
Dans mes jeunes années, j’ai fait six ans d’EPF. Six ans durant lesquels j’ai appris moultes choses qui me servent encore dans la vie et moultes choses complètement oubliées. Par exemple, j’ai appris à compter, à lire et à écrire. C’est important, dans la vie, de savoir compter, lire et écrire. Comme réfléchir, finalement. Et j’avais un prof – il a plutôt mal tourné maintenant et non, si vous cherchez qui c’est, sachez que ce n’est pas celui d’Ecône – qui nous disait de toujours bien relire ce que l’on remettait avant de remettre et de ne pas « jaspiner des inepties », selon sa formule consacrée. On savait rire, à l’EPF, à l’époque.
Dans sa classe, à la pointe de la technologie (surtout à l’EPF), il y avait un Smaky 100. Avec une souris. Avec un écran noir et vert. Et même une imprimante. Nous y avions libre accès. La technologie à portée de main. Nous étions les rois du monde, avec le traitement de texte et surtout Snake !
Nous apprenions donc à lire, à écrire, à calculer et à utiliser la technologie à notre avantage. À côté de l’ordinateur, il y avait un Larousse pour écrire juste. Ou pour trouver un synonyme. Ou pour passer du temps à regarder les petites figurines qui illustraient certaines définitions finement choisies, en rêvassant à quand on sera plus grand.
Finalement, à l’époque, on était bien dans sa classe, à l’EPF.
Un autre truc qu’il nous disait aussi était que la technologie pouvait nous simplifier la vie, mais que malgré tout, il nous fallait rester éveillés (à l’époque, le terme woke n’existait pas et je ne crois pas qu’actuellement, il soit du côté de ceux qui nous conseillent de « stay woke ») car elle pourrait nous « manger tout cru ». Et il avait sacrément raison, le bougre.
Bon, il avait raison pour le « manger tout cru », mais on a encore un peu de temps devant nous, je crois, car même s’il y a quelques années, on pouvait accuser le stagiaire des pires boulettes publiées intempestivement, force est de constater qu’aujourd’hui, l’IA a remplacé le stagiaire et l’IA fait bien pire que le fameux stagiaire, à mon avis d’ancien de l’EPF.
Prenons quelques exemples vieux de même pas une semaine.
Tout d’abord, l’IA de notre vénérée RTS qui gruge tous les relecteurs et correcteurs du bout du lac et laisse passer ce vil « pléonasme vicieux » comme le qualifie l’Académie française elle-même, Académie qui prend le temps de nous spécifier que l’expression correcte est « remporter une victoire » et non pas « gagner une victoire ».
J’aime d’ailleurs la petite pointe d’humour de l’Académie française qui dit « On peut comprendre que la griserie d’un succès et le fait de l’emporter sur ses adversaires provoquent une forme d’exaltation, appellent l’emphase et conduisent à l’hyperbole, mais la victoire n’en sera pas moins belle pour être chantée dans une langue correcte et un peu plus sobre. » L’IA de la RTS, fan de Servette ?
Autre exemple, venant tout droit du pays de Molière, cet effarant « faute de manque de succès » datant du 7 février, chez nos amis d’Eurosport. Là, à mon avis, il faut appeler le service après-vente. L’IA est détraquée.
Troisième exemple, retour chez nous, chez Watson.ch. Watson qui manie le pléonasme comme Odermatt la tondeuse à cheveux et me fait saigner les yeux avec sa « finale du Super Bowl ». Même Wikipedia sait que le Super Bowl, C’EST la finale, pas besoin de le répéter : « Le Super Bowl est la finale du championnat organisé par la National Football League (NFL). »
C’est un peu comme si un média se vantant d’être un expert du monde du sport balançait semaine après semaine les résultats du « Servette Genève ». On est d’accord, ça n’existe pas. Ou alors c’était y’a longtemps. Ou alors ils étaient ivres.
À l’EPF, j’ai aussi appris l’importance de la ponctuation et notamment l’usage de la virgule, ce que les IA de nos médias semblent pour l’instant maîtriser autant bien que moi un front flip sur une barre rocheuse avec une pente à 55 % droit derrière.
Par exemple, ici, c’est sa deuxième victoire au Canada ? Une IA avec un peu de finesse de langage, un peu de précision, voire même un peu d’empathie et de bienveillance pour son lecteur aurait pu utiliser la virgule et écrire « Deuxième victoire de la saison pour Victor De Le Rue, au Canada », ce qui est quand même plus clair, sachant que sa première victoire cette saison a été remportée (pas gagnée – on ne gagne pas une victoire – remportée) en Espagne et qu’il n’y a eu qu’une seule compétition au Canada, non ?
C’est un peu l’inconvénient avec les IA : tu peux en avoir tout plein qui te font le boulot de base, mais au final, elles restent encore « bêtes à bouffer du foin » (autre expression récurrente de mon prof à l’Ecole Primaire de Fully).
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