
Oui, c’est un long titre un peu fumeux. On a peur de s’être tiré une balle dans le pied. Bref, ça fait un petit moment qu’on voulait pondre une diatribe sur le sujet, mais il a fallu attendre que les hauts cris poussés par les fans de Vinicius Jr. depuis le 28 octobre 2024 au soir perdent un peu en intensité pour pouvoir s’entendre penser la moindre. On vous rassure, lesdits hurlements stridents ont été remplacés par ceux de l’extrême droite française dès la fin de la sauterie que le Théâtre du Châtelet consacre chaque année au beautiful game, mais ceci est une autre histoire qu’on n’abordera pas ici. Non, ce qui nous intéresse, c’est le Ballon d’Or féminin 2025 et ses arcanes un chouïa obscures. Certes, l’obscurité est en général le propre des arcanes, mais le charme désuet du pléonasme mérite parfois d’être remis au goût du jour.
Puisqu’on parlait de cris et autres hurlements, on avoue volontiers qu’on n’était pas les derniers à beugler notre désarroi à l’annonce de la lauréate du plus prestigieux des prix du football mondial (ou pas). Pas parce qu’on n’aime pas Aitana Bonmatí (on aime tout le monde à la rédac’ de CR, voyons) ni parce qu’on n’est pas convaincu qu’elle n’est pas intrinsèquement la meilleure joueuse du monde (elle l’est) ou même l’une des meilleures joueuses de tous les temps (ou en tout cas de la très courte histoire du foot féminin de très haut niveau).
Non, ce qui nous chiffonne, c’est qu’en fait tout cela n’est pas du tout la question à laquelle devait répondre le panel de votants lundi 22 septembre dernier (et les gens qui ne lisent pas les consignes nous fatiguent, déformation professionnelle). Il s’agissait d’élire la meilleure joueuse du monde entre le 1er août 2024 et le 2 août 2025. Et dans ce cas, on n’est de loin pas les seuls à penser que Mariona Caldentey (Arsenal/Espagne) et Alessia Russo (Arsenal/Angleterre), voire même peut-être Alexia Putellas (FC Barcelone/Espagne) ou encore Chloe Kelly (Arsenal/Angleterre) devaient allègrement lui passer devant. On n’intercédera pas en faveur de Patri Guijarro (FC Barcelone/Espagne) ou de Leah Williamson (Arsenal/Angleterre) car ce sont des joueuses à vocation plus défensive qui agissent dans l’ombre et on sait reconnaître une bataille perdue quand on en voit une. Et ce malgré notre passion irréfrénée pour les moulins à vent ibériques.
Melchie Dumornay dans ses œuvres samedi à Lyon. L’Haïtienne de 22 ans a terminé 18e et donc sans prix. Pour tout le reste, il y a MasterCard.
Tout ça pour vous dire que le jury ne devait pas décerner ce trophée à Aitana. Surtout après avoir admis qu’Arsenal, vainqueur de la Ligue des Championnes, était la meilleure équipe de l’année, que Sarina Wiegman (répète après moi, Fabio: « SA-RI-NA »), manager de l’Angleterre championne d’Europe, était la meilleure coach et que Hannah Hampton, membre de la sélection que l’on vient de nommer, la meilleure gardienne. Oui, Vicky López (FC Barcelone/Espagne) a été élue meilleure joueuse de moins de 21 ans loin devant Michelle Agyemang (Arsenal/Brighton/Angleterre), mais comme cela ne va pas dans le sens de notre argumentation, notre proverbiale mauvaise foi nous dicte d’ignorer ce détail.
Selon les données ultra objectives qu’on a décidé de prendre en compte, ce machin ne fonctionne donc pas. Pour des raisons de fluidité, si vous n’êtes pas d’accord avec nous, on vous priera d’arrêter de lire ici et de ne surtout pas commenter cet article. Fichtre, nous voilà presque prêts pour notre premier discours au siège new-yorkais de l’ONU (pour autant que l’escalator nous y emmenant fonctionne).
Pour comprendre ce qui clochait dans les coulisses de cette cérémonie pourtant en apparence aussi bien orchestrée qu’une déclaration improvisée de Roger Federer en marge de sa Laver Cup, on a décidé de s’asseoir pour lire (des articles) et écouter (des podcasts) pendant quelques heures. Voici ce qui en ressort: tout d’abord, il s’avère que si le jury du Ballon d’Or masculin est composé de journalistes représentant les 100 pays les mieux classés au monde, chez les femmes, seules les 50 meilleures nations envoient un électeur ou une électrice, ce qui semble déjà poser un léger problème de représentativité. Il est par exemple intéressant de savoir que le Maroc (64e), finaliste sortant de la CAN féminine, n’avait par conséquent pas de droit de vote dans ce système (pour autant qu’on ait bien tout saisi, ce qui est évidemment loin d’être acquis). Aucun lien avec le fait que seules Barbra Banda (Zambie, 14e) et Temwa Chawinga (Malawi, 17e) représentaient l’Afrique au palmarès cette année bien sûr.
Le deuxième problème immédiatement identifiable semble être la sélection des 30 joueuses nommées par les rédactions de France Football et de L’Equipe, deux titres à mille lieues d’être des chantres du foot féminin depuis la nuit des temps. Si on doutait encore de cet état de fait, il suffirait par exemple de se référer à l’oubli impardonnable de Caroline Graham Hansen jusqu’à l’année dernière.
Voilà qui nous amène directement à la problématique suivante, soulevée par le podcast du Guardian dans son épisode de mardi dernier: contrairement au Ballon d’Or masculin qui peut se payer le luxe de former un panel de votants strictement spécialisés dans le domaine du foot masculin (sauf l’année où Nicolas Jacquier a représenté la Suisse), c’est loin d’être le cas du côté féminin, surtout lorsqu’on descend dans le classement FIFA et donc dans l’importance (notamment médiatique) accordée à ce sport dans les pays concernés.
Il est fort aisé de prendre notre belle Helvétie (24e) comme exemple: citez-nous le nom d’un(e) seul(e) journaliste travaillant pour un média d’envergure nationale qui se consacre uniquement au suivi du foot féminin chaque week-end sur la saison entière en-dehors de Seraina Degen (on vous attend au bar du coin, on risque d’avoir le temps de descendre quelques bières avant de vous voir arriver avec une réponse). Sans compter tous les opportunistes qui sont montés dans le bandwagon pendant l’Euro et qui en sont très vite redescendus en août. On vient d’ailleurs de se désabonner d’une newsletter foot – pourtant fort prometteuse pendant un mois – pour cette raison. Dans ces conditions, il est évidemment facile en tant qu’observateur plus ou moins lointain et plus ou moins intermittent du jeu accordé au féminin de faire ce que So Foot a très justement qualifié de « choix de la paresse ».
À part ça, on vous en dirait bien un peu plus sur l’identité de ce fameux panel d’électeurs, mais la liste exacte semble dissimulée au même endroit que les dossiers de l’affaire Epstein, dans les catacombes du Pentag… ah ! Attendez ! Il a fallu 6 jours, mais elle est enfin sortie ! Juste le temps de s’auto-taper sur l’épaule pour avoir deviné juste le nom de la représentante rouge à croix blanche et d’essuyer nos larmes d’hilarité à la lecture de certains votes lunaires (dont, contre toute attente, le vote suisse) et on vous en extrait la substantifique moelle.
Eh bien figurez-vous que là on ne croit plus trop à notre dernier argument puisqu’Aitana ne doit pas sa victoire à son nombre de citations en première place (12 contre 15 pour Mariona), mais bien à son nombre de mentions totales (49 contre 44), à l’indécision de certains juges (Russo, Kelly et Patri sont mentionnées plus d’une fois en tête) ainsi qu’à certains votes lunaires (le Brésil et l’Argentine ont offert 15 points chacun à Marta, l’Autriche a plébiscité Claudia Pina et nommé Johanna Rytting Kaneryd, Ewa Pajor, Cristiana Girelli et Klara Bühl, mais pas Mariona, le juge italien a probablement découvert le foot féminin avec les matches de l’Italie à l’Euro, enchaîné sur la finale du même tournoi, regardé les highlights de la Copa América et donc inscrit les noms d’Amanda Gutierres (2e), Sofia Cantore (4e) et Cristiana Girelli (5e) un peu au hasard sous celui d’Aitana et son collègue espagnol a sélectionné 4 de ses compatriotes dans son top 5, mais en demandant à ChatGPT de les classer dans un ordre aléatoire au préalable).
On termine avec le vote qui nous paraît le plus sensé et deux de ceux qui nous ont fait rire le plus fort:
Pernille Harder 2e du Ballon d’Or en 2025, c’était un pari perdu, c’est pas possible autrement ! Quant au vote de notre compatriote, on ne sait vraiment pas par où commencer… 😱 (source: L’Equipe)
Une fois ce (gros) souci résolu, il ne restera plus qu’à changer l’approche géographique de ce prix qui, encore une fois, se base sur un paradigme entièrement masculin qui veut que l’Europe domine voire écrase le monde, en tout cas au niveau de ses clubs. Ignorer la National Women’s Super League américaine, la CAN féminine (WAFCON en anglais ou CAF en français pour être tout à fait correct) et la toute récente Copa América (sauf le journaliste italien, on le rappelle), c’est encore une fois prouver sa méconnaissance du sujet. Seules huit joueuses non-européennes figurent en effet dans le classement final dont aucune dans le top 10. Marta, candidate notoire au titre de GOAT, est la première ressortissante d’un autre continent, à la 12e place (et on a maintenant compris que c’était en plus grâce à deux électeurs-groupies). La Brésilienne a pourtant remporté le championnat étasunien avec Orlando Pride et volé la Copa América à la Colombie en finale quasiment à elle toute seule, le tout à 39 ans. Franchement, on s’attendait presque à ce que Sam Kerr (5 nominations, un record partagé avec Lucy Bronze), qui vient de faire son retour au jeu après… 634 jours sur la touche pour cause de ligaments croisés du genou déchirés fasse partie de la liste à ce stade.
Allez, un dernier sujet embarrassant pour la route. Et on avoue volontiers qu’on n’est pas encore suffisamment déconstruit pour l’avoir remarqué immédiatement alors qu’il aurait dû nous sauter aux yeux, tous crampons dehors, tel Pepe au faîte de sa carrière d’éventreur des surfaces de réparation. Tout à notre joie de savoir que la meilleure gardienne et la meilleure jeune allaient enfin pouvoir être récompensées par les Trophées Yachine et Kopa et ainsi rejoindre les lauréates des Trophées Johan Cruyff (meilleure coach) et Gerd Müller (meilleure buteuse), il a fallu qu’on attire notre attention sur le fait que les noms de ces récompenses étaient quand même complètement cons. Allez, on aide ceux (et peut-être celles, mais on imagine que non) qui ne voient toujours pas: a-t-on décidé de renommer la Fed Cup la Bobby Riggs Cup au moment de la réformer ? Le trophée féminin de Roland-Garros s’appelle-t-il la Coupe Yannick Noah ?
Y’a du boulot les gars, on espère que vous savez par où commencer… On nous a soufflé deux ou trois suggestions sur les réseaux sociaux si jamais: les Trophées Marta, Birgit Prinz ou encore Hope Powell ne sonneraient paraît-il pas trop mal. Et Megan Rapinoe, n’en déplaise à certains enfarineurs publics lausannois, remplacerait avantageusement Sócrates une année sur deux puisque le prix récompensant le travail humanitaire d’un ou une footballeur-euse transcende apparemment les genres.
P.S. Vous avez vu ? On vous a calé tout le podium (et même une bonne partie du top 10) du Ballon d’Or sur une même photo de tête et Aitana a même accepté de se tenir en retrait pour bien souligner notre thèse principale.
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