Société 1 – Dignité 0

23 Grands Chelems, c’est bien. 23 kilos en moins, c’est mieux

Je pensais vraiment que la GOAT des GOATs, Serena Williams, était invincible, la preuve vivante que l’on pouvait être bien dans son corps sans s’incliner devant l’obligation de faire montre d’un 36 fillette. Mais voilà, la dictature du corps parfait vient de lui infliger son premier 6-0. La reine des courts, celle qui avait pulvérisé, avec une facilité déconcertante, les normes, avec ses bras de gladiatrice et ses cuisses de panthère, celle qui, match après match, défonçait et ses adversaires et les préjugés avec son service à plus de 200 km/h, elle, la joueuse qui avait longtemps symbolisé la résistance aux diktats du corps photoshopé instagrammable en assumant son anatomie puissante, musclée, si différente des silhouettes éthérées des mannequins posant pour Elle et Vogue, devient l’égérie officielle du fantasme anorexique 2.0. Une vraie victoire féministe !

Et oui… coup de théâtre : voilà que Serena, en fin de carrière tennistique (devant certainement se trouver un job pour pouvoir – dans son beau pays tellement great again depuis le retour du guignol orange – garder son assurance maladie), devient influenceuse minceur. La championne qui avait bâti un empire en expliquant qu’il fallait aimer son corps vient de nous confier que, finalement, son corps a elle, pour l’aimer, avait besoin d’une petite (longue) série de piquouses (la première ?) amincissantes.

Des fois, je me demande si c’est moi qui place trop d’espoir envers les gens « importants » ou si c’est seulement eux qui sont trop décevants.

On aurait pu croire que Serena (de latin serenus, signifiant « serein, calme, ou pur »), après avoir survécu aux gangs écumant les ghettos de Compton (connue pour avoir la plus haute criminalité des États-Unis), au racisme systémique dans le tennis et en dehors (même si elle n’a jamais eu, à ma connaissance, affaire à la police de Lausanne pas besoin de vous faire un dessin, hein?) et à Sharapova (blanche, blonde, filiforme, etc…), allait enfin vivre sa retraite sportive en paix. Mais non. Trop banal. Pourquoi siroter des margaritas en Floride quand on peut tourner des pubs pour Ro, l’entreprise américaine pharmaceutique spécialisée dans deux des plus grandes causes humanitaires : l’impuissance et les complexes de poids ?

« J’ai tout essayé, j’étais mal dans ma peau, je voulais redevenir moi-même » Serena Williams

Évidemment, ce n’est pas juste une pub, c’est une « libération », comme elle le dit si bien, en ajoutant que maintenant, elle se sent « plus légère, plus sexy, plus sûre d’elle ». Traduction : son corps, celui qui a dominé la planète tennis pendant deux décennies, n’était pas « assez bien ». Il fallait ces injections que toi, toi et toi, mes chéries, devez vous offrir également si vous voulez « devenir mieux ». Et arrêter cette p***** de zumba épuisante du mardi soir.

Et comme si cela ne suffisait pas, les génies du marketing ont calibré la campagne pour être « inspirante ». Le message ? Si tu es une légende, une femme noire qui a dynamité les codes d’un sport élitiste et que tu as prouvé que la force est belle, bah… en fait non. La vraie victoire, c’est de rentrer dans le plus pur des jeans, en taille 36 (regarde ici, Sidney !). Roland-Garros, Wimbledon, l’US Open ? Juste des amuse-bouches. La vraie finale, c’est face au miroir. Difficile de faire plus anxiogène. 

Hier, Serena incarnait la lutte contre les standards de beauté ; aujourd’hui, elle incarne surtout la possibilité de monétiser le mal-être générationnel du kilo en trop, en « brisant un tabou ». Un peu comme Marlboro dans les années 60 : ce n’était pas pour vendre des clopes, c’était pour « libérer la femme ».

« J’en ai vu des faux-culs, mais là, Serena, c’en est une synthèse. » Moi-même

C’est beau, une carrière qui finit si sereinement : la plus grande joueuse de tennis de tous les temps est devenue la plus grande victoire… de l’industrie de la grossophobie.

Sans complexe.

Business as usual.

P.-S. en forme de devinette :
Quelle est la différence entre Serena Williams et Nestlé ?
Nestlé a un code de déontologie. Qui est appliqué. Avec force. #lol

A propos Olivier Bender 48 Articles
Si j'étais de bonne foi, croyez-vous vraiment que j'écrirais ici?

Commentaires Facebook

Soyez le premier à commenter

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.