Ode à Bode Miller

La très bonne nouvelle du week-end à Wengen a été le carton de Bode Miller. L’Américain (1er en descente, 3e en super-combiné, 5e en slalom) est le skieur le plus génial du circuit. Et même, dans les autres sports, j’ai beau chercher, je ne trouve pas de personnage aussi truculent.

 
Chez Bode, il y a d’abord un athlète, une force de la nature. En décembre dernier, il traînait par exemple en short et en t-shirt dans les rues de Val Gardena, alors que le thermomètre dépassait à peine le 0 degré et que les autres skieurs s’emmitouflaient pour ne pas avoir froid.
 
Adolescent, Bode avait pourtant davantage le physique d’un fondeur. Et ce n’est qu’en décidant de faire de l’alpin qu’il a commencé la musculature. Si aujourd’hui il s’entraîne avec l’équipement que l’on trouve dans tout bon fitness, à l’époque il utilisait des appareils fabriqués par ses soins.
 
Bode, c’est ensuite un style. Un style qui ne ressemble à rien. Un style qui contredit tout ce que l’on enseigne dans les écoles. Sur l’arrière, le haut du corps désarticulé, Miller ne skie pas comme les autres. Ces autres, ils ont de la technique. Lui, il a un don. Un don pour les courbes. Bode marche à la fluidité, aux mouvements naturels qui épousent les mouvements de terrain. Rien à voir avec un Cuche, par exemple, plus puissant et plus mécanique.


Un champion hors norme

Avec un style pareil, il y a toujours du spectacle. Enfin plutôt deux spectacles : le triomphe ou la sortie de piste. Bode est toujours à la limite. Exemple : à Wengen en 2007, il choisit une trajectoire de kamikaze dans le S final qui le fait s’écraser dans l’aire d’arrivée (Bode gagne). Contre-exemple : à Alta Badia en décembre dernier, il essaie de mettre encore plus d’angle dans ses courbes, mais sa fixation ne tient pas et se casse (Bode chute).
 
Bode est tellement irrégulier qu’il défie toute statistique. Exemple : fin 2004, il remporte une course dans les quatre disciplines en l’espace de deux semaines (surréel). Contre-exemple : avant de se reprendre en slalom à Wengen ce week-end, il ne s’était classé que 6 fois lors de ses 30 derniers slaloms (ridicule).
 
Bode, c’est aussi un palmarès. 27 victoires en Coupe du monde (record américain), 4 globes de cristal (dont 1 du général), 7 médailles aux JO ou aux Mondiaux. Bode, c’est surtout un mec qui se contrefout de son palmarès. C’est lui-même qui le dit : «Je me suis bien amusé à Nagano en 1998 lors de mes premiers JO. Personne ne me connaissait et je faisais ce que bon me semblait. Ce sont les autres qui veulent que je gagne des médailles. Les médailles gagnées à Salt Lake City en 2002 ne m’ont rien apporté.»


Un roi de la descente en tous genres…

Les médailles, justement. Celle gagnée aux Mondiaux de St-Moritz en 2003 avait été utilisée pour fermer le couvercle des toilettes de son appartement de Patsch en Autriche. «La médaille fait office de contre-poids idéal», avait-il justifié. Quant à la médaille d’or glanée aux Mondiaux de Bormio deux ans plus tard, Bode se l’était fait voler dans un pub de la station italienne (pris de remord, le voleur l’avait finalement rendue).
 
Bode a aussi une façon toute personnelle de se préparer la veille des courses : il sort. Et ce, même s’il prétend qu’il s’est maintenant calmé. Ce week-end, il n’a pas été vu dans les bars de Wengen. Mais à l’époque, j’en suis témoin, c’était bières et fléchettes jusqu’à pas d’heure.
 
Cette réputation de noceur, Bode n’a rien fait pour l’étouffer. Plus d’une fois, il s’est exprimé sur l’alcool, disant tout et son contraire. «Je bois toujours un peu lorsque je skie, cela me fait aller plus vite», a-t-il confié récemment à Die Welt. Sur CBS, il y a deux ans, il avait avoué avoir été ivre lors de compétitions. Ce qui lui avait valu cette remarque : «Skier bourré, c’est trop dur. Essayez de faire un slalom quand vous êtes ivre et que vous devez frapper une porte à chaque seconde.»


Un homme à femmes et à foires

Evidemment, on ne sait jamais jusqu’à quel point Bode se fout de la gueule des journalistes en affirmant ça. Même chose avec ses propos sur le dopage, quand il se dit «surpris» que le dopage soit interdit. «Autoriser le dopage, c’est juste car tout le monde à les mêmes chances», a-t-il ainsi lâché, toujours à Die Welt.
Il est fréquent de voir Bode débarquer en salle de presse pour profiter du wi-fi et lire ses e-mails. A Sölden en ouverture de saison, Bode a fait encore plus fort. Il est arrivé au milieu des journalistes avec combinaison, souliers, casque, dossard, bref la totale, à quelques minutes de la deuxième manche. Tandis que tous les autres étaient déjà en haut de la piste à se concentrer et à visualiser le parcours, Bode surfait peinard sur le web (il a ensuite terminé au 5e rang).
 
Sur Bode, il y a encore des dizaines de choses à raconter. Voilà en vrac celles qui me viennent à l’esprit :

  • Son enfance (parents hippies du New Hampshire, maison construite par le père sans eau courante ni électricité).
  • Son émancipation de la Fédération américaine l’été passé (il court dorénavant pour le Bode Team America).
  • Son camping-car et ses innombrables blondes avec qui il sillonne les sites de la Coupe du monde.
  • Sa tentative de jouer en ligue inférieure nord-américaine de baseball.
  • Cette sordide histoire de l’été dernier, quand son cousin flingue un policier avant de se faire lui-même tuer.
  • Ses reconnaissances en coup de vent, quand tous les autres coureurs passent de longues minutes à analyser la moindre bosse.
  • Sa descente de la Stelvio à Bormio sur un ski, lors du combiné des Mondiaux de 2005.

Etc, etc, etc. Je passe sur toutes les autres anecdotes qui construisent le mythe Bode Miller. Sa vie est un roman. Voilà pourquoi c’est le plus incroyable skieur du moment. Mais aussi, le plus incroyable athlète actuel, tous sports confondus. Avouez, ainsi, qu’il y a plus à raconter sur un Bode Miller que sur un Roger Federer…


Un mythe, tout simplement

Écrit par Alex DeLarge

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13 Commentaires

  1. Excellent article, comme dab quoi. On pourrait presque dire quil incarne le Collombin des temps modernes au niveau de sa vie, de ses sorties, de sa préparation et surtout des résultats. Tout simplement exceptionnel. On attend avec impatience la Streif car Bode na encore jamais gagné ! Et là Didier prendra sa revanche….

  2. Enorme ce Bode Miller ! Il a dû samuser avec les demoiselles dans les bars des stations… la belle vie quoi !
    Merci pour cette ode mérité

  3. Rosset, Collombin, pourquoi pas… mais moi je dirais que Bode cest un peu le Paul Accola version US. Fantasque et talentueux, il ne manque à Bode que la pelle mécanique…

  4. Pour le style, plusieurs skieurs on un style fortement comparable à Bode Miller maintenant, je parle du style de ski et non pas de vie. Daniel Albrecht et Marc Berthod dans une moindre mesure ont une façon de skier qui sapproche beaucoup de celle de Bode

  5. Question style, Miller dit que cest Jean-Baptiste Grange qui lui ressemble le plus (à sa façon daller direct sur les piquets). Bode qui loue un Français ? Eh oui, personne nest parfait

  6. Si Jean a de longues moustaches, Bode a de petits skis! On lattend sur la distance. Des Bode, il y en a plein. Collombin, Russel, Schranz (qui a dit m…. au CIO. Et les Goitschel? Il manque quelques canettes avant que Bode ne devienne le Löwenbraü rugissant du cirque FIS. Cela dit, Bode on laime bien, mais on lattend au bar et pas au portillon de …dé…bar!

  7. Comment la presse écrite peut-elle encenser un débauché, talentueux daccord, mais qui se comporte comme un anti-sportif… Le sport ne doit-il pas être sain? Quel manque de décence. Quil prenne exemple sur Jacques Deschenaux, chez qui rigueur rime avec longueur…

  8. Myrna laisse Deschnaux où il est! Il est au journalisme sportif ce que lendive est à la gastronomie.
    Il a vécu sans péril et a donc triomphé sans gloire…
    Merci Alex, très bon article.

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