Bertrand Duboux, l’insoumis de la TSR

Une voix reconnaissable en quelques dixièmes de secondes. Des coups de gueule en direct, quelques bourdes mémorables, une passion jamais démentie. Bertrand Duboux est de ceux-là qui ont marqué le public. Il est de ceux-là qui croient encore, malgré la tendance malheureuse qui se dessine dans le paysage médiatique, au métier de journaliste et aux responsabilités qui en découlent. A la retraite depuis le début de l’année, Duboux se raconte dans un livre, évoquant les trois amours de sa vie : le cyclisme, la boxe et la TSR. Trois amours avec qui il n’est pas tendre.

L’ouvrage de 128 pages, intitulé «Chroniques d’un insoumis» (éd. Slatkine), s’ouvre sur les carnets de bord du commentateur lors de ses cinq derniers Tours de France, soit de 2003 à 2007. On y découvre un Duboux écœuré par les affaires de dopage, par la course au fric d’ASO, la société organisatrice, par la dégradation des conditions de travail pour des journalistes TV qui avaient fait leurs armes durant l’âge d’or, quand on laissait encore le temps aux gens de creuser, de réfléchir, de bosser.

Cyclisme

De l’arrogance d’Armstrong aux visées mercantiles de Patrice Clerc (ASO), en passant par la stupidité tenace des services d’ordre et la désorganisation crasse de la TSR, Duboux partage, au détour de quelques anecdotes truculentes, ses derniers moments sur la Grande Boucle. Un Tour qu’il a couvert 30 fois et qu’il connaît par coeur, à défaut de le reconnaître. «On n’en sortira donc jamais. […] Je n’en peux plus. Je suis dégoûté, anéanti.» Extraits.
«Jadis, il y avait d’abord la course et l’événement Tour de France se construisait autour. Désormais, c’est le contraire : on vient voir le Tour non plus pour les coureurs mais pour la caravane pub, j’en suis de plus en plus convaincu. La course n’intéresse plus que les derniers accros du vélo. Le grand public sa passionne pour le défilé des véhicules commerciaux, pour l’animation, comme au cirque Barnum, aux carnavals de Nice ou de Rio. En attendant une vraie cérémonie d’ouverture, comme aux JO ? […] Cette vision du Tour me confirme que tout n’est plus qu’un grand show voulu par ASO et son président, Patrice Clerc. […] Les coureurs ? Otages d’un organisateur privé qui fait du fric sur leur dos. […] Mais surtout le business, le mercantilisme, la démesure, le dopage ont tout gâché et changé les mentalités.»


Les exploits de Cancellara ? Duboux est sceptique

Sur Cancellara. «Comment ne pas avoir de doutes sur la performance supersonique de Fabian Cancellara, vainqueur du prologue à 53,660 km/h de moyenne en atomisant l’opposition ? Avec des écarts (Klöden 2e à 13 secondes, Hincapie-Wiggins à 23 secondes !) qui en font un extra-terrestre comme un certain Américain… lui aussi rattrapé par le dopage mais trop tard, hélas. […] Impossible d’être insensible devant cette réussite exceptionnelle du Spartacus helvétique. Au fond de moi, quelque chose me dit toutefois de rester prudent et de mesurer mes propos. Car la collaboration avouée de Cancellara avec le professeur Cecchini fait jaser, comme celle de Vinokourov avec le controversé docteur Ferrari.»
Sur la sur-médiatisation. «Départ sous conduite, arrêt pipi, ajustage de l’oreillette, retour après crevaison, pseudo réglage du dérailleur : désormais la télévision montre tout et n’importe quoi.»

Boxe

Amoureux du noble art, Duboux se montre également très critique envers un sport presque mort aux yeux du grand public. Profusion des fédérations, multiplication des catégories. Là aussi, le passionné souffre. D’autant qu’il se heurte au niet catégorique de la hiérarchie de la SSR, qui refuse de faire le moindre effort pour diffuser les grands combats ou réunions importantes se déroulant en Suisse. En première ligne, Jacques Deschenaux, alors chef du département Sports de la TSR. «L’inconséquence de Deschenaux me mettait dans une situation inconfortable vis-à-vis du public et des téléspectateurs.»

TSR

Sa «deuxième famille», comme il l’écrit lui-même. Le chapitre certainement le plus virulent de l’ouvrage. On y parle beaucoup de «l’inconnu François Jeannet», directeur du département après Deschenaux, lequel était «plus attaché à soigner ses relations personnelles à l’extérieur qu’à entretenir et faire fructifier l’héritage de son prédécesseur (n.d.l.r. : Boris Acquadro).» Jeannet, «une grossière erreur de casting», «propulsé à un poste pour lequel, de l’avis général, il n’est pas fait».
Sur le même sujet. «Rapidement, il nous apparut que l’organisation qu’il avait mise en place était pleine de lacunes et d’insuffisances. Un beau parleur, à l’accent neuchâtelois, plein d’idées sur le papier mais peu réalisables sur le terrain. De plus très influençable.»


Un vrai passionné

Sur la direction prise par la TSR. «Malgré les couacs, les incidents, les reproches, il n’y a jamais eu de remise en cause de leur part. […] on rédige désormais un procès verbal lénifiant […] La TSR est devenue une télévision de surconsommation, une télévision fast-food qui enchaîne les directs comme on ingurgite les hamburgers […] Elle mobilise l’antenne mais ce n’est que du tape-à-l’oeil, un leurre, car l’emballage promet beaucoup plus qu’elle ne peut offrir. […] saturation, indigestion mais sans plus aller au fond des choses. Combien de temps encore avant que le public romand ne s’indigne d’une telle indigence et ne déserte définitivement l’écran ? […] Le tort de Jeannet et ses proches est d’avoir les yeux plus gros que le ventre alors que la TSR n’a plus les moyens de ses ambitions concernant le sport. […] Pourquoi des émissions de remplissages, faites d’images prétextes assemblées bout à bout […] ? Pourquoi proposer tout et n’importe quoi, sans budget, sans aucun concept, sans se préoccuper des conséquences de cette escalade qui nécessite du personnel et induit un véritable travail à la chaîne sans motivation pour ceux qui ont à en assumer la réalisation ? Faire moins mais mieux, voilà ce que beaucoup prônent et réclament depuis des années. En vain.»
Bertrand Duboux n’en veut pas à la TSR, sinon à sa nouvelle équipe dirigeante, qui procède «par la méthode de gestion à l’américaine» selon le principe du «marche ou crève». Une politique imposée par le grand chef Gilles Marchand, «avec ses conceptions de technocrate moderne, formé à la publicité, porté vers le marketing et le multimédia». Un homme qui «ne sera jamais de la famille» et qui dessine une TSR «qui se soucie plus de son look que du contenu».
En conclusion, Bertand Duboux nous livre une maxime qui, selon lui, circule régulièrement à l’interne, dans les couloirs de la tour, et qui résume bien ce qu’une bonne partie du public romand pense. «La TSR est la seule administration qui peut se payer sa propre télévision !»
Bonne nouvelle pour les lecteurs de Carton Rouge, Bertrand Duboux sera tout bientôt notre invité lors d’une interview où il reviendra sur son livre et expliquera certains points qu’il soulève. On se réjouit.

DUBOUX, Bertrand, «Chroniques d’un insoumis», 128 pages, Slatkin, Genève, 2008.

Écrit par Psyko Franco

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22 Commentaires

  1. Duboux lhomme qui traite les disciplines qui lui sont chères sans demi-mots, avec une connaissance de ces milieux implacable, incontesté. Lhomme est charismatique et bien que difficilement comparable avec lincontournable et inoubliable Boris Aquadro, est lun des rares excellent commentateur et crédible journalistes sportif que jai pu entendre sur nos ondes de la TV suisse romande ainsi que jai eu la chance de côtoyer.
    Nul doute que son livre soit un ouvrage de référence et que ces prises de positions sont exactes et correspondent à la réalité (corruptions, manipulations, mensonges sont hélas que trop présent et ceci ne peut que nous attrister)

  2. Brillant papier pour un personnage admirable. Un passionné de la première heure qui nous a tant fait vibrer derrière notre poste. Un exemple pour les générations à venir.

    Je me réjouis de lire son livre.

    Bon vent lartiste !

  3. Tres tres bon article consacre a un tres tres bon journaliste; je me rejouis egalement de lire louvrage de Bertrand Duboux et surtout son interview prochaine.

    Au sujet du Tour de France, on peut encore rajouter que, suite aux recents scandales entachant le cyclisme (notamment celui de lequipe allemande Gerolsteiner), sur pression dune grande majorite de lopinion publique allemande, lune des grandes chaines de TV du pays « ARD » a decide de ne pas retransmettre le prochain TDR; et lautre grande chaine « ZDF » hesite encore… Est-ce que dautres chaines auront les « cojones » pour suivre le mouvement lance par lARD ?

    Voila un signe fort et tres symptomatique de ce quest malheureusement devenu ce sport. Le gens ne sont plus dupes et le font savoir.

    Personellement je trouve la decision excellente; je serais cependant curieux davoir lavis de Bertrand Duboux si vous pensez que ca peut etre une question interessante a lui poser lors de linterview a venir.

  4. Merci Psyko pour cette excellente idée de consacrer un article à ce brillantissime journaliste quétait Bertrand Duboux. Voilà qui donne envie de lire son livre. Et qui me donne même une idée folle : pourquoi Duboux ne deviendrait-il pas un chroniqueur sur CartonRouge ? 😉 Il serait en tout cas accueilli à bras ouverts, jen suis convaincu, par de nombreux lecteurs de notre site favori, moi le premier ! Un tel insoumis au diktat de largent et de la pensée unique, quel profil idéal il a !

  5. Duboux, cest un des rares, si ce nest le seul, commentateurs de la TSR qui mamenait à regarder un événement sportif sur la Suisse plutôt sur que sur la France. Je ne peux que le remercier pour son franc-parler et son esprit de franc-tireur. Surtout quen en face on avait à faire à la langue de bois de France 2 ou de lhypocrisie dEurosport qui se permet de mettre un Virenque au commentaire.

    Seul bémol par rapport à larticle (mais le livre est peut-être plus pondéré) est le fait que lUCI nest pas inclu dans la débacle quest le cyclisme actuel.

  6. @sathip

    Comme tu le mentionnes, les grosses chaines de TV allemandes risque ou ne vont pas transmettre la TdF 2009.

    Réponse de Prudhomme, nouveau directeur du TdF:

    Ce nest pas juste de boycotté la retransmission de cet évènement sportif, car cela ne témoigne daucune gratitude de la part des gens pour tout le travail qui est mis en œuvre pour lutter contre le dopage dans le milieu cycliste international.

    Cest vrai que largument apporter par Prudhomme, pris tel quel, peut être sujet à quelques interrogations.

    Quoi quil en soit, lutte antidopage ou non, il faut lavouer il y a une grande hypocrisie et si tous ne sont pas dopé, plus de la moitié le sont dans le monde professionnel et cela est une certitude.

    Ce qui me révolte davantage cest l »incompétence » pour ne pas dire la perversion de certaines nations du monde du sport qui ne fait rien ou pas suffisamment pour endiguer se fléau et les tricheurs quils soient sportifs ou directeurs sportifs, membres dassociations, des fédérations… et laissent continuer à se propager tricheries et corruptions pour des enjeux politiques et économiques.

    Duboux saura mieux parler que moi de ce sujet quil connait sur toutes ses coutures!

  7. Merci Grenat, la reponse de Prudhomme est edifiante. Comme toi je me rejouis de lire ce que Mr. Duboux a a dire la-dessus. Messieurs de CR, SVP, ne « Yannickparatiser » pas linterview, merci davance :))

  8. La classe Psyko, merci ! Je cours acheter le bouquin !

    Duboux a rendu mes Tours de France magiques à l’époque où je les suivais au thé froid et aux glaces de la Migros ! Zuelle, Rominger, Richard, Dufaux, il a versé une larme pour tous, fabuleux !

    Bertrand, en 20 ans de TSR, en 20 ans de frustration, de dégoût, d’agacement, tu es le seul que je n’ai jamais insulté derrière ma télé, même dans ma tête. Je crois que c’est le plus beau compliment que je puisse modestement te faire…

    Magnifique Bertrand, magnifique !

  9. Cest grace a ce grand bonhomme que jai appris a aimé le cyclisme ! Jen ai versé des larmes autant que lui lors des victoires de Pascal Richard.
    Rien que pour ces contributions a mes joies sportives, ce bouquin sera sous larbre de Noel !

  10. @sathip. En fait, ce que Prudhomme a exposé cest que le TDF est frappé de plus de cas de dopage (que les tours dEspagne ou dItalie) parce que les organisateurs sont sérieux dans la lutte contre le dopage (en fait, parce que les autorités françaises les y obligent).

    De fait, le TDF est « puni » (non-retransmission) parce quil est le plus sérieux des grands tours dans la lutte contre le dopage. Et là, désolé, mais je me dois de donner raisio à Prudhomme.

  11. Un grand homme reconnu par ses pairs. Le seul journaliste cycliste qui a osé parlé ouvertement du dopage. Devant lindigence des commentaires convenus de France Télévision, Bertrand cétait du pur bonheur.
    Que de regrets

  12. Excellent article! Duboux ha ça on le regrette car face à Joël « somnifère » Grivel je que ya pas photo… On aurait eu un peu de vie dans cette course olympique

  13. Très bon Psycho. Je crois que Bertrand Duboux est qqn dentier, avec certes des opinions faites, mais qui a non seulement lexpérience pour juger, mais aussi la maturité pour le faire. Finalement, il dit tout haut ce que tout le monde sait ou tout du moins pense. Cest une merde sans nom la TSR. Belle phrase que dire que la TSR est la seule administration qui peut se payer sa propre télévision. Tellement vrai. Allez, rdv sur TSR, il y a 14 séries américaines idiotes aujourdhui…

  14. Duboux et Jonzier sont les seuls à connaitre leurs sports sur le bout des doigts et à les vivres à 100%!

    Des blaireaux comme Willemin ou Rosser feraient bien de sen inspirer!

  15. @ Sekant : Hmmmmm, ouais, par rapport au deux autres « grands » tours, cest vrai que le TDF a ete oblige de faire plus deffort dans la chasse aux sorcieres. Dun cote cest normal, cest le plus mediatise et le plus important des evenements cycliste.

    Je continue a penser quil y a une grosse part dhypocrisie dans les propos de Prudhomme dans le sens ou les organisateurs ont quand meme du se faire tirer loreille un bon moment avant de (a contre coeur) prendre des mesures drastiques.

  16. @sathip. Je ne dis pas le contraire – comme jai mentionné dans mon post, le TDF/ASO ont été contraint par les autorités françaises a être plus dilligent dans la lutte contre le dopage. Ils ne lont pas fait deux-mêmes, craignant pour la poule aux oeufs dor.

    Cela dit, sur le fond, le résultat est que lon trouve plus de cas de triche au TDF en raison de la pression des autorités françaises, et il est vrai quil serait un peu singulier que lon en leur tienne rigueur en punissant le tour.

  17. Entièrement daccord avec ce qui a été dit. Néanmoins, je pense que le tandem Romain Glassey – Richard Chassot a donné un coup de jeune bénéfique aux commentaires de la petite reine.

    Finalement, le cyclisme est mieux loti que le foot ou le tennis sur la TSR…

  18. il etait pas content a la TSR ,ben il avait qua aller chez TF1 alors……parce que tout le monde sait que TF1 … cest pas une tele de merde…..
    Bonne journee a vous Mr Duboux

  19. Duboux, enfin parti, ce cher monsieur qui narrivait pas a en placer une sur un certain Pascal Richard, unique référence de ce monsieur imbu de lui-même…. je ne discute pas ses compétences certainement très grandes, mais le personnage me dérangeait enormément, quand je pense quaux 50 ans de la TSR, jai eu loccasion de discuter avec le GRAND Jacques Deschenaux, et quand je voyais le comportement de lautre présentateur, jétais écoeuré… Jaime le cyclisme jy crois encore malgré les affaires et je pense que la TSR a bien fait de se séparer de cette personne. Quant aux critiques sur la TSR, je vous laisse imaginer le dilemne dune télévision faite pour 2 mio de francophone dans ce pays, le budjet quelle a et la qualité de ses emission, pour ne citer que : Classe eco, ABe, Temps présent, et le TJ. Quand on voit les TV francaise ben y a pas à se plaindre. A bon entendeur, salut

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