180° Sud, partie 2 : le lancement

Avec l’échec préalable de deux des trois franchises localisées dans des contrées peu propices à la pratique du hockey, rien n’a bougé durant près d’une décennie. La volonté de la LNH de procéder à son élargissement ainsi que l’arrivée de Bettman ont alors secoué le cocotier. Le but chiffré était le suivant : faire passer le nombre d’équipes à 28 et doubler les revenus afin d’atteindre la barre des 800 millions de dollars d’ici la fin du siècle.

Ce plan directeur instauré initialement en décembre 1989 a alors conduit à la deuxième vague d’expansion à l’aube des années nonante. En 1991, les Sharks de San Jose furent la première franchise matérialisant cet objectif ; la venue de Wayne Gretzky aux Los Angeles Kings avait en effet suscité un intérêt grandissant pour le hockey en Californie. Contraints d’évoluer durant deux saisons à San Francisco dans une petite arène de 10’888 places (le Cow Palace) en attendant l’achèvement de la San Jose Arena, les débuts furent difficiles pour les Sharks : ils ne remportèrent que 17 matchs sur 80 en 1991/1992. Ironie du sort, les frères Gund, propriétaires de la concession, avaient été autorisés à prendre les meilleurs joueurs des Minnesota North Stars suite à l’accord qui avait permis la création des Sharks. Toutefois, Minnesota était parvenu à se qualifier pour les séries…


Le Cow Palace, une minuscule arène perdue.

La saison suivante, San Jose parvint à battre deux records de la Ligue nationale de hockey, mais pas dans le sens escompté. Ses 24 points obtenus ainsi que les 71 défaites cumulées en 84 rencontres constituèrent le pire bilan qu’une équipe de la LNH n’eut jamais connu. L’hémorragie cessa enfin lors d’une troisième saison suffisamment bien maîtrisée pour accrocher une place en séries pour la première fois de l’histoire de la franchise. En 1995, San Jose réussit même à décrocher pour la deuxième fois son billet pour les séries. Mais cette saison comme la précédente, les Sharks se feront logiquement sortir au stade du deuxième tour. Néanmoins, la concession californienne a montré de grands progrès et est enfin devenue respectable.

Les premières auditions

Nous sommes en 1992. Cinq villes candidates sont sur les rangs pour accueillir une nouvelle concession après les désistements de San Diego, Milwaukee et Houston. Il ne reste donc que Miami, Tampa, Ottawa, St-Petersburg et Hamilton, soit deux prétendants canadiens et trois floridiens. Pour faire partie des heureux élus, les papables doivent remplir quatre critères : être situé dans un marché large, avoir une enceinte décente, posséder un propriétaire solvable et payer une taxe d’expansion de 50 millions de dollars. À l’arrivée, deux villes seront choisies  et pourront débuter leurs activités lors de la saison 1992/1993.
À l’issue du processus de sélection, la ville de Tampa fut choisie en raison de son plus grand marché potentiel et du plan de financement d’une arène spécialement conçue pour le hockey. Dirigé par l’ancien propriétaire des Rangers Phil Esposito, le Lightning de Tampa Bay allait toutefois débuter la saison dans une modeste patinoire de 11’000 places, puis dans le Suncoast Dome de St-Petersburg – un stade originalement conçu pour le baseball – et renommé Thunderdome pour l’occasion. Ce dernier possédait une capacité de près de 30’000 places et a permis au Lightning de détenir un temps le record de la plus grosse affluence pour un match de la LNH, avec 28’183 spectateurs lors d’un match contre les Flyers de Philadelphie. Finalement, il a fallu attendre cinq ans avant que Tampa Bay ne puisse jouir de son propre amphithéâtre dévolu au hockey, l’Ice Palace.


Chris Kontos (16), le 1er buteur de l’histoire de Tampa Bay.

Avec Tampa, l’autre lauréat fut la ville d’Ottawa. La capitale fédérale du Canada possédait alors le plus grand marché de hockey qui n’était point dotée d’une équipe professionnelle. Ce choix a aussi permis de calmer un peu les Canadiens en général, irrités par la décision de la Ligue nationale de hockey de s’étendre en direction du sud.

Cible au sud verrouillée

Le 10 décembre 1992, deux nouvelles franchises d’expansion furent inaugurées. Miami, recalé en première instance, a finalement obtenu une concession dont le but officieux était de créer une rivalité avec l’équipe de Tampa. Les Florida Panthers purent alors débuter leur aventure dans la Ligue nationale de hockey dès la saison 1993/1994. La stratégie inhérente à l’établissement d’une seconde concession en Floride était aussi de pouvoir compter sur une nombreuse population «transplantée» dans le sud, provenant des États du nord, du Canada et fans de hockey. Cela fonctionne plutôt bien : les Panthers drainent un grand nombre de personnes, plus particulièrement lors des derbys contre Tampa Bay où plus de 25’000 spectateurs viennent s’amasser dans le Thunderdome du Lightning pour assister à ces rencontres électriques.
L’autre franchise à faire son entrée cette saison-là est celle des Mighty Ducks d’Anaheim où une nouvelle enceinte venait d’être bâtie dans le comté d’Orange, proche de la banlieue de Los Angeles. Le contexte de la création de cette équipe est pour le moins étonnant : en 1992, les studios Disney réalisent un film – comme souvent d’une atterrante médiocrité –,  «Les Mighty Ducks», qui décrit l’histoire d’une équipe de hockey soumise aux pires tourments, mais qui se met finalement à tout gagner pour le plus grand bonheur de tout de monde. Amen. La recette est facile, le grand public est conquis. Du coup, le film aura plus tard deux suites et un film d’animation sera produit dans cette veine. Le succès de ce premier long-métrage est tel que la LNH pousse le vice à un niveau rarement atteint en accordant le droit à la compagnie Disney de créer sa propre équipe de hockey. Cela va dans le sens de la politique prônée par Gary Bettman au sujet de l’extension de la Ligue, mais la manière est fortement discutable, surtout en termes d’image et de crédibilité. Reconnaissons que le logo est plutôt sympa et réussi, mais les couleurs en revanche… Comment en vient-on à associer du vert-vomi avec du pourpre ?…


L’équipe des Mighty Ducks, un mauvais gag…

Du côté des puristes, des élitistes et des amateurs d’un hockey fidèle à ses racines, c’est la stupeur. La nouvelle direction que prend la Ligue nationale de hockey ne plaît guère à cette frange de personnes qui mettent un point d’honneur à défendre les régions qui possèdent une authentique et véritable culture de ce sport et craignent sa dénaturation. Cette dispersion mettra la LNH dans des difficultés incommensurables, prévient-on. Les réactions sont particulièrement virulentes au Canada, pays qui a vu naître ce sport (bon, il paraît que l’on y jouait déjà aux Pays-Bas sur des canaux gelés bien avant l’apparition du hockey dans le pays à la feuille d’érable, mais ceci est un autre débat…).

Des bilans sportifs contrastés

Avec les Stars de Dallas qui sont venus garnir le paysage des nouvelles équipes situées au-dessous du 40e parallèle, la Ligue nationale de hockey comporte maintenant six équipes situées dans ces fameux marchés non traditionnels dont cinq qui y sont entrées en l’espace de deux ans. Les nouvelles franchises d’expansion réalisent des résultats conformes à toute équipe qui débute : les défaites sont plus nombreuses que les victoires et une qualification pour les séries n’est encore qu’un lointain mirage. Les Panthers sortent toutefois du lot en terminant leur premier exercice avec 83 points, ce qui constitue à ce jour toujours le meilleur résultat pour la saison inaugurale d’une franchise d’expansion. Deux ans plus tard, Florida parviendra même à s’incruster jusqu’en finale de la Coupe Stanley, mais sera exécuté sans ménagement par l’Avalanche du Colorado.
Le Lightning de Tampa Bay connaît des débuts moins glorieux. Si sa première saison est sanctionnée par un total de 53 points – soit la fiche typique d’une franchise d’expansion pour un premier exercice –, la suite sera un véritable calvaire pour la franchise floridienne. L’équipe ne parvient à se qualifier qu’une seule fois en 10 ans et multiplie les saisons où, parfois, elle ne parvient même pas à engranger 20 victoires. L’affluence s’en ressent considérablement et chute de près de moitié, de quoi causer de gros soucis financiers. Les Mighty Ducks d’Anaheim se comportent aussi pas trop mal : en dépit de saisons bien moisies, les banlieusards de Los Angeles parviennent à se hisser pour la première fois en finale de la Coupe Stanley à l’issue de la saison 2002/2003, mais l’affluence moyenne étant en constante baisse avant ce parcours inattendu, elle ne s’est ensuite jamais véritablement envolée.


L’ignoble 3e maillot d’Anaheim, comble de la disgrâce.

Nous sommes au milieu des années nonante ; pour l’heure, la situation semble être satisfaisante par rapport au plan de route de la Ligue nationale de hockey. Certes, les résultats ne sont pas toujours au rendez-vous et des soucis au niveau des infrastructures sont dans certains cas présents, mais ces marchés parviennent néanmoins à se développer. Cela n’a pas été facile ; bien que la LNH a insisté sur le fait d’être en possession d’un amphithéâtre déjà prêt et pouvant contenir au minimum 18’000 personnes dont 10’000 détenteurs d’abonnements annuels, les franchises d’expansion n’ont pour la plupart pas été capables de remplir ces conditions. San Jose et Tampa Bay ont dû s’exiler dans des patinoires de petite taille avant de pouvoir trouver refuge dans leur propre stade. Une fois l’engouement et l’excitation générés par cette nouvelle donne passés, la question était alors de savoir si cette stratégie allait s’avérer payante et si ce plan pouvait être viable à long terme.

À suivre : 180° Sud, partie 3 : L’Étoile du Nord
Si tu as raté le début : 180° Sud, partie 1 : prélude à l’avènement

Écrit par Mathieu Nicolet

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2 Commentaires

  1. Bel article… sympa de connaître finalement l’historique de ces franchises pour la plupart détestables… par contre je te trouve très dur envers « Les petits champions » (oui quand j’étais petit je ne regardais pas les films en VO)… avec le bon vieux Gorden Bombay à la bande… un film culte selon moi…

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