L’ATP réinvente le Western et flingue ses joueurs

C’est une première de la part des dirigeants de l’ATP. Ils viennent en effet de sanctionner Nikolaï Davydenko d’un avertissement pour «manque de combativité» lors de son dernier match face à Marin Cilic. Un avertissement symbolique de 2’000 dollars, tout de même. Cette nouvelle affaire s’inscrit évidemment à la suite des révélations faites par certains joueurs à propos des matches truqués. Et comme par hasard, Davydenko était déjà dans la ligne de mire de la fédération…

La question se doit d’être posée : peut-on réellement sanctionner un joueur qui manque de combativité lors d’un match de tennis ? Il est vrai que les éléments tennistiques jouent en la défaveur du Russe, qui a commis une bonne dizaine de double fautes dans les deux derniers sets de son match et dont les attitudes sur et hors du courts laissent parfois entrevoir une certaine lassitude – à ne pas confondre avec la combativité toutefois. Anticonformiste par choix et antipathique par nature, Davydenko est le prototype du gars dont personne ne veut. La presse n’en a que faire et les gros sponsors le boudent. Lui, il s’en moque et s’en amuse, au grand dam de ces messieurs de l’ATP. Pourtant, s’il est une qualité qu’on ne peut lui soustraire, c’est sa combativité. À l’image d’un Ivan Lendl, Davydenko est dénué de génie mais c’est un vrai bosseur, un baroudeur de la petite balle jaune. Pour preuve, il a disputé pas moins de vingt-six tournois cette année, soit le plus gros chiffre du Top 100 ! Ce que je nomme donc la «lassitude» de Davydenko est à chercher ailleurs.

Si l’on sanctionne le joueur russe pour son manque de combativité, on devrait alors sanctionner Justine Henin pour sa non-combativité lors de la finale de l’Open d’Australie 2006. On aurait pu sanctionner Agassi quand il venait jouer un petit tournoi et perdait délibérément au premier tour contre un joueur de seconde zone. On pourrait aussi sanctionner tous les joueurs qui abandonnent deux jeux avant de perdre le match et on pourrait également sanctionner Anna Chakvetadze dans son dernier match contre Patty Schnyder (perdu 6-1 6-0 !). À ce rythme, il y a de quoi refaire toute l’histoire du tennis ! Il serait temps que les dirigeants de l’ATP sortent cinq minutes de leurs bureaux climatisés afin de pouvoir estimer les efforts qui sont fournis par les joueurs. On est en fin de saison, tout le monde souffre et Davydenko aurait pu arrêter de jouer depuis des semaines. En fait, depuis qu’il sait qu’il est qualifié pour le Masters de Shanghaï… Tiens, tiens, mademoiselle Chakvetadze venait également d’apprendre qu’elle était qualifiée pour le Masters.
C’est un fait, Davydenko fait du négationnisme. Plutôt que d’endosser le rôle de l’hypocrite souriant et laxiste, il a au moins l’honnêteté de ne pas cacher sa désapprobation du système – et il le dit. À la question de savoir s’il a délibérément «cessé de gagner» ce match, il n’y a évidemment pas de réponse. De ce fait, c’est aussi relativement peu important sachant que bien des joueurs et joueuses vilipendent des matches. Les raisons invocables sont aussi nombreuses qu’il y a de sportifs et sportives. Je ne prétends cependant pas que l’acte de mauvaise foi en sport – abandon délibéré d’un match par exemple ou simulation d’une blessure – doive être pris à la légère puisque l’éthique du sport est en jeu.

En réalité, un des problèmes du tennis et du sport en général est qu’il n’est plus seulement régi par sa seule beauté et par ses performances, comme le décrivait Pierre De Coubertin, mais qu’un autre facteur, de nature pécuniaire celui-ci, s’est immiscé dans la bataille. Il y a désormais des «rançons» sous forme de paris sportifs qui fleurissent sur Internet. Alors lorsqu’on propose à un joueur de perdre dans les premiers tours en contrepartie d’un gain double ou triple de ce qu’il aurait pu gagner en remportant la finale, avouez que c’est alléchant. Le tennis n’est donc plus épargné par un fléau qui se répand comme une traînée de poudre dans le sport. Au tournoi de Sopot, l’abandon de Davydenko face à Martin Vassallo Arguello avait éveillé des soupçons, pour l’instant infondés. Le «bad boy» des courts a-t-il remis ça ou est-ce une malencontreuse coïncidence ? En toute honnêteté et jusqu’à preuve du contraire, le délit de faciès est interdit et tout joueur est au-dessus de tout soupçon tant qu’aucune preuve n’a été fournie à son encontre. En réalité, Davydenko n’est que le bouc émissaire d’une affaire dont l’étendue dépasse de loin le cadre de la simple personnalité, voire le cadre même du tennis. Ce sport, à l’image de tous les autres, doit être repensé dans sa nouvelle dimension mercantile. Ce n’est pas en punissant un joueur que les dirigeants de l’ATP solutionneront le problème. Pire encore, cela pourrait entraîner une série de graves injustices au sein des sportifs et rompre une confiance déjà fortement fragilisée.
La sanction à l’encontre du joueur russe est, à mon avis, un prétexte. Que cela serve de leçon ? On n’est plus à l’école et ce n’est pas 2’000 dollars d’amende – une broutille comparé aux millions qu’engendrent certains joueurs – qui vont changer la donne. Le problème est plus grave, plus profond. À l’image des vieux Western et de ses figures emblématiques, les dirigeants de l’ATP flinguent les «méchants joueurs» sous prétexte qu’ils ont, pardonnez-moi, une sale gueule. Mais on le sait, les méchants reviennent toujours ! L’inépuisable dualité du bon contre le truand a encore de beaux jours devant elle…

Écrit par Jérôme Nicole

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