L’instant qui trique : Schumacher

Ah Schumi, c’est toute une époque. Un talent énorme, une arrogance à l’Allemande, un titre gagné en percutant le challenger, un titre perdu en percutant le challenger, des combines, puis une domination ennuyeuse qui permettra aux spécialistes de déjà se plaindre que la F1 c’était mieux avant. Il nous manque le baron rouge et il méritait bien un documentaire Netflix, sobrement intitulé « Schumacher », pour retracer sa vie. Préparez vos mouchoirs, c’est parti pour deux heures d’émotions. Comment ça il n’est pas mort ?

Le film s’ouvre avec une séance de plongée familiale digne du Grand Bleu. Ironique lorsqu’on sait déjà qu’il se terminera avec un grand bleu aux sports d’hiver. Sans transition, le spectateur est plongé dans la vue cockpit d’un tour complet sur le circuit de Monaco. Je me revois sur ma Megadrive avec “Ayrton Senna Super Monaco GP II” et je me rends compte que j’ai encore parfaitement le tracé en tête. La musique est affreusement tire-larme dès l’entame et je me dis que ça risque d’être long. Finalement, il suffit d’avoir la nostalgie de la F1 des années nonante pour que le temps passe relativement vite. Je me suis replongé dans mon enfance à regarder les Grands Prix chaque dimanche avec les commentaires de Jacques Deschenaux. C’était passionnant la F1 à l’époque avec les rivalités Prost-Senna, Senna-Schumacher, Schumacher-Häkkinen et avec le titre de champion qui se jouait sur un accrochage au dernier Grand Prix et où les pilotes se tuaient en direct. Aujourd’hui, au moindre accrochage entre deux voitures, les parents éteignent la télé pour ne pas choquer leurs chères têtes blondes. Nous, à l’époque, on passait l’après-midi à voir mille fois le ralenti de l’accident de Senna à Imola et attendre de savoir si il était mort ou vivant. Y a pas à dire, on savait vivre dans les années nonante !

Mais malheureusement, nous ne sommes pas dans un spin off de “Formula 1 : drive to survive” et entre les images d’archives, il faut se fader des interventions assommantes de ses anciens collègues de courses, de ses amis et de sa famille. Vas-y que c’était le plus doué au volant, un perfectionniste acharné, tellement humble que ça le faisait passer pour arrogant, un père de famille idéal, etc. Tout ça accompagné d’une musique d’enterrement, heureusement que Netflix permet l’avance rapide. Le pire est sa femme Corinna qui nous raconte leur vie de famille avec des anecdotes embarrassantes de banalités. Je vous livre directement l’anecdote la plus croustillante: elle passait parfois des nuits d’insomnie à lire sur les toilettes pour ne pas réveiller son champion de mari, super…Vous aurez compris que le film est 100% validé par la famille Schumacher et que pour dénicher les zones d’ombres, il va falloir gratter un peu.

Un look de bad boy des circuits de karting.

Le film débute avec l’enfance de Michael et ses débuts en karting. Au moins il n’était pas un fils à papa, mais ses parents tenaient une piste de karting, ce qui est bien pratique pour débuter. Combien de grands champions n’ont jamais percé parce que leurs parents tenaient un magasin de couture ? Le mystère reste entier. Quoi qu’il en soit, le petit Schumi a déjà toutes les combines pour gagner car il participe aux championnats du monde junior de karting en 1983 sous les couleurs du Luxembourg pour éviter de payer et pour se garantir une qualification. Petit saut dans le temps et on se retrouve en 1991 avec son premier Grand Prix sous les couleurs de Jordan. Michael qui court chez Jordan, il fallait y penser. En effet l’écurie avait besoin d’un remplaçant en urgence car son coureur titulaire Bertrand Gachot était… en prison après avoir agressé un chauffeur de taxi. Le problème est qu’il fallait avancer 150’000 livres sterling et que la famille Schumacher n’avait rien. C’est la marque Tic-tac qui se chargera de payer la note. On voit passer une photo avec les coureurs de F1 de la saison 1991 et la voix off déclare qu’il y avait des grands noms cette année-là comme Ayrton Senna, Nigel Mansell et Alain Prost. Un léger blanc s’installe lorsqu’apparaît à l’écran le visage de Jean Alesi. Schumacher signe finalement chez Benetton et gagne son premier Grand Prix en 1992 et c’est reparti pour une musique triste avec photo de lui enfant sur son petit kart en bois. Apparaît sa femme qui explique avoir été séduite par Michael lors d’une fête d’anniversaire car il l’avait aidée à faire la vaisselle. Pas sûr que cette technique de drague fonctionne encore en 2021.

Avant Imola: « Tu vois, le monde se divise en deux catégories… »

Quelle joie ensuite de voir Ayrton Senna remonter les bretelles bavaroises de l’Allemand lorsque celui-ci l’éjecte de la piste au premier tour du Grand Prix de France 1992. Quelle honte en revanche au moment d’aborder l’accident de Senna à Imola en 1994, lorsque le narrateur essaye de nous faire croire que Senna devait tellement sortir de ses limites pour battre Schumacher que c’est la cause du crash. On voit ensuite l’Allemand en interview qui explique avoir d’abord pensé que le Brésilien s’en sortirait avec un bleu au bras ou au pire une petite fracture. C’est sûr que se prendre un mur à plus de 300 km/h, ça laisse des bleus. Il gagne la course ce jour-là et il se prépare à faire jaillir le champagne sur le podium, mais Flavio Briatore le calme. On lui a pourtant annoncé que Senna est dans le coma et Michael dit texto avoir pensé: “Le coma peut être beaucoup de chose”. Cruelle ironie. Je n’ai jamais vu quelqu’un autant se dédouaner de fêter une victoire après un drame depuis Platini au Heysel en 1985.

Après Imola: « Toi tu creuses qu’il disait! »

Le narrateur enchaîne joyeusement en annonçant qu’après la mort de Senna, Michael Schumacher était dorénavant le numéro 1 de son sport. C’est fait avec autant de classe que lorsqu’on avait interviewé Donald Trump le 11 septembre pour avoir son ressenti émotionnel et que tout ce qu’il avait trouvé à dire était que la Trump Tower était maintenant le plus haut building de New-York. On enchaîne avec le scandale de 1994, le titre se joue entre Schumi et Damon Hill au dernier Grand Prix. L’Allemand a un point d’avance donc si les deux coureurs sont éliminés, il gagne le titre. Vous voyez venir la combine ? Michael est en tête, il rate un virage et tape le mur, du coup Damon Hill en embuscade derrière en profite pour dépasser, mais le baron vert (et non rouge à l’époque) donne un grand coup de volant pour percuter l’Anglais et hop les deux sont hors jeu et Schumi gagne son premier titre, malin ! Le film ne s’attarde pas sur la responsabilité de l’Allemand et enchaîne directement avec son passage chez Ferrari en 1996.

Tuto de comment gagner un championnat du monde.

Il signe donc chez le constructeur italien alors au fond du trou car ça le motivait d’essayer de gagner des titres avec des voitures pourries. Une Ferrari traitée comme une vulgaire Dacia, eh oui c’était quelque chose la F1 à l’époque. La réalité lui donnera raison, car lors de sa première course, le moteur de son bolide italien explose au tour de chauffe. Lors du championnat 1997 et uniquement grâce à la pugnacité de l’Allemand si on se fie au documentaire, la Ferrari citrouille se transforme en carrosse et Schumi arrive à jouer le titre. Comme en 1994, tout se décide sur le dernier Grand Prix et l’adversaire se nomme cette fois Jacques Villeneuve. Comme en 1994, si les deux sont éliminés, alors le titre revient à Schumacher. Devinez quoi ? Comme en 1994, l’Allemand percute volontairement Villeneuve, mais la manœuvre échoue et il est éliminé. Il sera même rayé du classement final du championnat 97. Le pire c’est que Schumi n’avoue pas sa faute malgré l’évidence, il refuse de s’excuser. « Oh, quel con » comme dirait l’autre.

Tuto de comment rater sa combine pour gagner un championnat du monde.

Du coup il part comme un banni en vacances en Norvège pour faire de la motoneige et lancer trois feux d’artifices pourris. Il a perdu la confiance, le mojo, on dirait Will Ferrell au milieu de tous ses films sportifs quand il est au fond du bac. Mais comme tous les films hollywoodiens, Schumi va remonter la pente et finir victorieux. La rivalité avec Mikka Häkkinen est rapidement traitée ainsi que son accident en 1999 où il se casse la jambe. Il remporte enfin à la régulière (incroyable) le titre avec Ferrari en 2000 grâce à une bonne gestion des arrêts aux stands. Spectaculaire!

Son survol impérial des saisons suivantes n’est étonnement pas traité. Rien non plus sur son mercato du FC Aubonne au FC Echichens. Quand des montagnes enneigées apparaissent à l’écran, on comprend que c’est bientôt l’heure de parler de la dernière course. Sa femme regrette de n’avoir pas changé leurs plans de vacances à la dernière minute cette année-là en allant à Dubaï vu que la neige dans les Alpes s’annonçait mauvaise. On n’a pas tous les mêmes options au moment de choisir ses vacances. Ses enfants apparaissent à l’écran pour dire à quel point leur père était super et qu’il leur manque. Il ne faut évidemment pas s’attendre à voir apparaître le Schumacher d’aujourd’hui à l’écran et en lisant entre les grosses lignes (sa femme parle parfois de lui au passé avant de se ressaisir) on comprend bien qu’il est dans un état végétatif. Ce documentaire sobrement nommé « Schumacher » est donc un joli film de commande pour la famille du pilote, mais pas sûr qu’il était utile de le proposer au monde entier.

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