Eaux-vives la Vaudoise aréna !

Les retours sont dithyrambiques. « Ecrin estampillé (mini) NHL », « mur vertigineux », « vidéotron du turfu », tout le monde s’enthousiasme depuis l’inauguration de la Vaudoise Aréna ce mardi. Vraiment tout le monde ? Pour s’assurer du contraire, Carton-Rouge s’est procuré le journal intime de Jérôme*, 31 ans, habitant de Plan-les-Ouates et abonné aux Vernets depuis 2004. L’objectif ? Avoir enfin un avis un tantinet objectif sur la nouvelle huitième merveille de la planète.

Cher Journal,

C’est fait. J’ai remis les pieds en terres agricoles ennemies. Au moins trois ans que je n’avais plus osé dépasser Versoix par peur de prendre froid. Au moins trois ans que la patinoire de la soi-disant capitale olympique n’accueillait plus de virage visiteurs. Esprit de Coubertin quand tu nous tiens… Je ne tenais pas particulièrement à rallumer le sapin mais la perspective de doucher les ardeurs des nouveaux riches lors du Jour J qui a failli ne jamais arriver, c’était plus fort que moi. Plus fort que moi aussi, le fait de m’offrir un sésame dans un secteur visiteur aussi serré que ce fromage sans goût du même nom et de me faire scanner la tronche comme chez les vendeurs d’électroménager chers à Martina Hingis. J’ai donc appelé mon vieux pote Chappuis pour qu’il m’emmène avec lui dans le kop local afin de me régaler devant toutes ces mines qui termineront la soirée déconfites. Pourrir l’ennemi depuis l’intérieur, c’est mon côté agent secret, ou Tim Traber c’est selon.

Mon compère Chappuis, il n’a pas de prénom. Pas parce qu’il est de famille avec Juste Leblanc mais parce que je l’ai connu à l’armée. Depuis nos virées nocturnes à Dübendorf à l’automne 2007, on est restés en contact. Il habite toujours à Cuarnens (ou un truc comme ça) mais vu qu’il est entré dans sa quatrième décennie, il a décidé de quitter la jeunesse du village. Depuis le début, on parle hockey ensemble. Mon meilleur souvenir, c’est quand il me vendait Jérémy Gailland comme une future star internationale. Bref, l’époque où on leur refourguait nos seconds couteaux et qu’ils étaient heureux. Malheureusement, les conjonctures, en hockey aussi, Savary.

Ce mardi, on s’est donné rendez-vous deux heures avant le coup d’envoi. Histoire de ne pas s’installer à jeun dans le Hallenstadion du pauvre. Chappuis me vend depuis des mois le cabanon bouffe d’Alain Reist. Dans mes souvenirs, ce dernier était plutôt un as des boulettes mais comme il n’est pas d’origine suédoise, il s’est plutôt reconverti dans le tartare. Ils sont marrants ces villageois, utiliser leurs anciennes gloires à la restauration pour les aider à redorer leur image après la retraite, c’est malin. A quand Bruno Steck pour le stand grillades ?

Premiers frissons pour Chappuis qui passe pour la première fois son abonnement dans le portique de sécurité. Pour lui, c’est le « Grand Soir », comme le martèlent depuis des semaines les campagnes publicitaires de son club favori. Y a pas à dire, à Genève, on a l’OMC, eux ils ont la COM. Ou tout du moins, ils essayent. Pour l’instant, nous nous engouffrons dans un couloir de béton. Premier virage à droite direction les toilettes, afin de vérifier la qualité de l’endroit, comme je le ferais dans un cinq étoiles. Alors que je referme ma braguette, la porte s’ouvre. Un « Waouh, c’est magnifique ça » se fait entendre. Je prends donc note qu’à Lausanne, on s’extasie devant des pissoirs vides.

Le tartare expédié en deux-deux, nous prenons place dans ce mur. Après trois ans de théâtre au collège, je peux facilement jouer la comédie et cela m’aide dans toutes les grandes occasions. « C’est pas mal. A voir quand ça sera plein », glisse-je à Chappuis en haussant les épaules. Intérieurement, j’ai plutôt envie de chialer en pensant à notre tribune des Vernets découpée en deux par ce plafond interminable. Il est incroyable leur mur mon salaud !

Heureusement, arrive la partie officielle de l’inauguration. On sent tout de suite qu’on va se marrer. Les intervenants gênants s’enchainent et on se dit que les discours populistes ont de beaux jours devant eux. Entre deux joutes verbales élancées, une chanteuse est présentée en grande pompe mais on ne sait pas vraiment qui c’est. Nous sommes la ville de Rousseau, alors, qui sait, peut-être ont-ils dégoté Larusso ? Toutes les personnes qui ont œuvré pour la construction de l’enceinte sont remerciées, particulièrement les ouvriers qui ont mis les bouchées doubles dans la dernière ligne droite. J’ai lu le matin du match que pour terminer à temps « le nombre d’ouvriers a été augmenté et les horaires de travail étendus de 6h à 22h, voire la nuit pour certains corps de métiers ». On appelle ça du 24/24. Même les chantiers de stades au Qatar peinent à s’aligner face à un tel bilan. Alors, obrigado messieurs !

Une enceinte déjà pleine à craquer pour la partie officielle.

Il ne reste que dix minutes avant le coup d’envoi, mes camarades genevois pénètrent dans le cagibi d’en face qui leur est réservé. Les premiers échanges de majeurs fusent dans la Vos doigts aréna. Chappuis me sourit. Des années qu’il n’a plus connu ces trocs d’amabilité et de politesse sur ses terres. Il parait qu’une barrière a cédé côté visiteurs. Sans aucun doute un problème de finition, c’est bien connu au LHC.

C’est parti ! Après un dernier clip vidéo sans son qui avait été vendu comme ultime incroyable surprise une heure avant, le match est lancé. Il faut souligner le très audacieux choix du noir comme couleur pour les filets placés derrière les buts, qui facilite grandement la visibilité. L’ambiance est chaude. Après dix secondes, Wingels, Tommy de son prénom, fait encore monter la mayonnaise. C’est si bon. Toute ma vie, je pourrai dire à Chappuis que son équipe de canado-suisses-allemands a pris un but après DIX secondes dans sa nouvelle pato. Quand ton club a un ADN de loser, c’est pas un simple changement d’orientation de ton enceinte qui va modifier ça.

Image collector : le vidéotron qui affiche 0-0. 

Après une égalisation du patin, c’est la pause. Retour vers les toilettes. Ou plutôt tentative de retour vers les toilettes. Il y a plus de bouchons dans leur coursive en béton que sur le Quai du Mont-Blanc à 8 heures du matin. Et puis, pas question d’arriver en retard pour le deuxième tiers au vu des belles entames lausannoises. Alors on se serre la ceinture, comme pour le budget de mon GSHC, et on y retourne. Rebelote, on remarque d’entrée ! Puis on triple ! On tire depuis n’importe où mais ça rentre.  J’exulte intérieurement par respect pour Chappuis. On est en train de leur foutre la pâtée avec huit blessés en alignant Maillard et Karrer en power-play, pendant que mon pote s’énerve à chaque prise de palet de son barbu suédois très laid. Pour ne pas voir les tribunes se vider, on les laisse revenir à 3-3. C’est pour mieux ajuster le coup de poignard. Simon Le Coultre, leur ancien junior, qui plante le but décisif en agitant son écusson devant le kop lausannois ! Tellement jubilatoire de voir ces visages figés et éteints. On termine le match en supériorité numérique mais on balance le puck au fond comme une vulgaire équipe de troisième ligue. Rod plante le 5-3 à 59’59’’. J’étais obligé de faire un vœu.

Mais avec deux jours de recul et avant de te laisser, Cher Journal, plutôt que dévoiler mon vœu, je me dois de passer aux aveux. Qu’est-ce que j’aurais aimé m’extasier devant des chiottes vides flambantes neuves au Trèfle-Blanc ! Bien sûr, c’est jouissif de gâcher la fête, mais c’est bien plus triste de réaliser qu’on n’a pas les moyens de l’organiser.

* nom inconnu de la rédaction

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