Manute Bol : parcours cabossé et silhouette barbelée

«SHOOT ! SHOOT ! SHOOT !»… Le joueur se trouve à une bonne dizaine de mètres du panier et pourtant, le public insiste pour qu’il tente sa chance. Galvanisé, il arme un geste que «L’Académie Française du Basket», si elle existait, ne serait pas prête de faire entrer dans son dictionnaire. Le ballon file, quasi à l’horizontal, et trouve sa cible. Le public exulte, le joueur est hilare. Manute Bol, géant parmi les géants, vient d’inscrire définitivement sa silhouette barbelée et infinie dans des dizaines de milliers de mémoires. Aujourd’hui, CartonRouge.ch sort sa pelle et exhume sa légende… toujours vivante !

Car pour en arriver à ce sourire et à ces applaudissements, Bol a déjà accompli un parcours très particulier. Descendant de dignitaires Dinkas, une tribu d’éleveurs de vaches du Sud-Soudan, il vient d’un monde où les dollars, les flashs et les caméras semblent n’avoir jamais existés, et rien ne le prédestinait à devenir joueur de basket professionnel, encore moins au sein du championnat le plus prestigieux du monde. Rien…. Jusqu’au jour où un recruteur, dont on ne saura jamais exactement ce qu’il s’est retrouvé à faire au Soudan, le repère et lui offre de s’envoler pour le pays de l’oncle Sam, pour évoluer dans le championnat universitaire.Disons quand même qu’il n’y a rien d’exceptionnel à repérer Manute Bol, tant sa morphologie est étrange. 2m31, une petite centaine de kilos et des membres disproportionnés qui font que son utilité sur les parquets aurait même sauté aux yeux d’Alain Geiger… Toujours est-il que le joueur accepte de s’envoler pour les Etats-Unis et débute sa carrière dans le championnat universitaire.
Dès ses débuts, il se fera remarquer. Par ses coéquipiers d’abord, s’arrachant une dent dans le filet du panier en tentant un dunk… Cette anecdote fera assez rapidement le tour de la planète orange. Tout comme ses statistiques défensives impressionnantes et la mine pathétique de ses adversaires directs, réduits au stade de lilliputiens, malgré leur double mètre. Les franchises NBA flairent le bon coup marketing et ce sont les San Diego Clippers qui seront les premiers à le drafter, au 5ème (!) tour, en 1983. Las pour Bol et les fans de basket avides de curiosités, il ne jouera pas en NBA, avant d’être redrafté (!) en 1985 par les Washington Bullets.

Regarder la NBA d’en haut…

Lors de sa première saison dans la très selecte NBA, où il est l’un des tous premiers étrangers à évoluer, Bol se retrouve dans une ligue animée par les plus grandes légendes de son sport.
Jordan débute, Bird et Magic Johnson s’étripent. Sous les panneaux américains, Kareem Abdul-Jabbar et Moses Malone sont survolent la concurrence.
Mais Bol, bien que son apport offensif se limite (et se limitera toujours) au strict minimum, parvient à s’imposer, devenant le joueur débutant à contrer le plus de tirs. Il deviendra d’ailleurs le meilleur contreur de l’histoire de la ligue, avec près de 4 blocks par match sur toute sa carrière.
Sa présence, son sourire, son attitude, sa silhouette et le fait qu’il ait évolué dans le même club que Muggsy Bogues, plus petit joueur de l’histoire de la NBA (1m59) auront permis au géant Soudanais de se créer un capital sympathie des plus impressionnants, pour un joueur dont le jeu est somme toute resté très limité.
Mais, après avoir lutté plus de 10 ans dans un championnat de plus en plus exigeant et physique, avec l’arrivée de joueurs comme Shaquille O’Neal notamment, la carcasse bambou de Bol ne lui permet plus de militer à ce niveau. Après une dernière pige aux Golden State Warriors, Bol se retire. Riche, célèbre (même Woody Allen fait des blagues sur lui*), apprécié mais blessé, il se tourne vers d’autres combats.

L’activiste du Sud-Soudan

Ses millions de dollars gagnés grâce au basket et à la publicité, la «craie» (surnom donné par un de ses coéquipiers en référence à la couleur de sa peau) va les investir. Mal. Et les perdre. Vite.
Retourné au pays – où il jouit d’une popularité incroyable – après avoir tout perdu, il est, de plus, soupçonné par le gouvernement soudanais de soutenir les rebelles du Sud, où la guerre civile a tué des millions de personnes de 1983 à 2008, dont plus de 200 «parents» de l’intéressé. Se rendant compte qu’il ne pourra pas mener son combat pour l’amélioration des conditions de vie dans sa région d’origine, Bol comprend qu’il aurait plus de moyens d’action s’il se battait depuis les Etats-Unis. Il y parviendra, non sans difficultés et après avoir transité par l’Egypte.

Bol is back

Le retour aux Etats-Unis du désormais quadragénaire suscite l’intérêt de quelques médias. D’autant plus qu’il sera impliqué dans un terrible accident de taxi (le chauffeur est décédé). Admis à l’hôpital avec des blessures à la tête, deux vertèbres cervicales rompues, des blessures internes et le visage lacéré, Bol, contre toute attente, finit par s’en tirer sans aucune des lourdes séquelles évoquées à ce moment-là. Remis sous le feu des projecteurs, il constate qu’il est resté très populaire aux USA.
On sait aux USA que Hightower Bol n’a plus d’argent, pas de métier, ou presque. On sait aussi qu’il veut lever des fonds pour soutenir l’éducation dans sa région natale. Les publicitaires américains étant ce qu’ils sont, des propositions aussi farfelues les unes que les autres vont lui parvenir. Pour le plus grand bonheur des magnats de l’entertainment, il va en accepter quelques-unes et devenir coup sur coup (toujours dans le but de lever des fonds pour les enfants de sa région) :
– Le plus grand boxeur du monde (lors du show TV Celebrity Boxing). Il faut dire que son allonge lui permettrait de toucher n’importe qui jusqu’au 3ème rang du public et que la boxe interdit les coups sous la ceinture, ce qui le rend presque intouchable.
– Le plus grand jockey du monde, puisqu’il a pris une licence au Hoosier Center (Indiana). Bol n’est cependant jamais monté sur un cheval de sa vie, pas même ce jour-là. Il avait par contre la panoplie parfaite du jockey. Suivant la taille du cheval, il est probable que les jambes de l’ancienne gloire de la NBA auraient eu l’effet de «frein-semelle ».
– Le plus grand hockeyeur du monde, après avoir signé un contrat d’une année avec les Indianapolis Ice, qui milite dans d’obscures ligues mineures américaines. Bol n’avait alors jamais approché une patinoire. Mais, bien que n’ayant jamais joué pour le club («A quoi bon casser le jeu et casser les os de Manute ?» selon le manager des Ice), il était licencié, figurait même sur le banc et avait donc son propre équipement, patins taille… 53 y compris.
Manute Bol, 47 ans, se consacre aujourd’hui d’une part à ses propres enfants, d’autre part, à sa quête de fonds pour aider ceux qui, comme bon nombre de Dinkas et de Darfuri, n’ont plus rien. Il joue également le rôle de conseiller privé du deuxième Soudanais Dinka à jouer en NBA, Luol Deng. Un parcours atypique pour un homme qui l’est tout autant.
* «Manute Bol est tellement fin que son équipe économise de l’argent pour les trajets… Ils peuvent le faxer de ville en ville.» (W. Allen)

Écrit par Arnaud Antonin

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4 Commentaires

  1. Ouai c’est sympa ces petits articles dans le genre « le saviez-vous ». D’autant plus que dans le sport, des anecdotes du style, il y en a des tonnes!

    Continuez!

  2. Merci Arnaud et CR pour cet article très intéressant. Plus intéressant que la demi-finale de Rodg qui fut un monologue 😉

    Connaissais pas ce Manute Bol, suis donc content d’avoir appris quelque chose aujourd’hui !

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