Petite introduction au basket japonais : les modèles

On continue notre présentation du basketball nippon avec quelques éclaircissements sur les deux types d’équipes évoluant au plus haut niveau : les équipes possédées par une grande entreprise et les équipes s’étant constituées dans l’unique but de pratiquer du basket-ball («modèle européen»).

La multiplication des équipes 100% professionnelles rattachées à une ville ou région bien précise dans le basketball japonais n’augure rien de bon pour les équipes gérées par une grande entreprise. Ces formations traditionnelles dans le milieu sportif nippon sont-elles donc vouées à disparaître dans un futur proche ? Sommes-nous en train d’assister à une sorte de passation de témoin, au chant du cygne d’une époque désormais révolue ?De nombreux éléments semblent pencher dans cette direction. Tout d’abord, une remarque à première vue banale mais profondément pertinente : les temps ont changé. Le système d’équipe d’entreprise s’est développé après la Seconde Guerre mondiale, à une époque où le Japon avait misé sur de grandes multinationales pour assurer sa reconstruction. Des compagnies comme Hitachi ou Mitsubishi prenaient soin de leurs employés, leur assurant un soutien social même après l’âge de la retraire. Pour ainsi dire, l’entreprise ne licenciait pas : une fois entré à Toyota, on vivait à Toyota City dans un immeuble Toyota avant d’être enterré au cimetière Toyota. C’est dans ce contexte que se sont développées les équipes d’entreprise, chargées d’amener de la distraction pour les employés, de renforcer leur sentiment d’identification à leur lieu de travail ainsi que les liens avec la direction. Or ce système s’est effondré.
Le Japon, comme tout le monde, est entré dans la mondialisation et on licencie désormais comme partout ailleurs. Si la fonction originelle d’une équipe d’entreprise n’en a pas pour autant perdu sa pertinence, même les grandes multinationales ont dû s’adapter au changement, principalement illustré dans le sport par une identification grandissante des équipes avec une ville ou une région définie. Ainsi, les Toshiba Brave Thunders ont depuis 2004 souhaité renforcer leur relation avec les habitants de la région de Kawasaki. L’équipe s’est affiliée cette année-là au Partenariat pour la promotion du sport de la ville de Kawasaki, un système mis en place par les autorités locales et visant à impliquer athlètes et équipes de premier rang pour la promotion de la ville dans tout le pays. Concrètement, les Brave Thunders ont organisé des cours de basketball ouverts à la population ainsi que des talk-shows, se sont affiliés à l’Association de Basketball de la Préfecture de Kanagawa et ont fait en sorte de disputer la plupart de leurs matches à domicile dans cette même préfecture (aussi étrange que cela puisse paraître, il n’est pas rare qu’une équipe de sport au Japon dispute ses matches à domicile dans différentes villes).

Dans la même lignée, Hitachi a défini pour ses Sun Rockers une stratégie de relations publiques fortement orientée vers le renforcement des liens avec la population locale. Sur le site officiel de l’équipe, la compagnie explique ainsi que son équipe de basket a pour rôle de contribuer à «donner du rêve et de l’espoir aux enfants» mais également à «bâtir une société florissante». Les notions d’ «éducation», d’ «environnement» et de «bien-être social» sont mises en avant pour illustrer les domaines vers lesquels la compagnie souhaite s’investir à travers les Sun Rockers. Hitachi explique qu’en étant active dans la production manufacturière, la construction de l’être humain lui est essentielle pour assurer son bon fonctionnement. Le sport permettant à l’être humain de se façonner et de maintenir une bonne hygiène de vie, tant physique que mentale, elle souhaite lui apporter son soutien. On voit dans cette présentation que l’idée qu’une équipe d’entreprise puisse contribuer à améliorer l’environnement de travail de ses employés est toujours à l’ordre du jour. Néanmoins, Hitachi montre dans le même temps son intention de s’affirmer comme un porte-drapeau régional en souhaitant de ses joueurs et membres de son encadrement qu’ils représentent fièrement leur région.
Si le comportement de ces deux entreprises témoigne d’une volonté de s’adapter aux changements, force est de constater que toutes les grandes compagnies n’en ont pas saisi l’importance. Les quatre autres multinationales possédant une équipe en Japan Basketball League (JBL) n’ont ainsi entrepris aucun effort particulier pour se rapprocher de la population locale. De même, l’intérêt des télévisions et l’affluence lors des matches à domicile est nettement moindre pour ces six équipes d’entreprise que pour les deux équipes rattachées à une région, le Link Tochigi Brex et le Rera Kamuy Hokkaido (aujourd’hui disparu). Il y a tout à parier que la nouvelle équipe du Levanga Hokkaido basée sur le même concept rassemblera autant de fans que son prédécesseur.
Avec les équipes d’entreprise en perte de vitesse, c’est ce «modèle européen» caractéristique des nouvelles équipes professionnelles qui semble constituer l’avenir du basketball nippon. Outre le Link Tochigi Brex et le Levanga Hokkaido en JBL, toutes les équipes de bj-League sans exception se sont constituées sur ce modèle. Il n’est ainsi pas étonnant de leur trouver plusieurs points communs : un secteur d’activités exclusivement basé sur le basketball ainsi que la nécessité d’impliquer la population, les entreprises et les autorités locales dans le club. En évoluant sans la sécurité financière représentée par une multinationale, le soutien local est indispensable à ces équipes pour assurer leur survie. Une telle stratégie comporte donc une part de risque et, en ce sens, les deux équipes de JBL adoptant cette structure de club ont connu des résultats diamétralement opposés.

La preuve que le modèle peut marcher : le Link Tochigi Brex

Les premières velléités de former une équipe de basketball à Tochigi remontent à 2004. L’équipe, qui s’appelait alors «Tochigi Brex», disputa sa première saison en JBL2 en 2007-2008, qu’elle remporta par ailleurs. Les joueurs étaient à ce moment tous au bénéfice d’un contrat professionnel. Elle fut promue en JBL la saison suivante (pour des raisons plus administratives que sportives, car il n’y a pas de système de promotion directe entre la JBL et la JBL2), où elle prit son nom actuel après avoir vendu ses droits de dénomination à la compagnie de consulting Link and Motivation. L’organisation propriétaire du club Link Sports Entertainment est devenue une de ses branches, ce qui témoigne du succès de l’organisation dans sa tentative de s’impliquer dans une entreprise régionale. Sportivement, le club réussit le transfert de l’année en engageant le Thabo Sefolosha nippon Yuta Tabuse, unique joueur japonais à ce jour à avoir foulé les parquets de la NBA (quatre matchs avec les Phoenix Suns en 2004-2005). Le meneur mènera les siens au titre de champion du Japon lors de la saison suivante 2009-2010.

Le Link Tochigi Brex a également su obtenir le soutien des collectivités locales. En décembre 2010, le «Terrain de Basket-ball Brex» – en fait une salle multisports – a été inaugurée dans la ville d’Utsunomiya. Si cette salle sert désormais de terrain d’entraînement pour l’équipe professionnelle, il est intéressant de noter qu’elle a été conçue de façon à pouvoir obtenir le label (et les subventions qui vont avec) «Centre communautaire» par le Ministère de l’Éducation, de la Culture, des Sports, des Sciences et de la Technologie. Cette initiative gouvernementale souhaite favoriser l’utilisation multiple des infrastructures sportives afin de renforcer la dynamique des quartiers. La ville d’Utsunomiya a elle aussi affiché son soutien au club en acceptant de changer gratuitement le nom de la salle où se déroulent les matchs de championnat de «Salle sportive municipale d’Utsunomiya» à «Brex Arena Utsunomiya» jusqu’au terme de la saison 2012-2013.
Dans le même ordre d’idées, la télévision régionale Tochigi TV a soutenu l’équipe depuis l’époque de la JBL2 en offrant toujours plus de retransmissions en direct, parfois même lors des matchs à l’extérieur. Sky-A, la chaîne sport du géant Asahi Broadcasting Corportation a proposé sa collaboration à Tochigi TV pour la production des matchs, qui peuvent être visionnés en live dans toute la préfecture. Comme le diffuseur par satellite SKY PerfecTV! propose de son côté des retransmissions en différé des rencontres dans le reste de l’archipel, nous pouvons en conclure que le Link Tochigi Brex s’en est plutôt bien sorti dans sa stratégie de marketing.
Au terme de sa première saison dans l’élite, l’entreprise de gestion du club avait indiqué avoir fini l’exercice dans les chiffres noirs. En réussissant de la sorte à faire fructifier de bonnes performances sur le terrain par un management adéquat, l’équipe de Tochigi a prouvé que choisir le «modèle européen» pour constituer une équipe de basketball pouvait être couronné de succès au Japon.

La preuve que le modèle peut ne pas marcher : le Rera Kamuy Hokkaidō

Le Rera Kamuy Hokkaidō a rejoint la JBL dès la saison 2007-2008. Même si le club était basé dans la ville de Sapporo et y disputait la majorité de ses matches à domicile, il s’est vraiment donné de la peine pour devenir le club de toute l’île de Hokkaidō aux yeux des gens, en organisant camps d’entraînement, cours de basketball et matches de championnats jusque dans ses coins les plus reculés. Ces efforts ont d’ailleurs été récompensés par un soutien populaire sans égal dans l’archipel : malgré des performances sportives lamentables, le Rera Kamuy évoluait devant plus de 3000 spectateurs en moyenne, un chiffre qui ferait pâlir d’envie tous les clubs du championnat helvétique. Si la direction du club semble avoir fait son job pour s’assurer la reconnaissance des fans, force est de constater que sa relation avec les autorités et entreprises régionales n’a pas été aussi idyllique.

La première erreur du club a été de sous-estimer l’importance des relations avec le gouvernement de la ville de Sapporo et celui de la préfecture de Hokkaidō. En choisissant de faire cavalier seul, le Rera Kamuy n’a jamais pu bénéficier d’un soutien que les autorités auraient pu facilement lui octroyer, comme par exemple la mise à disposition à prix arrangeant de salles d’entraînement et de matchs. Dans le même temps, le club n’a pas trouvé suffisamment d’entreprises locales disposées à le soutenir financièrement : ainsi, en trois ans et demi d’existence, l’équipe n’a jamais eu de sponsor sur le devant du maillot ! Devant faire face à la surenchère des équipes d’entreprise, la direction a en outre offert des salaires mirobolants à ses meilleurs joueurs tout en mésestimant ses prévisions sur la vente de produits dérivés. Au final, le club n’est jamais sorti des chiffres rouges, et ce malgré des réductions drastiques de salaires et des demandes de soutien aux fans toujours plus insistantes. Incapable de payer ses factures, le club s’est vu rayé des registres de la ligue au mois de janvier 2011.
Ces deux exemples sont donc révélateurs des incertitudes qui habitent les propriétaires de clubs de basket-ball professionnel au Japon. Pourtant, le développement spectaculaire de la bj-league montre que c’est bien sur ce modèle de clubs que se construira l’avenir de ce sport, comme nous le découvrirons dans le troisième et dernier volet de cette série.
Si tu as manqué le début : Petite introduction au basket japonais : les enjeux
A suivre : Petite introduction au basket japonais : JBL vs bj-league

Écrit par Marc Baertschi

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