C’est vrai que si tu enlèves ton doigt, je coule ?

La chronique « Vu du Banc » expose des faits de société en lien avec le foot, raconte des histoires en lien avec notre monde.

Parfois, comme ce mois-ci, elle en raconte une moins drôle. Pas moins émouvante. Mais moins drôle.

Faut-il être effaré ou blasé par la nouvelle indiquant que des entraîneurs de foot abusent sexuellement des enfants ? Et rire encore des blagues comme celle qui titre cet article ?

Depuis quelques semaines des centaines de personnes s’adressent chaque jour à la police anglaise pour dénoncer des viols, des agressions sexuelles et du harcèlement dans les clubs de foot. Depuis qu’une victime a décrit son calvaire dans la presse. Des centaines qui disent : « moi aussi, j’ai été violé dans un vestiaire ! »

 

Steve Walter, une des premières victimes ayant dénoncé son agression
Steve Walter, une des premières victimes ayant dénoncé son agression

Que penser de ce que cela implique chez nous, en Suisse romande ? Les entraîneurs, les cadres des équipes de foot d’ici ont-ils quelque chose qui fait qu’ils sont moins vraisemblablement auteurs de violences sexuelles ?

Où le sont-ils tout autant et demeurent-ils protégés par une chape de plomb qui pourrait céder avec fracas ?

Le nombre des cadres des clubs de foot de Suisse romande qui savent qu’un ou deux types louches ont « rôdé » autour des gosses pendant des années, que quelques gosses se sont plaints et ont été éconduits par des « c’est pas si grave, ne t’inquiète pas » et qui seront donc visés par ce que les médias britanniques appellent « protéger les violeurs » est-il élevé ?

On peut continuer à faire comme si on s’en foutait.

Ou pas.

On peut souhaiter que la conversation soit ouverte.

Que le déballage ait lieu. Qu’on sache qui a violé, qui a été violé et qui n’a rien dit.

Mais ça, ça peut faire mal. Très mal. A beaucoup de gens.

Y compris a des gens qui lisent ces lignes et se disent qu’ils ont été le violé, le violeur ou le protecteur du violeur qui renonce à dénoncer l’auteur de ce qui s’appelle un crime au nom de la tradition, de l’impossibilité de devenir un accusateur et de l’idée que cela arrivant vraisemblablement partout, il n’est pas indispensable d’en déféquer une pendule.

Et ça va arriver.

Si on en parle tous ensemble, si on étudie pourquoi c’est arrivé à tant de personnes et ce qu’il faut corriger pour que ça n’arrive plus, on évitera peut-être que tout le monde se Davidhamiltonnise lorsque les plaintes sortiront.

Mais cela demande une maturité que cette communauté (les footeux romands) n’a pas. Il suffisait de se promener autour des prés, des bancs de touche et des tribunes des terrains ce week-end pour s’en convaincre. On est machos. On est patriarcaux. On ne parle pas des zizis des autres dans notre monde. Ou alors en riant gras et en protégeant la conception commune (qui n’est pas souvent notre conception propre mais certainement celle dominante dans le groupe) des femmes comme objets sexuels et de nos vies intimes comme des parcours de héros de film porno sans failles, sans doutes et sans faiblesses.

Image de la campagne anglaise contre les abus sexuels sur les enfants
Image de la campagne anglaise contre les abus sexuels sur les enfants

Plus particulièrement, une question très débattue dans les riches espaces de débat public que sont les bars à bières et les lignes de touche est celle-ci : est-ce qu’ils n’exagèrent pas un peu ces gosses ? Est-ce qu’ils ne se font pas mousser pour intéresser leurs parents ? Est-ce qu’ils ne sont pas même poussés par ces parents à déposer des plaintes pour cacher d’autres problèmes ?

Ces doutes, exprimés par les quelques hommes qui en parlent librement autour des terrains, sont des exemples passionnants de victim-shaming. Cela consiste à blâmer la victime, par défaut, avant d’avoir plus d’informations. D’habitude, on parle de slut-shaming – littéralement blâmer les putes  – qui consiste à choisir comme posture, lorsqu’on apprend qu’une femme a été agressée sexuellement, de considérer que jusqu’à plus ample informé, elle l’a peut-être cherché.

Cette attitude est par exemple assez présente dans les propos de celles et ceux qui chargent les victimes de David Hamilton. Qui prétendent que les femmes violées par le photographe sont à blâmer pour ce qu’elles lui ont fait en révélant ses crimes. Elle l’est aussi dans les clubs anglais qui proposent de payer les victimes pour qu’elles se taisent et dans les fédérations qui prétendent que « elles doutent que cela soit arrivé ».

C’est pile cela qui est dénoncé par les militants pour l’égalité comme étant un élément essentiel de ce qui est appelé la culture du viol. Un terme hyper fort pour désigner une tournure d’esprit dégueulasse et pourtant très courante (que celui qui n’a mis en doute les déclarations d’une victime (Kim Kardashian incluse) en songeant qu’elle n’avait pas exactement fait tout ce qu’il fallait pour que ça ne lui arrive pas me jette la première pierre).

Reprenons : Y a-t-il une épeclée de petits romands qui ont fait des pipes à leurs entraîneurs ? C’est ça la question, hein, s’il faut la formuler comme il faut ? Y a-t-il parmi nous des adultes qui se sont fait astiquer le petit zob par des personnes dans l’entourage du club de notre enfance, qui traînaient dans les douches ?

On peut penser que non. Qu’en Romandie on a ce mélange délicieux de civilisation, de sens de la mesure, de rigueur calviniste et de culpabilité catholique pour que les enfants de nos contrées soient protégés des adultes pédophiles (ah oui, j’oubliais, donc ceux qui font ça sont des pédophiles hein, ni plus ni moins, il faut appeler un chat un chat, ça veut pas dire qu’on ne peut pas en parler mais c’est ça le mot, pas un autre, pas un truc qui fait que c’est un peu moins grave, pas un « oui, bon, ce n’est pas exclu qu’il ait eu quelques gestes un peu déplacé vis-à-vis du petit, mais bon c’est pas arrivé très souvent »).

Si c’est ce qu’on pense, alors on peut attendre avec sérénité l’explosion du scandale chez nous. On se demandera seulement à ce moment-là pourquoi on a attendu autant de temps avant de prendre en compte le fait que les gens qui sont attirés par les enfants choisissent d’être actifs dans des associations fréquentées par les victimes potentielles et ce qu’on a fait de raisonnable pour prendre cela en compte.

Faut-il pour autant attendre avec plaisir le moment ou la Marche blanche ou une autre association extrémiste se saisira du dossier en vogue pour s’aller afficher en une du Matin Dimanche ?

Cette reprise ne manquera pas d’arriver. Les associations dont le fond de commerce est l’agitation des paranoïas sans lesquels on ne parle pas d’elles (et elles n’ont donc plus d’intérêt à exister… je crois qu’on dit que c’est consubstantiel, mais ce mot me dépasse largement) ne pourront pas manquer l’occasion de lancer une initiative pour brandir l’idée de la culpabilité par défaut et requérir des entraîneurs de foot qu’ils se soumettent à des examens psychiatriques pour avoir le droit d’encadrer des enfants, qu’ils soient dotés d’un certificat électronique de mœurs intactes donnant accès aux portes à serrure automatiques dont les vestiaires devront être équipés et que les douches soient vidéo-surveillées par le service de renseignements de la Confédération. Donc, faut-il ou non ?

Oui, si on veut que le trait soit grossier, la caricature totale, la proportionnalité inexistante et la peine de mort garantie. « Non, mais ça veut dire que si tu ne souhaites pas que l’auteur d’une agression sexuelle sur un enfant soit guillotiné c’est que en fait tu es favorable au viol de bébés » et toutes sortes d’assertion dans cette veine, qui aident tellement à faire avancer la société.

Non, si on pense qu’on peut se parler de nos problèmes autrement que dans l’outrance.

Ce n’est pas un problème simple et reconnaître qu’il existe n’est pas le moindre des pas dans le chemin qui pourra nous permettre d’arrêter ça. Pour l’instant, on regarde ailleurs en lisant la presse sur ce qui se passe en Grande-Bretagne.

"Un enfant abusé ne cherchera peut-être de l'aide qu'une seule fois. Le croirez-vous ?"
« Un enfant abusé ne cherchera peut-être de l’aide qu’une seule fois. Le croirez-vous ? »

Pour l’instant, si jamais quelqu’un en parle au bar, on fait souvent comme si de rien n’était.

Ou en tous cas, comme si tout ceci était totalement britannique et on espère être occupé ailleurs le jour où les premières plaintes sortiront.

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