Quand on connaît pas les règles…

Dopage low cost

À Sierre-Zinal, on n’aime pas les « tricheurs ». Alors quand la grande loterie antidopage en chope un, ou une en l’occurrence, cette année, on lui fait la peau. On le crie sur tous les toits et on en fait un exemple. Pendaison sur la place publique. Lapidation. Méchoui de ce qu’il reste. Et si seulement on s’en prenait rien qu’à la « tricheuse » (qui aurait pu ne pas l’être, selon le règlement : je vous explique plus bas). Non, à Sierre-Zinal, on aime laver plus blanc qu’ailleurs. On frotte plus fort. On suspend aussi l’entourage, pour bien leur faire passer l’envie, à ceux-ci. Dans le Val d’Anniviers, on est comme ça : on vise large, coupable ou pas coupable, tu fais partie de la famille, alors tu paies !

Ainsi, Joyline Chepngeno, lauréate de l’édition 2025 de Sierre-Zinal, a été disqualifiée à la suite d’un contrôle antidopage positif, ont fanfaronné les organisateurs de l’épreuve. « La Kényane a reconnu s’être injectée une substance interdite », souligne l’acerbe communiqué. Et dans la foulée, les organisateurs ont décidé de bannir à vie Julien Lyon, l’entraîneur de la lauréate ainsi que toute sa petite troupe de compétiteurs, pour toutes les éditions à venir. La blague du jour ? La deuxième devient première et la deuxième qui devient première fait partie de quelle équipe ? Celle des Milimani Runners qui est entraînée par… Julien Lyon, évidemment. Et la quatrième devient troisième. Mais elle, on ne la verra jamais sur une photo de podium…

« Le monde du trail sous le choc », titrait éloquemment nos amis du Matin le 11 septembre, en annonçant la nouvelle. Sérieux les gars ? Le monde du trail serait sous le choc d’apprendre que pour réaliser les performances que le monde du trail hallucine de voir – et publie fièrement sur ses réseaux sociaux – année après année, sur des distances toujours plus longues, ses « athlètes » (ses produits, je dirais plutôt, voire sa chair à canon) recourent à des substances les aidant à tenir le choc. Car il est là, le seul et unique choc de l’histoire. Et encore, avec un minimum de connaissance des règles du jeu, il aurait été facile de faire passer la prise médicamenteuse de la Kenyane pour une prise nécessaire, les produits qu’elle s’est injectés pouvant faire l’objet d’une dérogation. Vous savez, les fameuses AUT (Autorisations d’Usage à des fins Thérapeutiques) dont a raffolé Serena Williams (et sa sœur Venus, et le Rafa de Majorque, entre autres, tout au long de leurs belles carrières) et dont je vous ai déjà parlé ici. Sans parler du fait que si l’on veut vraiment se doper, on n’utilise pas le produit pris par Chepngeno, tellement facilement repérable et détectable des mois après ingestion que c’est presque s’il ne rend pas l’urine fluorescente au moment du prélèvement. Moralité : le problème n’est pas ce que vous prenez, mais si vous avez rempli le bon formulaire. L’éthique sportive s’arrête, visiblement, au guichet administratif.

Rembobinons. L’unité d’intégrité de l’athlétisme – ce fameux organisme qui a toujours trois guerres de retard sur les méthodes de dopage – a brandi son carton rouge : deux ans de suspension, résultats annulés, primes envolées, à compter du 8 septembre 2025. Bref, la carrière de Chepngeno passe subitement du mode trail running à « Netflix and chill », les sponsors coupant les ponts à la vitesse de la lumière et la main invisible du Ministère de la Probité, de la Vérité et de la Candeur faisant disparaître les photos compromettantes à la vitesse du çon. #Exit

Et dans la foulée, les organisateurs de la course des cinq 4000 ont décidé, suite à la première suspension d’un athlète de l’équipe de Julien Lyon, en 2022, de bannir l’entraîneur et tout athlète ayant un lien avec lui des prochaines éditions. Sans mention d’une date de fin de suspension. Tu la vois, la belle hypocrisie ? Non ? Alors je t’aide : dans le monde merveilleux du trail, tout le monde a sa part de responsabilité. Les athlètes, obsédés par la prime (€10’000 ici, c’est €500’000 au Kenya). Les sponsors, trop heureux de vendre des chaussures à 200 balles en collant l’étiquette « performance naturelle » sur des coureurs boostés. Et les organisateurs, qui brandissent un règlement maison dès qu’ils doivent sauver la face, tout en s’assurant que les stars alignées sur la ligne de départ leur apportent leur lot de vues. Et qui ajoute « nous nous réservons le droit de demander un indemnisation pour atteinte à l’image de l’épreuve ». Dekysmokton ?

Conclusion

Le dopage en trail, ce n’est pas une dérive : c’est le mode d’emploi officiel, un business model. On ne lutte pas contre le dopage : on lutte contre ceux qui se font attraper. Les vrais cracks ne sont pas ceux qui courent le plus vite, mais ceux qui savent remplir un formulaire médical en temps et en heure (on te voit, toi, l’ancien préposé au fax du Servette FC). Ceux qui se font choper ne sont pas des tricheurs hors-normes, juste des crétins qui ont fait la moitié du travail (on te voit encore et toujours).

Quant aux belles « valeurs du sport » en haut des podiums, elles tiennent grâce à trois choses : des communiqués pleurnichards, des hashtags pseudo-inspirants et une bonne couche de foutage de gueule.

 

A propos Olivier Bender 47 Articles
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