La Nati, Kubi et les frissons

Salut Carton-Rouge et merci pour l’invitation.

Une blague bien pourrie (appeler Michel Pont « Ragnar Michelpontsson » en plateau un soir de Suisse-Islande) m’a ouvert tout grand les portes de ce site, moi l’employé du punching-ball service des sports préféré de ses rédacteurs. Alors mettons ici de côté les Pigeons d’or du passé (et du futur ?), les « minutes Pierre-Alain Dupuis » du présent, je n’oublie pas que Carton-Rouge était de « notre » côté lors d’une récente campagne politique qui nous avait très légèrement tendus à la SSR.

Il y a quelques jours, une compétition dont nous Suisses sommes parmi les meilleurs spécialistes des dix dernières années et appelée « tirage au sort » a désigné le Danemark, l’Irlande, la Géorgie et Gibraltar comme futurs adversaires en qualifications pour l’EURO. Analyse pointue : Vu le niveau récemment montré par l’équipe de Suisse, ça doit passer. Et si par hasard ça devait « ne pas », il y aura encore des barrages en mars 2020. (Non, le Final Four de juin prochain n’est pas qualificatif pour l’EURO). Je me réjouis énormément de pouvoir accompagner cette aventure. Et même quand Carton-Rouge me ramassera quand je dirai des bêtises, et il se gênera pas je le sais, je n’oublierai pas l’honneur qui est le mien.

L’équipe de Suisse, j’en ai un premier vague souvenir à 6 ans, quand mon père m’avait emmené au Wankdorf la voir contre l’équipe de ce pays d’où il était arrivé 8 ans plus tôt, le Portugal. C’était en qualifs pour l’EURO 88, Il y avait beaucoup de moustachus sur le terrain. L’un d’entre eux, Bregy, fut le seul buteur suisse d’un match nul entre deux nations qui comme qui dirait ne connaissaient pas la meilleure période footballistique de leur histoire. Pour la Suisse, ça durait même depuis vingt ans et ce n’était pas fini.

Je me suis plongé dans les archives de la RTS l’autre jour, afin d’écouter la façon dont mes prédécesseurs parlaient de l’équipe nationale dans les années 70 et 80. Il faudra qu’un jour on en fasse une émission, parce qu’il y a beaucoup de moments délicieux. Deux exemples. Le premier date d’octobre 1975. Dans l’émission « Sous la Loupe », Roger Félix refait le match de la veille, perdu 1-0 contre l’URSS, avec les internationaux Daniel Jeandupeux et Lucio Bizzini. On n’y parle pas beaucoup du résultat tant il était normal de perdre contre « Kiev » comme l’appelle Jeandupeux, dans un lapsus qui dit tout de ce qu’était la sélection soviétique de l’époque. On y décortique en revanche pas mal l’avant-match, avec un Köbi Kuhn que Roger Félix trouve « toujours aussi véloce, n’est-ce pas Daniel ? » Jeandupeux : « Véloce ? Il a jamais été tant véloce. » Pour la langue de bois, on attendrait encore quelques années. L’hymne national ? Félix : « Ce qui me frappe, c’est que certains joueurs le chantent, et d’autres non. Vous, vous ne chantez pas Daniel. » Jeandupeux : « Disons que je connais pas bien les paroles, j’aurais honte de chanter lalala. » Bizzini : « C’est la même chose pour moi. » Ah, si Twitter avait existé à l’époque. Citons encore Jean-Jacques Tillmann* et son franc-parler, lançant au sélectionneur Léon Walker en 1979 : « Il a un défaut Barberis, son tir est très mauvais. Est-ce que vous pensez qu’à son âge c’est perfectible ? » Twitter 1979 : « JSUI MOR, Y RESPECTE RIEN LE MEC hahahahaha »

Bref, il fut donc une période où le football suisse ne faisait pas exactement rêver. Une période où le même JJT pouvait s’exclamer un soir d’Ecosse-Suisse : « Et but d’Egli ! C’est incroyable ! On a de la peine à y croire ! », car c’était vrai, on avait de la peine à y croire quand Egli marquait. Non c’est faux, je suis une mauvaise langue. Je viens d’aller voir et en fait Egli marquait très souvent pour un défenseur. Mais la Suisse, non. Ça oui, on avait de la peine à y croire.

Tout ceci m’amène à mon premier souvenir vraiment marquant de l’équipe de Suisse. Et à Kubi.

1er mai 1991. Les anciens m’auront vu venir. La Suisse joue à Sofia face à la Bulgarie de Trifon Ivanov (LEGEND ALERT, RIP), Krassimir Balakov (qui atteindra le sommet de sa vie footballistique en entraînant GC et Saint-Gall entre 2006 et 2008) et Emil Kostadinov (joueur ne rappelant pas un bon souvenir au dernier présentateur de la cérémonie du Ballon d’Or), entre autres, future demi-finaliste de la Coupe du Monde 1994. XI helvétique ce jour-là, selon le site de l’ASF : Huber; Hottiger, Herr, Egli, Ohrel; Koller, Knup, Hermann ; B. Sutter, Türkyilmaz, Bonvin. J’ai les frissons rien que de l’écrire cette compo, même si je vous avoue un truc : À 2-0 pour la Bulgarie après 25 minutes, j’ai sorti ma NES pour jouer à Super Mario 3, parce que c’est bon, j’avais compris. Un peu plus d’une heure plus tard, je reviens sur le match et, sous mes yeux ébahis, Kubilay Türkyilmaz démarre façon vélomoteur vers le but adverse.

J’ai réécouté Pierre Tripod, et ça donne ça : « Alors Türkyilmaz, cette fois-ci, il est dans une situation fantastique… Comme avec Bologne… Türkyilmaz… Et goal ! Formidable ! Eh bien ! Türkyilmaz marque enfin avec l’équipe suisse ! Il marque un but qui va entrer dans l’histoire du football suisse… Car l’équipe de suisse était menée 2-0 et elle gagne 3-2 à Sofia. » Yves Martin me disait l’autre jour qu’à l’époque on avait reproché à Pierre Tripod son manque d’enthousiasme. Soit. Moi je pense juste qu’il n’était pas prêt. Qui l’était d’ailleurs ? Gagner 3-2 chez une bonne nation de football après avoir été menée 2-0, ce n’était juste pas un truc que la Suisse faisait, ce n’était pas dans le « champ des possibles » de l’équipe nationale. Le délicieusement daté adjectif « formidable » utilisé par Tripod à l’époque traduit bien l’énormité de ce qui s’était passé à Sofia ce jour-là. Oui Kubi, ton but est bien dans l’histoire du football suisse.

Car même si la qualification ne fut pas au bout de l’aventure, quelque chose avait changé. Et pas plus que tard qu’à la campagne suivante, la Suisse s’est qualifiée pour la Coupe du Monde 1994 dans un groupe contenant l’Italie, le Portugal et l’Ecosse. Impensable. « Il faut savourer ce moment car il est rare, très rare », s’exclama d’ailleurs le co-commentateur de Pierre Tripod Claude Ryf le 1er mai (tiens !) 1993 après la victoire 1-0 à Berne contre l’Italie (Hottiger !). Puis vint, certains d’entre vous s’en souviennent, ce Mondial américain (Suisse-Roumanie ! Espagne-Suisse ? Quel Espagne-Suisse ?), cette brillante campagne de qualification pour l’EURO 1996 puis la déception après un match d’ouverture prometteur et le penalty de Kubi contre l’Angleterre de Gascoigne et Shearer.

Le penalty de Kubi contre l’Angleterre de Gascoigne et Shearer…

Après ? Quelques années de vaches maigres pour ne pas oublier d’où on venait, la première du duo Pierre-Alain Dupuis-Umberto Barberis marquée en août 1996 par cet affreux Azerbaïdjan-Suisse (« Quel coup de théâtre » lança Pierre-Alain ce soir-là), le Suisse-Slovénie de 2001 (« C’est le joueur qui a tout remporté ou presque avec Liverpool qui commet cette immense bévue »), puis à partir de 2002 le début d’une ère qui a vu la Suisse participer à sept des huit dernières grandes compétitions internationales, du but de Celestini à Dublin en 2002 (« Et goal ! Goal goal goal goal goal goal Daniel ! Ah on va pas se gêner ! » ) à Philippe et Alexandre cet été : « Allez Shaqiri, allez Xherdan, allez Xherdan allez petit ! Allez Shaqiri…………………….. Et OUAIIIISGOOOL ET GOAL DE XHERDAN SHAQIRI, ET 2-1 POUR LA SUISSE ! A LA NONANTIEME MINUTE ! ». Bref, quand même une bonne dose de frissons ces 16 dernières années, au moins autant que pendant les 97 précédentes d’histoire de l’équipe nationale suisse de « fotte ».

Allez Shaqiri, allez Xherdan, allez Xherdan allez petit !

La suite, ce sera en Géorgie. Et puisqu’il ne faut jamais aller trop loin pour trouver des symboles avec cette Nati, ce match rappellera à certains d’entre vous le Suisse-Géorgie de septembre 2002. Ce jour-là, dans un Parc Saint-Jacques encore tout neuf, la Suisse renforcée par les Rougets de Challandes Magnin, Cabanas et Frei, avait lancé l’aventure un mois avant l’exploit irlandais. Géorgie ? Irlande ? Vous voyez où je veux en venir, et on ressortira les archives les 23 mars (Géorgie-Suisse) et 5 septembre (Irlande-Suisse). J’espère aussi croiser plein de Suisses au Portugal dans ce mini-EURO que sera le Final Four. 10’000 au Dragao le 5 juin, ça aurait de la gueule, non ?

Départ.

Et Carton-Rouge, longue vie à vous. Surtout ne m’épargnez pas.

* Une pensée pour Jean-Jacques Tillmann, que j’avais eu la chance de connaître en 1999, en l’accompagnant sur un merveilleux Juventus-Manchester United. Peruzzi, Deschamps, Zidane, Inzaghi, Beckham, Keane, Cole, Yorke. Jean-Jacques aimait le foot anglais, il commentait chaque année la finale de la Cup avec Max Marquis. Ce soir-là, au Delle Alpi, il avait levé les bras sur le 2-3.

A propos David Lemos 1 Article
...

Commentaires Facebook

1 Commentaire

  1. Un tout grand merci David Lemos pour votre enthousiasme et vos souvenirs que vous nous faites partager. C’est toujours un plaisir d’apprécier votre humour, votre passion et vos analyses souvent partagées. Pour résumer vous êtes un « type bien » avec lequel on a plaisir à vivre le sport.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.