
Amis lausannois, si vous vous rendez à Rauma le 29 août prochain, vous ne serez peut-être pas aussi dépaysés que vous le croyez. D’accord, vous risquez d’être accueillis par un « Mnää ole Raumalt, mist snää ole? ». Ou peut-être pas, étant donné que les Finlandais n’ont pas pour habitude de parler aux étrangers inconnus (pas plus qu’à d’autres Finlandais, d’ailleurs). Mais quand on y pense, les Finlandais ont plus en commun avec nous autres Suisses qu’il n’y paraît. Par exemple, les deux parlent en majorité un langage qui donne au commun des voyageurs l’impression de se faire constamment engueuler, et les deux ont un voisin de gauche méprisant et généralement honni. Et comme la Suisse, la Finlande a sa ville qui, géographiquement, culturellement et historiquement, se sent quand même un peu plus proche de son voisin de gauche méprisant et généralement honni qu’elle ne veut bien l’admettre. En Finlande, cette ville, c’est Rauma, en témoignent les couleurs de son club de hockey. Atelier de serrurerie, renard fou et Monsieur Spock : ce n’est pas le nouveau remake raté d’un blockbuster à succès des années 90, c’est notre nouvel épisode de klubibbing, qui vous souhaite la tervetuloa dans le grand nord !
L’histoire complètement bidon du club
Nous sommes en plein Moyen Âge. Les Suédois ont tout fraîchement fait acquisition de deux éléments constitutifs de leur identité : le christianisme et le hockey sur glace. Dans le but de répandre par la force la parole du Seigneur d’une part et les prolongations à 5 contre 5 jouées selon la règle de la mort subite d’autre part, ils ont la brillante idée de partir en croisade. En bons vikings, ils s’arment aussi lourdement que possible et se vêtissent aussi peu que nécessaire, traversent le Golfe de Botnie et débarquent à Rauma.
Là, ils ont la surprise de trouver tous les habitants de la ville claquemurés chez eux et toutes les portes verrouillées à double tour par des cadenas massifs. Les Suédois sont persuadés d’avoir affaire à une stratégie de défense sophistiquée, ne sachant pas qu’ils faisaient simplement face à une habitude locale très répandue (et qui perdure aujourd’hui). Au lieu de forcer les verrous des portes ou de brûler les maisons, ils tentent dans un premier temps l’approche « chants liturgiques ». Personne dans cette ville n’ayant jamais entendu aucun humain parler autant (encore moins chanter), les lokkaux préfèrent rester sagement enfermés.
Les Suédois passent donc au plan B : ils chaussent leurs patins, sortent leurs crosses et leur puck et, au premier contact de celui-ci avec la glace de Rauma, de nombreux habitants sortent finalement de chez eux. Les Suédois s’efforcent alors de leur expliquer les dogmes du hockey mais, avant qu’ils n’en soient arrivés à l’annulation de la règle du dégagement interdit en cas de situation à 5 contre 6, les hommes de Rauma verrouillent la zone neutre, trouvent toutes les clés pour se débloquer des angles de tir et collent une rouste traumatisante aux Suédois.*
De quoi apprendre aux Vikings qu’en Finlande, on jouait déjà très bien au hockey avant eux. Constatant que leur mission d’évangélisation a porté ses fruits, les Suédois acceptent la défaite et quittent Rauma pacifiquement, laissant leur bannière en cadeau de départ. Les habitants de la ville décident d’en faire tout un rauman, précisément le Rauman Lukko, nouveau club de hockey aux couleurs suédoises.
Couleurs, symboles et mascotte à la con
Mais avant d’en venir aux couleurs, il semble qu’il y ait plus important au sujet du club de Lukko Rauma : son symbole pour le moins inhabituel. Les théories divergent à ce sujet (celui de son origine, pas celui de savoir si c’est un symbole un peu naze pour un club de hockey) : certains prétendent que le cadenas symbolise l’impassibilité des Raumiens voire, raccourci subtil, leur esprit défensif, d’autres que ceux-ci se sont inspiré d’un club de foot qui s’appelait le Haka (en Finnois « attache », « verrou », « enclos » ou « monoxyde de carbone » si on se risque à lui ajouter des trémas). Ce qui est sûr, c’est que cette petite guéguerre d’egos sur fond de quel objet verrouille le plus efficacement ne sert pas le commun des mortels d’aujourd’hui qui, en arrivant sur le site du club de Rauma, se croirait plutôt chez Fust.
Le Lukko Rauma, seul club de hockey du monde à faire également « atelier de serrurerie » pour arrondir les fins de mois.
Que le Lukko Rauma ait été la 2e meilleure défense du championnat finlandais lors de la saison 24-25 ressemble finalement surtout à une coïncidence. De fait, ce nom est plutôt à placer dans la liste des noms dépaysants que portent en général les clubs finlandais : la hache de guerre de Tampere, l’as de pique de Pori, ou encore le KooKoo de Kouvola, dont le LHC a tiré son nouveau chef matériel et J.K. Rowling un club de Quidditch.
Mentionnons tout de même qu’une tentative d’opter pour un logo plus, disons, conventionnel, a été amorcée au tournant du 2e millénaire, probablement afin de donner une image plus capitalism-friendly au club (Oui, parce que des peluches en forme de cadenas, bon). A alors été introduit Eetu le renard qui a, pendant une dizaine d’années, orné le maillot des joueurs de Rauma.
Ben oui, la photo vient de Wikipedia, excusez-nous de pas avoir de maillot du Lukko Rauma datant d’entre 2001 et 2011 qui traîne à la cave comme tout le monde.
Sauf que, contre toute attente, les fans eux-mêmes ont fini par faire entendre leur voix en faveur du retour de l’ancien logo, soit du cadenas. Qui l’ukkru ? N’en déplaise aux inconditionnels du cadenas, Eetu a perduré sous la forme de la mascotte locale, de figurine, de peluche, Eetu ça. Mais vous l’a-t-on déjà dit ? Les Finlandais ne s’y connaissent pas beaucoup en émotions. Rien d’étonnant donc, dans un pays où on élève les enfants à coups de siestes en extérieur par -20 degrés, à ce que la mascotte en question ait été recrutée dans l’armée de la Sorcière Blanche de Narnia plutôt que dans les Fables de La Fontaine.
Après le Lion Burger King et le Bison « prise du Capitole », voici le Renard assoiffé de sang qui a sa chambre à l’année à l’hôtel Overlook.
Et quant aux couleurs… mais oui, bingo ! Ils ont simplement repris celles de la ville, et jouent donc en bleu et jaune, couleurs inspirées soit des relations historiques de la ville avec le voisin de gauche méprisant et honni, soit du FC Venoge, au choix.
Ville, stade et supporters
Rauma, ça jette un froid, mais pas que. Il faut dire que la ville a vécu beaucoup de hauts et de bas durant sa longue histoire. En 1550, par exemple, lorsque les autorités ont tenté de forcer les habitants de Rauma à déménager à la nouvellement fondée Helsinki, sans succès, prouvant qu’il y a quand même un domaine où l’humain s’est amélioré depuis 500 ans : les déplacements forcés de populations. Au XVIIe siècle ensuite, durant lequel Rauma eut le mérite de survivre à deux incendies de grande ampleur en 40 ans, et ce alors même que (ou peut-être grâce au fait que) sa température moyenne annuelle dépasse à peine le zéro degré. Rauma possédait aussi la plus grande flotte de Finlande jusqu’à ce qu’à la fin du XIXe siècle, les Finlandais s’aperçoivent que leur plus grande flotte bénéficierait sans doute de mouiller dans un port où la mer n’est pas gelée la moitié de l’année. Bref, Rauma, ville à la riche histoire qui a même son propre dialecte local, prouvant qu’elle n’a rien à envier à une ville suisse.
Il y a en revanche moins à dire sur la Kivikylän (prononcez : « kivikulèn ») areena (prononcez : « arééna ») de Rauma, littéralement « le village de pierre ». On sait pas vous, mais on a dans l’idée que ce nom traduit plus l’ambiance intérieure habituelle de la patinoire que son apparence extérieure.
Ben oui, la photo vient de Wikipedia, excusez-nous de pas avoir la Kivikylän areena en bas de chez nous.
Le village de pierre (et aussi un peu de verre et de bois) compte donc 5’400 places, mais attention, on n’est pas en République tchèque, on est en Finlande, et (l’a-t-on déjà dit ?) les Finlandais ne sont pas connus pour être de grands amateurs d’émotions. Il n’est donc pas étonnant que la Kivikylän compte à peine plus de places debout que la Swiss Life aréna de nos amis zurichois ou que le secteur visiteur de notre Vaudoise aréna à nous. Ce qui est étonnant, c’est plutôt qu’elle ait des places debout. Quant aux supporters du Lukko Rauma, malgré une réputation de fidélité à domicile comme à l’extérieur, on se rappelle n’en avoir compté que trois à Genève pour la demi-finale de Champions Hockey League de l’année dernière, contre une bonne centaine de supporters de l’Ilves Tampere à Lausanne en phase de ligue l’automne dernier. Cela vaut ce que ça vaut, mais il est probable que le niveau sonore du match qui opposera le Lukko au LHC en août prochain rende également hommage au FC Venoge.
Le joueur qui pourrait avoir sa statue à l’entrée du stade
Comme pour beaucoup de clubs, et de façon assez peu surprenante, il faut chercher un tel joueur dans les années où les gardiens de hockey étaient à peu près aussi protégés que les minorités étrangères aux États-Unis aujourd’hui. Et à ce jeu-là, le pendant raumien façon Monsieur Spock décoloré du regretté Claude Verret se nomme Jari Torkki. Bien qu’il soit retraité depuis plus de 20 ans, il est toujours recordman des points, buts, assists et buts par saison du Lukko Rauma. Qui plus est, il a quitté le club avec plus de points marqués (491) que de matchs joués (489), et il est également troisième joueur le plus pénalisé de l’histoire du club (avec plus de minutes de pénalités (524) que de matchs joués). On appelle ça un joueur complet.
Joueur complet ET stylé.
Le joueur à placer sur une case mot compte triple
« Ah ! Si seulement le Scrabble comptait plus de « k » ! » Voilà une phrase qu’aucun joueur de Scrabble francophone n’a jamais prononcée, mais que vaudrait pourtant bien le jeune du cru Onni Korkka. Las. Oubliez vos 99 points. De toute façon, le Scrabble français ne compte qu’un « k » et le Scrabble finlandais n’offre que deux piètres points au « k », tout comme au « o ». Pas étonnant, au fond, pour une langue dans laquelle « Kokoo kokoon koko kokko ! Koko kokkoko ? Koko kokko. » constitue un dialogue parfaitement sensé.
Et honnêtement, à voir la tête du gars, on a de la peine à croire que lui-même y comprenne un traître mot.
Si le club était une bière
La montagne, ça vous gagne, c’est bien connu. Mais en ce sens, le sud de la Finlande reflète assez bien le tempérament de ses habitants (à savoir, plat). Heureusement, la sahti, ça vous titille (même quand celle-ci s’accompagne d’une TVA à 25% visant à éviter que les périodes de jours et de nuits polaires ne s’accompagnent d’une augmentation proportionnelle du nombre de cas de comas éthyliques).
Bière traditionnelle de type sahti, la Kullervo est brassée à Rauma et nommée d’après un héros tragique du Kalevala (la plus célèbre épopée finlandaise) dont l’histoire de violence et de souffrance nous rappelle un peu Mark Barberio, sauf que lui n’a pas (encore, aux dernières nouvelles) violé sa sœur avant de se suicider avec sa propre arme.
Bière de seigle épaisse dont la fabrication remonterait à 3’000 ans, la Kullervo a donc environ l’âge qu’aura Andrea Glauser quand son contrat avec Fribourg-Gottéron prendra fin. Convaincus par cette vénérable longévité ? Vous pourrez la déguster après le match Lukko-LHC dans un bar local appelé « hullu hirvi » (« l’élan fou ») situé à quelques rues de la Kivikylän areena en vous disant, au choix, que cette année, elle est pour nous, cette coupe, ou que de toute façon, cette Champions Hockey League, on a bien raison de ne pas la prendre au sérieux pour se préoccuper du championnat.
Ok, et actuellement ?
Pas grand chose à dire de plus sur le Lukko Rauma qui approche gentiment de son nonantième anniversaire. Pas étonnant que mon confrère ait eu recours à la carte « pesäpallo » pour meubler sa présentation du club il y a quelques années. Le Lukko Rauma nous apparaît comme un parfait club finlandais, discret, distant, résistant, et un peu froid, à l’image de son logo. Du succès, mais pas trop non plus. De la constance dans les meilleures formations finlandaises ces dix dernières années, mais aucun titre à la clé. Une première place en saison régulière la saison dernière, mais une élimination en demi-finales des play-off. Tenez, si le fameux dicton « never too high, never too low » était un club, ce serait probablement le Lukko Rauma. Pas de quoi en faire une chanson, donc, contrairement à notre prochaine destination, puisque, comme on se tue à vous le dire, klubibbing will return.
Crédits photographiques :
https://www.raumanlukko.fi/
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Rauman_Lukko_fan_jersey.png
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Janne_Ker%C3%A4nen_2012.jpg
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:%C3%84ij%C3%A4nsuo_arena_entrance.JPG
https://www.olympedia.org/athletes/98331
https://untappd.com/b/ylikyla-kullervo/1812405
*Ouf, le quota de jeux de mots est atteint pour cet article, je ne serai pas licencié pour cette fois.
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