Encore un monde d’écart

A chaque Championnat du monde, c’est le même refrain : contre les six grandes équipes du hockey mondial (Canada, Finlande, Russie, Tchéquie, Suède et USA), la Suisse aligne les défaites honorables, et les titres des journaux «La Suisse méritait mieux», «Essayé pas pu» ou «Regrets» de même que les scores souvent serrés laisseraient penser que la Suisse a quasiment comblé son retard par rapport aux grandes nations du hockey.

C’est ce genre de commentaires que nous lisons à nouveau aujourd’hui après les défaites contre la Finlande (2-5) et le Canada (2-3) de cette semaine. Sur cette base, on entend même des âneries du genre : le championnat suisse n’est pas très loin du niveau de la NHL. Cependant, il ne faut pas se laisser tromper par les apparences, car rien ne pourrait être plus loin de la vérité ; il existe encore un monde d’écart entre le hockey suisse et les grands nations hockeystiques de ce monde. Car voici malheureusement ce que nos journalistes romands oublient ou ignorent:

1. Le tour qualificatif est un tour de chauffe

Pour les grandes équipes, le tour qualificatif du CM ou des JO ne représente que des matchs de préparation en vue de la phase éliminatoire, d’autant plus qu’il s’agit souvent de joueurs qui débarquent de NHL et n’ont jamais joué ensemble. Vu le niveau de ces équipes, leur qualification est (sauf rares exceptions) plus ou moins assurée. Dès lors, le tournoi ne commence véritablement que lors des quarts de finale, leur objectif étant d’être au top pour les 3 matchs clés qui doivent être remportés afin d’être champions du monde. Ceci étant, les matchs du premier tour ne sont joués que sur un patin et demi, ce qui explique qu’il faut relativiser les exploits de la Suisse lorsqu’elle arrive à battre un des grands lors d’une phase qualificative, à l’image des victoires il est vrai mémorables et historiques contre le grand Canada ou la Tchéquie à Turin en 2006. De même que les victoires contre la Suède aux CM 2008 ou en 2011 : dans les deux cas, la Suède avait terminé médaillée, alors que la Suisse ne s’était pas qualifiée ou avait été éliminée en quarts. Autre exemple, la victoire contre les Etats-Unis aux CM 2011 était un match pour beurre, la Suisse étant déjà éliminée.
La réalité, c’est que la Suisse n’a quasiment jamais battu un des grands dans un match élimatoire, dans l’histoire récente, à l’exception de leur seule qualification pour des demi-finales en 1998, lors des CM qui avaient eu lieu en Suisse. Et on n’oubliera pas également la victoire héroïque au premier tour contre la Russie de Yashin à St-Petersburg en 2000, qui avait éliminé cette dernière alors qu’elle jouait à la maison !
Cependant, les défaites systématiques dans les moments clés ne sont pas un hasard, fruit de la malchance ou de mauvaises décisions arbitrales, comme nos journalistes le sous-entendent trop souvent.

2. Un score serré est souvent trompeur

Comme un coureur qui veut remporter une victoire sans trop se fatiguer, qui n’accélère que quand il faut vraiment pour gagner la course avec seulement quelques mètres d’écart alors qu’il est nettement plus fort, souvent les grandes équipes du hockey mondial mettent le turbo quand il faut marquer contre la Suisse, puis contrôlent la situation pour finalement gagner le match avec un score serré. Cela aboutit à des matchs comme hier soir où le Canada ne gagne que 3 à 2, mais en définitive ils ont marqué chaque fois assez facilement quand ils avaient besoin d’un but, à l’instar des buts inscrits par John Tavares et Jordan Eberle, quasiment sur commande, dans les premières secondes du 2ème et du 3ème tiers temps.

3. Le manque de réalisme de la Suisse n’est pas un hasard

Si au niveau du patinage et de la présence physique, les progrès des Suisses ces derniers dix ans sont remarquables et que souvent ils arrivent à rivaliser avec les grandes équipes sur ce point, il faut admettre que les Finlandais, Russes, Suédois, Tchèques, Canadiens et Américains se distinguent par leur capacité de marquer quand c’est nécessaire, et de réaliser l’exploit technique (tir dans la lucarne, reprise de volée) pour marquer lorsque l’occasion se présente. On ne peut pas sous-estimer les qualités techniques et mentales qu’il faut posséder pour battre le gardien adverse lors des moments cruciaux. C’est sur ce point que les Suisses ont encore un immense retard sur les grands, illustré par les occasions cruciales ratées contre la Finlande ou le Canada. Il ne s’agit pas simplement d’un manque de réussite ou d’un manque de chance. Il y a également un aspect mental (comme réaliser un ace sur une balle de break) important. Cependant, la présence accrue de joueurs suisses en NHL va sans doute encore permettre à notre équipe nationale de progresser. Et si pour l’instant, Niederreiter est le seul attaquant suisse à tenir plus ou moins sa place de titulaire dans une équipe certes médiocre de NHL, on se réjouit des débuts prometteurs de l’efficace Sven Bärtschi chez les Calgary Flames (3 buts en 5 matchs).

4. Les supers blocs

Si les joueurs de Simpson sont un cran en-dessous des joueurs des grandes équipes (sauf Streit et Josi), ils sont trois crans moins forts que les joueurs stars, qui évoluent sur une autre planète, comme Malkin, Datsyuk, Zetterberg, Getzlaf, Filpulla ou Alfredsson présents cette année aux CM. Chaque équipe a une première ligne qui fait la différence aux moments importants, en particulier lors des power-plays, et c’est souvent la ligne de parade la plus forte (donc l’équipe qui a eu la chance d’avoir le plus de stars éliminées aux premiers tours des play-offs NHL… et qui sont d’accord de venir) qui détermine qui sera championne du monde. Or, la Suisse n’a malheureusement pas vraiment de superstar, contrairement aux 6 grandes nations, auxquelles on peut rajouter la Slovaquie avec Chara. Malgré la très belle prestation de Brunner, la Suisse n’a donc simplement pas de joueurs de classe mondiale pour assurer le but décisif, comme Getzlaf, auteur du 3-2 hier soir pour le Canada ou Filppula, marqueur des 4ème et 5ème buts mardi soir pour la Finlande. 

Croyez-vous aux miracles ?

Cependant, ce qui précède ne signifie pas que l’exploit soit impossible. Vu les progrès au plan du physique et de la rapidité du patinage de cette génération de joueurs helvétiques, avec de la discipline défensive, un power-play efficace, de la chance et un grand gardien, la Suisse pourra battre et éliminer un jour un des «Fabulous 6», comme l’avait fait les universitaires américains qui avaient vaincu la Grande Machine Rouge aux JO de Lake Placid en 1980, lorsque Al Michaels de la chaîne TV américaine avait conclu son match avec le légendaire «Do you believe in Miracles ? – YES !».
Mais ne mettons pas la charrue avant les boeufs. Avant de rêver d’une qualification pour les demi-finales, il faut auparavant terminer dans les 4 premiers de notre groupe. Dans ce cadre, il ne suffit pas de bien jouer contre les grands, mais éviter les contre-performances contre les équipes faibles et s’imposer face aux équipes moyennement fortes du Groupe A.
Pour l’instant, le premier test important de ces CM a été passé : à 2-2 contre la Biélorussie, la Suisse a réussi à marquer au moment important et à tenir le score, tant bien que mal, Stephan ayant sauvé la baraque alors que la défense donnait des grands signes de fébrilité en fin de partie. Les prochaines échéances, avec le renfort bienvenu de Roman Josi, auront lieu contre la France, la Slovaquie et les Etats-Unis. Le match contre la Slovaquie fait d’ailleurs presque office de finale pour la 4ème place qualificative. A ce titre, il faudra absolument être plus discipliné et éviter les multiples erreurs défensives constatées lors des premiers matchs. La victoire de la Slovaquie contre les USA complique la situation ; cela signifie de toute vraisemblance que la Suisse devra gagner contre la Slovaquie avant la fin du temps réglementaire. Par contre, comme les USA ont battu le Canada, il y a peu de chances d’une égalité à trois (USA-CH-Slovaquie), donc la confrontation directe permettrait à la Suisse de dépasser la Slovaquie, sans avoir à se soucier de problèmes de différences de buts. Enfin, en cas de défaite contre la Slovaquie, la Suisse aurait peut-être encore une chance de se qualifier en battant les USA lors du dernier match, pour autant que ces derniers ne battent pas la Finlande dimanche. Bref, faut gagner contre Chara et ses copains. Ce n’est donc qu’une victoire contre la Slovaquie dimanche qui permettra de dire si la Suisse a fait un pas de plus pour se rapprocher de la cour des grands.
Photos Pascal Muller, copyright www.mediasports.ch

Écrit par Andy Tschander

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6 Commentaires

  1. rectificatif :

    Au pt 1, si la Suisse avait battu les USA dans le temps réglementaire , elle passait. Donc , cette rencontre n’était pas pour beurre.

  2. @pit-ou non le match gagné dans les temps réglementaires contre les USA 5 – 3 aux CM 2011 était bien pour beurre dès le début du match.

  3. « La réalité, c’est que la Suisse n’a quasiment jamais battu un des grands dans un match élimatoire… »

    Je suis d’accord la Suisse se fait trop souvent élimer !

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