Jakob Fuglsang, la gloire sur le tard

Auteur d’un début de saison exceptionnel, le Danois a conclu son printemps de rêve en remportant Liège-Bastogne-Liège, sa première grande classique à 34 ans. Garçon discret, un brin énigmatique, qui est vraiment ce lieutenant de luxe devenu leader sur le tard ?

Jakob Fuglsang n’aime pas les paillettes, encore moins le feu des projecteurs. Depuis ses débuts chez les professionnels sur la route en 2009, il a pris l’habitude d’évoluer dans l’ombre de ses différents leaders comme de lui-même. Il s’en est accommodé sans jamais se plaindre de son sort, avec son flegme typiquement nordique. A ses débuts entre 2009 et 2011, il est le dernier équipier à accompagner les frères Schleck en montagne chez Saxo Bank puis chez Leopard-Trek sur le Tour de France. Entre 2013 et 2017, il accompagne Vincenzo Nibali et Fabio Aru dans la haute montagne sur le Giro comme sur la Grande Boucle. C’est notamment lui qui lance le Requin de Messine sur les pavés détrempés de Paris-Roubaix à la conquête de son Tour de France 2014.

On lui accorde alors du crédit, ce fameux crédit d’être le dernier équipier à mettre sur orbite ses différents leaders avant que ceux-ci ne portent le coup fatal. En 2017, le départ de Nibali conjugué avec la forme fluctuante de Aru chez Astana le mettent face à de nouvelles responsabilités. En effet, il devient co-leader à 32 ans de la puissante écurie kazakhe. Sur le Critérium du Dauphiné 2017, il décroche à la surprise générale deux étapes, dont la dernière en haut du plateau de Solaison. Son coup de force en Haute-Savoie lui permet de remporter in extremis le Dauphiné, au détriment de Richie Porte, piégé un peu plus tôt par Chris Froome dans le col de la Colombière.

Fuglsang n’avait plus levé les bras depuis cinq ans et sa victoire sur le modeste Tour d’Autriche, soit une éternité pour un coureur de sa trempe. A un mois du Tour de France 2017, son équipe Astana peut maintenant présenter deux têtes pour briller en juillet : Fabio Aru et lui. S’il impressionne en début de Grande Boucle, notamment dans le mont du Chat en formant un duo redoutable avec Aru, il chute lourdement juste avant d’aborder les Pyrénées. Sa double fracture du poignet et du coude le contraignent deux jours plus tard à l’abandon.

Avec le volcan Teide à Tenerife, son meilleur ami pour briller.

Mais Jakob Fuglsang est un dur au mal. Aru ayant fui à l’intersaison dans l’équipe UAE Emirates, le Danois revient aux affaires en 2018 avec toujours plus de responsabilités. Auteur d’un bon début de saison (8ème de l’Amstel Gold Race, 10ème de Liège-Bastogne-Liège, 4ème du Tour de Romandie, 2ème du Tour de Suisse), il joue cependant toujours davantage placé que gagnant, même s’il remporte une belle étape en Romandie, à Sion, en profitant du marquage entre Primoz Roglic et Egan Bernal qui se disputent la victoire finale. Promu leader unique sur le Tour de France, il ne confirme pas les espérances placées en lui en terminant seulement douzième, à près de 20 minutes du vainqueur Geraint Thomas. A 33 ans, il semble avoir laissé passer sa chance.

Cet hiver, l’équipe Astana lui réitère pourtant une nouvelle fois sa confiance. Son sulfureux manager Alexandre Vinokourov, jamais à court d’idées pour faire parler de lui, rendre son sport plus moderne et s’ouvrir à de nouvelles cultures, décide de concocter un clip de rap avec ses coureurs, remettant au goût du jour l’ambiance des stages commando en marge des codes ancestraux du cyclisme. On y découvre alors un Fuglsang sûr de lui, à Calpe, rappant de concert avec Laurens De Vreese, leader au micro de cette musique décapante.

Jakob Fuglsang et son blue gang 2019 en mode Snoopy Doggy Dogg !

« Our leader of the gang, this is Jakob Fuglsang » résume bien ce début d’année 2019 pour Astana, victorieuse à 23 reprises en seulement quatre mois de compétition. Un record pour cette équipe visant d’ordinaire des objectifs plus lointains dans la saison comme les Grands Tours. Le vieux Fuglsang tient la forme de sa vie en jouant la gagne du Tour d’Andalousie en février jusqu’aux classiques ardennaises en avril. Après avoir décroché le classement général de la Ruta del Sol, il finit deuxième des Strade Bianche derrière l’inévitable Julian Alaphilippe, troisième de Tirreno-Adriatico avec une victoire d’étape à la clé, quatrième du Tour du Pays basque remporté par son coéquipier Ion Izagirre, troisième de l’Amstel Gold Race, deuxième de la Flèche Wallonne toujours derrière Alaphilippe, et enfin victorieux sur Liège-Bastogne-Liège, après avoir écœuré tout le monde dans la côte de la Roche aux Faucons, à 15 kilomètres de l’arrivée. Hormis Alaphilippe avec qui il a beaucoup lutté en Italie comme sur les Ardennaises (les deux hommes en sont même venus à se saborder dans le final de l’Amstel Gold Race pour ne pas favoriser les desseins de l’autre…), personne ne lui a résisté ce printemps.

A 34 ans, le discret Danois, natif de Genève, a d’abord grandi à VTT. Sacré champion du monde Espoirs à Fort William en 2007, il est passé sur la route sur le tard en 2009, pour commencer à gagner correctement sa vie de coureur cycliste. Il réside depuis de nombreuses années à Monaco avec sa femme Loulou, mannequin de neuf ans de moins que lui, et sa petite fille Jamie Lou, née juste après son triomphe au Dauphiné 2017. Dans la Principauté, il semble mener une vie paisible, comme la quarantaine de coureurs cyclistes professionnels ayant choisi la douceur du climat de la Côte d’Azur associée à l’inexistence de l’impôt.

Avec sa femme Loulou en Afrique du Sud dans un remake de Pretty Woman.

Dans la foulée de sa médaille d’argent aux Jeux olympiques de Rio en 2016, Fuglsang avait donné une interview rare à la presse en avouant que le cyclisme n’était pas toute sa vie, qu’il n’était pas assez égoïste pour ce sport, qu’il manquait parfois d’ambition, qu’il préférait davantage l’entraînement à la compétition et qu’il ne comprenait pas forcément tout l’engouement qu’il y avait eu autour de sa petite personne à son retour au Danemark suite à sa médaille olympique. La disparition tragique de Michele Scarponi il y a deux ans, renversé par un chauffard en Italie, l’a beaucoup marqué, au point qu’il lui dédie depuis chacune de ses victoires en pointant ses deux index vers le ciel. C’est justement depuis la mort de son équipier transalpin que sa carrière a réellement décollé, comme si ce tragique coup du sort avait révélé en lui sa nature profonde, plus tenace, plus bagarreuse dans l’adversité.

On aurait presque envie de croire à la belle histoire de Jakob Fuglsang : coureur cycliste devenu hyper performant à trente ans passés car il aurait été bridé auparavant par ses différents leaders et directeurs sportifs. Mais il est difficile d’omettre son passé à la Saxo Bank, avec ses grands amis les frères Schleck qui lui ont présenté en 2010 sa future femme ainsi que les bonnes vieilles recettes pour gagner le Tour. Comme avec son patron et compatriote de l’époque Bjarne Riis, alias Monsieur 64% en référence à son année de naissance comme à son taux d’hématocrite lors de sa victoire sur la Grande Boucle 1996 !

Difficile également de ne pas voir le présent chez Astana avec son boss Alexandre Vinokourov. Vino ou l’homme de tous les scandales de ce début de 21ème siècle dans le cyclisme : chassé du Tour de France 2007 pour transfusion sanguine, le Kazakh est également fortement soupçonné d’avoir monnayé sa victoire à Liège en 2010 contre 150’000 euros au Russe Alexandre Kolobnev (le procès repoussé à de nombreuses reprises est toujours en attente de verdict). Ce qui est sûr, c’est que Jakob Fuglsang n’a acheté personne en ce dernier dimanche d’avril sur la Doyenne des classiques tellement il était au-dessus de ses adversaires. La suite de sa saison, et notamment le Tour de France 2019 qu’il abordera en parfait outsider, déterminera véritablement s’il peut voler plus haut…

A propos Thierry Bientz 47 Articles
Après avoir parcouru 250 000 kilomètres à vélo en 20 ans, j'ai décidé de prendre un peu la plume pour raconter le cyclisme...

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