A Bertrand

Bertrand Jayet, c’était d’abord une voix. Une voix rauque, profonde et posée. Une voix qui te prenait aux tripes, qui te remuait. Ceux qui n’ont jamais entendu ta voix, Bertrand, ont de la chance. Car moi je sais que cette voix, cette putain de voix magnifique, va me manquer pour le restant de mes jours. Tu avais une voix à faire bander les morts. Maintenant en plus tu sais si c’est vrai.

C’était aussi une plume. Et quelle plume ! Quel bonheur de t’avoir mis le grappin dessus et de t’avoir publié sur Carton-Rouge. Tu as signé pendant des années sous pseudo : c’est que tu ne voulais pas donner l’impression de cracher dans la soupe, m’avais-tu dit, toi qui avais vécu le sport à fond, qui t’en étais nourri, gavé, de ce hockey sur glace qui t’avait tout donné et tout repris, de ce Federer que tu suivais encore et toujours, de ce football dont tu attendais cette coupe du monde avec tant d’impatience, ton premier grand tournoi en tant que retraité… Tu as signé pendant des années sous pseudo, et puis le jour de ta retraite tu m’as dit que non seulement tu continuerais à bosser sur CR, mais qu’en plus tu allais dorénavant signer sous ton vrai nom. Ah ce que j’étais fier d’avoir Monsieur Bertrand Jayet dans mon équipe !

Lors du Mondial 2014, tu devais présenter l’équipe du Portugal. Je me souviens d’une discussion épique sur l’utilisation des clichés un peu beaufs, auxquels tu rechignais. Je t’avais répondu en gros avec toute l’arrogance du rédac’ chef « Oui, on utilise ces gros vieux clichés qui font sourire gras, mais on essaie de le faire finement. C’est vite vu, tu présentes les Tos, si tu ne glisses pas à quelque part qu’ils sont poilus je ne te publie pas ». Et le lendemain ton article commençait par « Le Portugais se qualifie. Souvent. Parfois par les poils – ce qui n’étonnera personne – quelquefois avec panache… ». J’en ris encore.

Tu étais un as de la contrepèterie, un orfèvre de la boutade, un ciseleur hors pair de calembours. Tu étais au jeu de mot ce que Legolas est au tir à l’arc, ce que la Gatling est au mousqueton. Moi qui vendrais père et mère pour un bon titre, j’ai été servi avec toi ! Après une victoire de l’Equateur : « L’Equateur back ». Après un épouvantable Iran-Nigeria « Les fastidieux du stade ». Et il y a quelques semaines encore, pour la présentation de l’équipe de Tunisie 2018 : « Il ne faut pas confondre thune easy et argent facile ». Tu en collais partout, sur ton mur Facebook, dans tes messages WhatsApp aux rédacteurs de Carton-Rouge, dans tes mails… Ceux que tu ne pouvais écrire, tu les balançais en live au gré d’une discussion ou d’une engueulade.

Bertrand n’écrivait évidemment pas que sur CR, il avait bien trop de talent pour se limiter à nos quelques milliers de visiteurs. Il écrivait des pièces épatantes, qu’il jouait souvent quand il ne jouait pas celles des autres. C’était un formidable comédien. Et toujours il glissait ses jeux de mots… Songez que dans ses pièces, les nouilles trop cuites devenaient la pâte agonie… Là aussi, j’en ris encore.

Evidemment en plus d’être une voix, une plume et un stakhanoviste du jeu de mot, Bertrand était d’abord un gars en or massif, qui aura vécu mille vies et sera mort trop tôt dans une nuit de la mille et unième, comme tout conteur qui se respecte. Epicurien, jouisseur, bouffeur (t’expliquer le véganisme, quel sacerdoce !), fumeur – les six derniers mois, ça ne compte pas vieux forban ! – buveur… Putain Bertrand, tu vas tellement nous manquer. Et que tu réussisses en bouquet final à te barrer juste avant le Mondial et à me faire rater Egypte-Uruguay pour ta cérémonie d’adieux, c’est tout toi. Aucun respect de la hiérarchie.

Toute la rédaction de Carton-Rouge se joint à moi pour adresser à tes proches tout le fatras d’imbécillités qu’on s’adresse en ces occasions et qui t’aurait tellement horripilé. Marcel Prévost disait « Je voudrais mourir jeune le plus tard possible ». Tu te seras contenté de mourir jeune. Je t’ai connu plus inspiré.

A propos Yves Martin 247 Articles
Cette Nati a deux vertus : celle de faire rêver quasi tout son peuple, et celle d'emmerder les connards de la fachosphère. Longue vie à elle.

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2 Commentaires

  1. A Notre Bertrand national, tu me manques déjà ! Dieu que tu nous aurais fait (sou)rire lors du début de ce Mondial. Je n’ose même pas imaginer l’article qu’il nous aurait concocter après les 2 buts Suisse contre la Serbie … ? A bientôt l’ami.

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