donnent les arbitres pour se voir attribuer les rencontres les plus prestigieuses, une finale de coupe par exemple, avec la complicité active de présidents de clubs, d’agents, une fois encore, et de journalistes.

Ce qu’on sait, en gros

Copyright Pierre Kroll. Dessin paru dans « Ciné-Télé Revue le 24.10.2018 et reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur

Tout commence il y a environ un an, au départ d’un rapport de l’inspection spéciale des impôts qui attire l’attention de l’unité des fraudes sportives de la police fédérale belge. Ce sont des soupçons d’origine purement fiscale concernant des transactions entre clubs et agents qui sont à l’origine de ce lourd dossier. Le juge d’instruction chargé de l’affaire, par ailleurs grand fan de foot, concède d’ailleurs sur les antennes de la RTBF (notre télé publique) : « Au départ, je ne soupçonnais pas que cela allait prendre une telle ampleur », ajoutant, « Je pense qu’il faut être passionné de sport pour travailler sur ce genre de fraude, pour mieux comprendre les compétitions, les sportifs et les systèmes mis en place ». Des écoutes téléphoniques font apparaître que deux agents de joueurs, Mogi Bayat et Dejan Veljkovic, omniprésents dans le foot belge, ont fraudé le fisc et la TVA, eu recours aux services d’un avocat spécialisé en droit du sport mais rayé du barreau après avoir, déjà, trempé dans un scandale de corruption et de paris truqués, soudoyé des arbitres (et pas n’importe lesquels, j’y reviendrai) sans oublier d’utiliser des entraîneurs pour truquer des rencontres. Le relevé des textos et des conversations téléphoniques sont éloquents : les deux meilleurs sifflets du pays, Sébastien Delferière – qui est par ailleurs directeur financier de l’aile francophone de l’Union belge de football – et Bart Vertenten ont, en vrac, reçu du pognon, bénéficié d’une remise de 20 % sur l’achat d’une auto, reçu une (des ?) montre(s) de luxe pour, toujours en vrac, siffler des pénalties imaginaires ou veiller à ce qu’un joueur ne soit pas suspendu à l’approche d’un match important et manigancé, avec l’aide de plumitifs, l’attribution de matches importants (pour le titre, le maintien ou la finale de la coupe de Belgique).

Si j’ai bien compris, parce que c’est compliqué et que les mêmes personnes ne sont pas inculpées pour les mêmes choses, le blé était versé par un président de club ou un investisseur, transitait par un agent qui facturait, par exemple, une prestation de scouting, puis par un entraîneur ou d’anciens joueurs chargés de réinvestir les thunes dans des opérations propres ou encore, pour Veljkovic, par des membres de la famille et des amis restés en Serbie. Ce sont au total une quinzaine de personnes qui sont inculpées. Certaines ont été libérées sous condition ou portent désormais un bracelet électronique, et d’autres continuent à faire dodo sur une paillasse des geôles du pays.

Une activité pas ou très mal réglementée

Copyright Pad’R. Dessin paru dans « La Tribune » (RTBF) le 22.10.2018 et reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.

Qu’un sportif de haut niveau fasse appel à un agent pour négocier et gérer ses intérêts et que ce dernier soit rétribué pour ses services est entièrement légitime. Les vedettes du showbiz, les écrivains et des hommes politiques devenus conférenciers font également appel à un imprésario. Rien d’anormal. Là où ça devient gênant, c’est que certains agents sont devenus omniprésents et surpuissants, déplaçant leurs poulains de mercato en mercato au gré de leur appétit, fourguant plusieurs joueurs (en général un bon et quelques chèvres, j’en ai été témoin à l’époque où je suivais assidûment le défunt RAEC Mons) dans un seul et même club et se sucrent tellement au passage qu’ils feraient bien de surveiller leur diabète. Autre pratique courante : faire venir en Europe un charter des jeunes Africains (le Brésil a également longtemps constitué un bon filon) plus ou moins doués – souvent moins, soit dit en passant – leur faire signer des contrats de représentation léonins et les placer dans des petits clubs de divisions inférieures avant de les y laisser croupir en négligeant les situations administratives les plus élémentaires. Plusieurs joueurs se retrouvent ainsi aujourd’hui en séjour illégal et sont le coup d’un ordre d’expulsion du territoire alors qu’ils sont établis dans le pays depuis plusieurs années et ont, depuis lors, fondé une famille, trouvé un job à côté d’un foot mal rémunérateur et tout le toutim. Ajoutons à cela que certains n’hésitent pas à faire tourner la tête de gamins à peine adolescents et les font tourner de club en club avec chaque fois, bien entendu, une commission à la clé, au point qu’il n’est pas rare de voir des garçons de 16 ou 17 avec un CV mentionnant un passage par deux ou trois centres de formation. Et ce ne sont pas que des illustres inconnus qui se font avoir ! Ainsi, l’ancien agent de Thomas Meunier aurait négocié, lorsque celui-ci est passé de Virton (alors en D 2) au FC Bruges, une commission supplémentaire en cas de transfert vers un cercle plus huppé – le PSG en l’occurrence – sans en toucher un mot au joueur. Cette affaire distincte se joue en ce moment devant les tribunaux.

Devenir agent de joueur est très facile en Belgique : une cotisation de 500 euros versée à l’Union belge de football (UB pour faire court), un certificat de bonne vie et mœurs, quelques formalités administratives auprès du tribunal de commerce, l’ouverture d’un compte tiers à la banque et le tour est joué. C’est ainsi que près de 450 agents sont répertoriés auprès de l’UB. La plupart font certainement très bien leur boulot et souhaitent d’ailleurs se regrouper pour réglementer l’activité. Pas de bol, certains, et non des moindres, refusent de monter dans le train. On se demande bien pourquoi.

Petits cadeaux entre amis

Copyright Pad’R. Dessin paru dans « La Tribune » (RTBF) le 22.10.2018 et reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.

Ce qu’on se demande, c’est comment des arbitres à peine trentenaires et promis à une belle carrière internationale ont pu se laisser embringuer dans un truc pareil. L’arbitre, c’est la personne la plus importante sur le terrain. Sans l’arbitre, pas de foot. Comment Delferière et Vertenten ont-ils pu marcher dans semblables combines ? Le premier est réviseur d’entreprise, directeur financier à mi-temps de l’aile francophone de l’UB, le second est médecin et prépare une spécialité en radiologie. Ce sont deux mecs supérieurement instruits qui exercent des professions exigeant une probité sans faille, pas deux péquenots tombés à l’insu de leur plein gré dans une embrouille de pieds nickelés. Et aussi deux symboles, avec quelques autres, du renouveau d’un arbitrage belge encore moribond il y a quelques années. On répondra, évidemment, l’appât du gain. Mais quel gain, je vous demande un peu? Une ristourne sur l’achat d’une bagnole, un petit cadeau pour la naissance du premier enfant, quelques restos, une jolie montre et quelques biftons ? Tout ça pour ça ? Sans aller jusqu’à prétendre qu’un arbitre belge va s’enrichir en pratiquant sa passion, on constate que nos as du sifflet sont correctement rémunérés : 1900 euros brut pour un match de D1. Même taxés à près de 50 % – notre fisc est gourmand –, à 2 ou 3 matches par mois, si on y ajoute les revenus professionnels, il y a de quoi vivre sans trop se biler. Pas de quoi siffler un penalty bidon ou faire en sorte qu’un joueur ne soit pas suspendu pour telle ou telle rencontre après avoir reçu un carton rouge. C’est tout bonnement incompréhensible et c’est la seule chose que le grand public ne comprend pas dans toute cette histoire. Qu’un entrepreneur magouille sa comptabilité pour éluder l’impôt, on sait que ça se passe, qu’il ait recours à des montages financiers pour payer moins, on sait que ça se passe, parfois même avec la bénédiction tacite des autorités. Les grandes multinationales le font et ce n’est pas pour rien que la Belgique est un paradis fiscal pour les entreprises. On s’en émeut dix minutes sur les réseaux sociaux et puis le soufflé retombe. Mais un arbitre, bordel ! Leur carrière est ruinée, leur honorabilité souillée à jamais. On va avoir envie de changer de trottoir quand on les croisera en rue.

Et sinon vous, ça va ?

Copyright Pierre Kroll. Dessin paru dans « Le Soir »du 12.10.2018 et reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.

Tant à l’UB qu’à la Ligue pro, on semble effaré, atterré, désastré. Quoiiiiiiii ? Commmmmmeeeeeent ? Des margoulins dans notre fooooooot ? Ah ! Mais on va prendre des mesures et des sévères, vous savez ! D’abord, les deux arbitres impliqués sont radiés à vie et interdits de toute activité liée au football. Super ! S’ils sont acquittés par la justice – ce qui serait étonnant vu le faisceau de preuves qui s’accumulent, mais sait-on jamais ? – ça promet une belle foire d’empoigne devant les tribunaux au nom du mépris de la présomption d’innocence, du licenciement abusif, d’atteinte à l’honorabilité et de tout qui va avec. Mais on va aussi surveiller les activités des agents de joueurs et mettre de l’ordre dans tout ça, promis, juré, craché ! Laisse-moi rire ! L’UB est dépositaire d’un exemplaire de tous les contrats de joueurs pro ou semi-pro. Elle en connaît par définition toutes les clauses. Elle ne peut évidemment pas se substituer au fisc et aux tribunaux civils pour examiner la comptabilité de tous ceux qui tournent autour du foot. Mais s’est-elle portée partie civile contre les inculpés pour demander réparation ? À ma connaissance, non, du moins à ce stade de la procédure. Il se pourrait, malheureusement, que les deux principales instances du football belge laissent passer une formidable occasion d’effectuer une véritable opération de nettoyage et, comme chaque fois, se contente de jouer la carte de l’étonnement à la découverte qu’il y a du grenouillage dans le football, comme un enfant qui se surprend (mais, lui, sincèrement) à découvrir qu’il y a des arêtes dans le poisson.

Copyright Frédéric Du Bus. Dessin paru dans « La Dernière Heure » du 12.10.2018 et reproduit avec l’aimable autorisation de l’auteur.

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