Vous souvenez-vous de… Laurent Dufaux ?

17 juillet 1996, 17ème étape du Tour de France. Je suis comme un fou devant ma télévision car mon idole Laurent Dufaux vient de gagner brillamment la plus longue et difficile étape de cette édition en battant au bout de l’effort le maillot jaune et futur vainqueur du général, le redoutable danois Bjarne Riis. Ah Lolo Dufaux, quel coureur plein de panache! Une sorte de Richard Virenque modeste. Il faut dire qu’ils appartiennent tous deux à la Festina, soit la meilleure équipe du moment. J’ai 14 ans et je suis un gros naïf.

Ceci n’est pas un aritcle sur le Cyclimse

En cyclisme il y a plusieurs catégories de coureurs. Les sprinteurs, les rouleurs, les baroudeurs, les grimpeurs, etc. Les sprinteurs sont un peu cons car il faut aimer rouler planqué des heures dans le peloton en attendant de se réveiller au dernier kilomètre pour aller s’éclater sur un policier qui voulait une photo souvenir. Les rouleurs sont de beaux athlètes, mais pour le spectateur une course de 700 kilomètres de plat est aussi passionnante à suivre que de regarder passer les trains durant six heures. Sauf si, comme ma grand-mère, on adore admirer sur France 2 l’église Notre-Dame du Château de Sainte-Menehould ou les contreforts de Saint-Florent-le-Vieil. Les baroudeurs sont déjà plus intéressants car il faut avoir un joli sens du sacrifice pour s’échapper en solitaire sur 200 kilomètres et finalement se faire rattraper à 200 mètres de l’arrivée. Personnellement j’ai toujours eu un faible pour les grimpeurs. Lors de chaque Tour de France, j’attendais toujours avec impatience les premières étapes de montagne pour qu’il se passe enfin quelque chose et dans les années 90, il y avait un magnifique grimpeur bien de chez nous : Laurent Dufaux.

Né à Montreux en 1969, il passe pro en 1991. Durant ses treize années de carrière, il se confectionne un joli palmarès avec en vrac : un titre de champion de Suisse sur route, une étape du Tour de France, une autre du Tour d’Espagne, un général du Tour de Romandie, deux 4èmes places au général du TDF et deux victoires au Critérium du Dauphiné libéré (délivré ?). Mais pour moi, pauvre amateur occasionnel de cyclisme, Laurent Dufaux c’est avant tout les étapes de montagnes de la grande boucle. Des équipées fantastiques, souvent au service de son leader Richard Virenque, avec en point d’orgue la victoire citée en début d’article. Il était enfin récompensé pour tous ses sacrifices d’équipier modèle. Je me mettais à rêver qu’un jour Virenque, le chouchou des Français, se raterait dans un virage et Lolo deviendrait le leader de l’équipe et pourrait même viser le maillot jaune ! Tout allait bien dans le meilleur des mondes, jusqu’à ce que la sinistre année 1998 marque la fin de mon innocence avec deux événements terribles : la victoire des bleus au Mondial et l’affaire Festina.

La toute petite reine

Pour les lecteurs qui n’étaient pas nés en 1998, voici une rapide chronologie de cette sombre affaire Festina:

  • 8 Juillet 1998, 5h40 : Willy Voets, le soigneur belge de l’équipe, est arrêté par des douaniers français avec deux ou trois flacons de “vitamines” (497 en réalité) dans le coffre de sa voiture. Nous sommes à trois jours du départ du Tour de France.
  • 8 Juillet 1998, 15h15 : Bruno Roussel, directeur sportif de Festina, communique aux coureurs l’arrestation du soigneur. Richard Virenque lève la main et demande alors “Comment vais-je faire pour mes produits ?”
  • 10 juillet 1998 : Willy Voets craque lors de sa garde à vue et avoue un dopage organisé au sein de l’équipe Festina.
  • 11 juillet 1998 : La direction du tour organise une réunion de crise. Jean-Claude Killy, présent lors de ce meeting, rassure tout le monde et conclut que le dopage n’est absolument pas un problème dans le cyclisme. Le Tour de France commence en toute logique à Dublin.
  • 15 juillet 1998 : Bruno Roussel et le médecin de l’équipe Festina sont interpellés par la police judiciaire à l’arrivée de la 4ème étape. Les coureurs continuent la course comme si de rien n’était.
  • 17 juillet 1998 : Les deux compères sont incarcérés pour “administration et incitation à l’usage de produits dopants”. Ils confirment l’existence d’un dopage organisé.
  • 17 juillet 1998, 23h : Jean-Marie Leblanc, patron du Tour, annonce la suspension de l’équipe Festina pour “manque d’éthique”.
  • 18 juillet 1998, 11h00 : Les coureurs refusent la sanction et se présentent au départ de l’étape.
  • 18 juillet 1998, 12h15 : Les coureurs se réfugient dans l’arrière-salle du bar “Chez Gillou” pour négocier avec la direction du Tour.
  • 18 juillet 1998, 13h01 : Richard Virenque accepte finalement “d’abandonner” au nom de l’équipe et pleurniche devant les caméras en donnant rendez-vous à l’année prochaine.
  • 23 juillet 1998 : Neuf coureurs Festina avouent s’être dopé. Je ricane en étant certain que Laurent Dufaux ne fait pas partie de ces sales tricheurs. Malheureusement, il en fait partie. Je suis sous le choc, mon monde s’écroule ! Richard Virenque, leader de l’équipe, n’avoue rien du tout.
  • 29 juillet 1998 : La police fouille toutes les équipes du Tour. Les coureurs sont indignés et font grève. Six équipes sont tellement scandalisées qu’elles préfèrent abandonner. Elle avaient sans doute aussi un peu les boules d’être les prochaines à se faire choper.
  • 2 août 1998 : Marco Pantani remporte le tour. Tout le monde s’extasie sur la belle victoire à la régulière de l’Italien.
  • 1999 : Richard Virenque publie “Ma vérité”, un livre coécrit avec Guy Kaput (sic) où il explique comment il ne s’est jamais dopé. Je me permets de vous citer le succulent quatrième de couverture: “Depuis un an bientôt, Richard Virenque se bat pour que la vérité triomphe dans une affaire qui, au départ, n’était pas la sienne. Pour la première fois, il accepte de revenir sur son proche passé, et brise le silence dans lequel il avait préféré se réfugier alors que la tempête médiatique se déchaînait. Livre vérité. Livre choc !
  • 23 Octobre 2000 : Début du procès Festina. Virenque, qui a retrouvé de l’embauche ailleurs, continue de nier.
  • 24 Octobre 2000 : Richard Virenque avoue enfin s’être dopé après deux ans de mensonges. Il est suspendu un an. Le monde du cyclisme peut enfin tourner la page du dopage et repartir de zéro. C’est le moment pour une nouvelle génération de coureurs de briller en roulant à l’eau claire, c’est le moment de Lance Armstrong !

Savoir démêler le vrai Dufaux

Comment Laurent Dufaux a-t-il géré cette période de crise? Il n’a pas écrit de livre, faisant profil bas en laissant, cette fois avec plaisir, les projecteurs médiatiques à Virenque. Il a fait amende honorable en promettant qu’on ne l’y reprendrait plus jamais. Dès le Tour 1999, il égalise son meilleur résultat de l’époque Festina en terminant 4ème du général avec l’équipe Saeco. Une fois qu’il avait avoué, on ne lui a plus jamais demandé de comptes. Je suis pourtant convaincu que lui et d’autres ont continué à se doper comme avant, mais de toute façon pour moi le cyclisme c’était fini. Le temps ayant fait son affaire, Dufaux donne même en 2017 une interview hallucinante à un site spécialisé dans le vélo où il se félicite d’avoir côtoyé de très grandes équipes, d’avoir vécu de grands moments chez Festina et glorifiant même les valeurs sportives du patron de l’époque Bruno Roussel !

Je l’ai croisé un jour par hasard lors d’une dégustation de vin. L’idole de mon enfance était là, devant moi. J’aurais dû sauter au plafond de joie et essayer de discuter avec lui, mais j’ai juste pensé “Ah tiens, c’est Laurent Dufaux” et ça m’a rendu triste.

A propos Jean-Marc Delacrétaz 29 Articles
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6 Commentaires

  1. Et si vous croisiez une star du foot, de l athletisme ou autres sports ou il y a surement autant de dopés, vozs reagirez la.meme chose? Sa carriere il l a faite d egal a egal avec les autres. Perso je garde des bon souvenir, et je serai tout content de boire un verre avec lui.. bravo Laurent, fallait le faire et les aigris qui ont tourné le dos ( mais pas pour tout les sports..) ne serait pas capable, meme chargé, de realiser un millieme de ce que tu as fait
    ..

  2. Bravo Raphaël Iberg! Tu peux aller sur le profil Facebook de McDarby pour lire toute l’admiration que j’ai pour ta plume

  3. Merci de votre article , j ai été un grand fan de vélo, je regardais toutes les courses de 1990 à l affaire Festina …et maintenant plus rien ! J admirai ces sportif , je roulais pour moi et à la suite des ces révélations je me suis dit que tous ces sportifs dopés ne sont que des tricheurs , menteur , voleur … et il n on droit à aucune attention… je réalise que le quidam qui jongle avec une vie de famille , un travail , et qui arrive à s épanouir en faisant un peu de sport à plus de mérites qu’ un Laurent dufaux qui n as qui n avais qu à pédaler toutes là journée et se piquer pour y arriver…
    Pour moi tous sportifs pris dans le dopage devrai être radié à vie de toutes activité sportives professionnelles et publiques.

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