Les pires souvenirs de la rédac en environnement hostile

Dans le sport en général, ça arrive régulièrement de se sentir un peu isolé lorsque l’équipe ou l’athlète que l’on supporte n’est pas le préféré de la majorité du stade dans lequel on se trouve. Au mieux, vos voisins vous chambrent un peu, c’est bon enfant. Au pire, ça peut rapidement devenir bien moins drôle, surtout par les temps qui courent. À Carton-Rouge, on avait certes envoyé des sbires à Kaliningrad lors d’un Serbie-Suisse un poil houleux. Mais cela ne nous empêche pas de vous proposer, en tant que Poing de Vue de la Rédac de ce mois, un petit florilège des pires expériences de vos rédacteurs préférés quand ils ont évolué en environnement hostile.

Vincent Roesch

Pour ce qui est du LS, les déplacements à Genève sont les matches les plus hostiles. Déjà parce que tu dois passer la douane et t’assurer d’avoir tes vaccins à jour. Et puis parce que la probabilité de rentrer avec un bus intact est aussi élevée que celle de voir Romain Grosjean terminer une course sans détruire sa F1. Sans vouloir leur jeter la pierre, on peut dire que les Genevois sont quand même champions olympiques dans la destruction des véhicules à 4 roues.

Pourtant, mon souvenir le plus hostile reste sans doute ce match de 2005 entre la Turquie et la Suisse, que j’ai pourtant vécu devant ma TV. Mais même à des milliers de kilomètres, la tension était palpable. Que ce soit avant, pendant ou après le match, avec cet épisode dont tout le monde se souvient. À ce jour, je ne sais d’ailleurs toujours pas si l’hymne helvétique a bien été joué avant le coup d’envoi. On aurait plutôt dit une mauvaise reprise de Joe Dassin.

Pierre Diserens

Certes j’ai vécu en tant que jeune adolescent quelques matches couperets de promotion-relégation en terres biennoises où j’ai failli étouffer au coeur des fumigènes. Certes j’ai un peu bourlingué pour tenter de voir quelques ambiances chaudes à travers l’Europe. Mais le moment où j’ai le plus craint pour ma vie, c’est devant un écran.

Je m’explique. Juin 2014 : vacances dans le sud du Portugal avec ma bande de potes de l’uni alors que la Coupe de Monde au Brésil bat son plein. Direction un bar pour suivre Uruguay-Angleterre. Quelle ne fut pas notre surprise en découvrant tous ces joyeux lurons british en vacances, le crâne chauve tout rouge et le taux d’alcoolémie surdéveloppé, qui occupaient 95% de l’endroit. Avec un de mes potes, par ailleurs fan de Liverpool, on a alors la meilleure idée du monde : supporter l’Uruguay parce qu’ils ont Luis Suarez après tout. Voilà que le bougre ouvre le score ! On explose de joie avec nos barbes de prépubères devant tous ces gros tatoués qui nous assènent sans doute des messages de félicitations (on comprend pas tout mais ça doit être ça). Manque de bol, l’Angleterre égalise. En deux secondes, notre table est retournée et les mecs viennent tour à tour nous démonter les tympans. Heureusement, les serveurs qui avaient vu le coup arriver nous protègent un poil pour pas que cela dégénère. Mais si ces gros darons voulaient nous intimider, c’est réussi. Je vous promets qu’on n’a pas bougé un cil sur le deuxième but de Suarez…

Jean-Marc Delacrétaz

Je n’ai pas fait beaucoup de déplacements dans ma vie, mais lorsque j’ai pris connaissance du sujet de l’article, j’ai immédiatement su de quel match j’allais parler. Le 27 mars 2009, le LHC s’en va à la Chaux-de-Fonds pour tenter de remporter le titre de champion de LNB et entretenir l’espoir d’une promotion qui tarde à venir. Un ami avait réussi à me motiver à faire le déplacement avec le bus des ultras du club. À l’aller l’ambiance est bon enfant, parmi les passagers il y a un collègue de bureau de mon pote ainsi qu’un père de famille avec son fils d’une dizaine d’année. Le match se déroule à merveille, victoire 4-2, c’est la fête, on descend tous sur la glace et le rêve de promotion continue. C’est dans le bus du retour que ça se gâte. Il y avait deux bus affrétés par le fan club ce jour là et je suis dans le second. Soudain, celui de devant commence à se faire caillasser par des ultras chaux-de-fonniers. C’est l’agitation dans notre bus, le collègue de bureau qui avait l’air d’être quelqu’un de normal commence à avoir la bave aux lèvres et enlève sa ceinture pour l’enrouler autour de son poing. Il veut absolument sortir du bus pour en découdre avec les neuchâtelois qui ont entouré notre bus. « Ouvre cette porte, nos gars sont attaqués, OUVRE CETTE PORTE !!! » ordonne-t-il au chauffeur. Heureusement, le brave homme n’ouvrira jamais la porte et il arrivera à reprendre la route pour nous sortir de ce guêpier. « Tu as de la chance d’être le dernier chauffeur à accepter de nous conduire aux matches » dira le collègue fou. Moi j’avais honte du spectacle auquel l’enfant qui nous accompagnait avait assisté. Il est adulte aujourd’hui et j’espère qu’il n’a pas mal tourné.

Victor Perrin

Bien que les derbies de football ou hockey en Suisse peuvent être chauds, ça reste la Suisse : elle est rarement comparable avec la ferveur d’ailleurs. Je conserve peu de souvenirs de moments compliqués à gérer lors de ma venue dans un stade ou ses abords, mais je me souviens par contre très bien de l’électricité qui émanait d’un derby entre les Canadiens de Montréal et les Maple Leafs de Toronto. J’ai vécu un long moment au Canada, mais il suffit de passer 24 heures dans la métropole québécoise pour comprendre assez vite que l’ennemi ontarien n’est pas juste un mythe, c’est réel. D’une haine vicérale découlent des moments forts sympathiques… en dehors du Centre Bell. Car oui, la mythique patinoire vit une ambiance familiale en son sein alors que ses abords fourmillent d’ostis de morons comme ils disent par là-bas. Vraiment. Je garderai toujours le souvenir de fans torontois qui se prennent une brosse et qui, dans n’importe quel bar sportif de la ville, pouvaient à tout moment péter une coche lorsque le Tricolore marquait un but. C’était le risque de te retrouver pogné avec des wings lancés sur ta face, une grosse bière qui gicle sur toé ou des insultes qu’on te criss dans la yeule. Câlisse de tabarnak !

Ou alors il suffit d’éliminer le pire club canadien des séries de LNH pour calmer ses partisans et leur faire prendre un bus Greyhound direction les Niagara Falls.

Florent Gonnet

Pas trop de souvenirs d’ambiance hostile pour moi (malgré de nombreux séjours à Łódź, où le derby est plus ou moins un meeting géant de MMA où les fans s’accusent mutuellement d’être d’obédience judaïque), mais plutôt une sensation étrange lors d’un Irlande-France. 7 septembre 2005. En visite chez un pote à Dublin, on descend dans son pub local pour mater la rencontre. Le service est au top, la Guinness est parfaite, les fans irlandais sont là. Ça aboie, ça se chambre, ça small talk, l’ambiance est super. Victoire impérative pour les deux équipes pour se qualifier à la Coupe du monde 2006. Côté français, la présence de Zidane laisse penser que la victoire sera au rendez-vous. Or le début de match est tout l’inverse. Les Irlandais, sous la houlette de Roy Keane, sont très vaillants, ont le contrôle du jeu et frappent même le poteau. On sent que tout le pub commence sérieusement à y croire. D’un coup, à la 68ème, Thierry Henry sort une monstre frappe enroulée sans élan sortie de nulle part, directe dans la lucarne, et qualifie la France sans autre forme de procès. Mon pote et moi célébrons, puis nous faisons progressivement plus discrets, pour au final nous improviser psychologues de comptoir lorsque nous réalisons que tout le pub a vraiment le cœur en peine et que la bonne humeur s’est fait la malle. En effet, pour les Irlandais, participer à une Coupe du monde est une chose rare qui les fait vraiment rêver. Ils seraient prêts à encourager leur équipe avec toutes leurs tripes au bout du monde si l’occasion leur en était donnée. Je n’ai jamais ressenti une telle sensation aigre-douce où ton équipe gagne un match vraiment important mais où tu célèbres en demi-teinte car tu te trouves dans la même pièce qu’une tribu de soiffards super sympas en détresse et aux yeux humides et que tu souffres avec eux par empathie. La violence, ce soir-là, c’était celle de voir des rêves brisés en direct…

Thierry Bientz

Je n’ai pas beaucoup fréquenté les stades de football dans ma vie alors ça va être facile de choisir. C’était le 19 décembre 2003 pour un match entre Lyon et le PSG au stade de Gerland (un stade qui n’existe plus aujourd’hui, comme la gloire de son pensionnaire l’Olympique lyonnais d’ailleurs). Au cœur des années 2000 régentées par l’OL d’Aulas, il était extrêmement difficile de résister dans ce stade pour toute équipe du Championnat de France. En tant que supporter du PSG depuis toujours, j’étais là en tribunes classiques au milieu d’une horde de Lyonnais qui insultaient le PSG et ses fans à tout va. On avait une équipe très faible à l’époque comparé à aujourd’hui (on ne savait même pas placer le Qatar sur une carte mondiale) mais on jouait anormalement le titre grâce à Pauleta qui plantait but sur but. C’est lui qui avait marqué juste avant la mi-temps et permettait au PSG de mener 1-0 contre le cours du jeu. Ce match était une attaque-défense pour l’OL dans son stade bouillant alors que la température extérieure était, elle, glaciale. Eric Carrière avait égalisé en fin de rencontre et ça s’était fini sur le score de un partout. Après le coup de sifflet final, les Lyonnais continuaient de nous insulter joyeusement jusque dans les bouches du métro. Le lendemain, je me souviens que j’avais voyagé dans la même voiture du TGV Lyon-Paris que Vikash Dhorasoo. Je me disais alors qu’il allait signer lors du mercato hivernal au PSG et modifier le rapport de force entre les deux clubs. Il n’en fut rien (il n’ira au PSG qu’à l’été 2005 dans le cadre de sa préretraite). Six mois plus tard, le PSG finissait deuxième du Championnat 2003-2004 derrière Lyon qui nous devançait de trois points. Les trois points que nous n’avions pas décrochés ce 19 décembre 2003…

Valentin Henin

Lors de la demi-finale de la Coupe du Monde 2018 entre la France et la Belgique, je me trouvais au festival de théâtre et de spectacle d’Avignon. Accompagné par des amis français bien plus intéressés par le théâtre que par le football, j’arrive tout de même à les convaincre de m’accompagner en leur expliquant qu’une demi-finale de Coupe du Monde impliquant son pays, c’est comme l’accouchement de sa femme, c’est le genre d’événements qu’on ne loupe pas. 

D’origine belge (bien que la Nati ait une plus grande place dans mon coeur), je décide d’arborer fièrement mon maillot des Diables rouges me disant qu’en France, ça devrait passer. En me baladant dans les rues, je reçois quelques remarques allant de « vous allez perdre » à des accolades « bravo tu oses défendre ton pays ! » en passant par « qu’est-ce que tu fous avec ce maillot ? ». Rien de bien méchant mais je me rends vite compte que si j’avais été un espion, ce tricot ne faisait pas office de couverture. À 30 minutes du match, il est venu le moment de trouver une place pour le regarder. 

Les terrasses sont évidemment pleines. Je m’arrête à une des plus grandes, me disant qu’il y aura peut-être une petite place à gratter. Je ne me rends pas tout de suite compte mais je me retrouve entre ladite grande terrasse et la télévision. C’est alors qu’un petit groupe commence à me huer. Les gens se demandent ce qui se passe et petit à petit c’est toute la terrasse qui me hue. J’ai même le droit à quelques lancers de glaçons de fin de verre et autre projectiles (voir mon croquis du sinistre ci-dessous). Même si c’était très bon enfant, je peux vous assurer que ça fait bizarre à 100 contre 1.

Je prends donc la décision à ce moment que dans le cas où la Belgique gagne, j’irai me changer avant d’aller me boire des mousses. Je me rends bien compte que le niveau d’hostilité est un peu maigre mais étant quelqu’un qui fuit le conflit et la bagarre comme la peste (on dit « Covid » maintenant ?), je suis au taquet là.

Malheureusement pour moi mais heureusement pour mon intégrité physique, la France gagne. Les gens m’arrêtent pour me dire que la Belgique n’a pas démérité. Sympa. Mes potes, toujours plus dans le théâtre que dans le football rentrent dormir dès la fin du match. Je décide quant à moi de rester un peu en ville pour profiter de l’ambiance, me disant que je n’ai plus que ça. Un groupe m’arrête pour me parler de mon maillot, je finis par passer la soirée avec eux et je rentre, entier, avec mon maillot belge à 5h du matin. Belle soirée.

Moralité: le football rassemble et vous permet de vous faire des potes. Faut juste porter le maillot de l’équipe qui perd ou être en majorité.

Olivier Di Lello

Je me suis fait crier dessus par quelques Flamands lors d’un match Italie-Belgique à l’Euro. Bon, je n’ai jamais vraiment compris ce que ces types, sans doute venus de Denderleeuw, voulaient avec leurs perruques tricolores et leurs cornes de diable. Peut-être qu’ils me disaient que j’avais un beau maillot bleu. Rien de très hostile en soi, mais se faire parler très fort dessus dans la langue de Kevin de Bruyne ça fait peur, crois-moi, et ça en fait du postillon.

Ah et lors de la dernière coupe du monde en Russie, après le match Croatie-Argentine, un pote et moi avons dormi dans une auberge de Nizhny Novgorod devenue le repaire d’au moins 300 supporters argentins. Les 12 fans de Maradona avec qui on partageait notre piaule étaient persuadés que nous étions croates, vu que ni lui ni moi n’alignons deux mots d’espagnol. Curieusement, les mecs n’ont même pas eu l’idée de pisser dans nos chaussures après la cuisante défaite de l’Albiceleste. Ils se sont contentés de nous regarder bizarrement. Sans doute trop abattus par la nullité de leur équipe ce soir-là.

Yves Martin

J’ai pas mal bourlingué pour suivre le LS, à une époque où INEOS n’avait pas encore détruit le club. J’ai parfois eu l’occasion d’avoir en face des fans adverses assez vénères (par exemple ceux du Lokomotiv Moscou n’étaient pas ravis de se faire sortir de l’Europa League à domicile par un club de deuxième division suisse…)

Mais dans l’ensemble les services de sécurité ont toujours été très pros et on a parfois eu droit à des exfiltrations sacrément sécurisées (ce fameux match à Moscou on est sortis du stade directement dans le fourgon des CRS qui assuraient la sécurité, il aurait fallu être salement motivé pour venir nous coller une baffe).

La fois où j’ai eu un peu peur, c’était en Arménie. Nous étions trois fans du BWFK à Erevan à l’automne 1988, on venait de gagner 1-2 contre feu le Tsement Ararat et on sortait du stade, suivis par plein de jeunes qui voulaient des sous, des clopes et autres. Plus on avançait, plus ils étaient nombreux, âgés et insistants. Et à 50 mètres de là, dans notre direction, j’avais clairement l’impression qu’un groupe de gars nous attendait.

Au moment où ça a commencé à bousculer, il y a un Arménien qui nous suivait de loin, la cinquantaine, qui est intervenu et qui a commencé à agonir les ados d’insultes. Il a calmé tout ce petit monde, et nous a « escorté » à l’hôtel. Cet inconnu avait vu le truc venir et nous suivait depuis la sortie du stade. On lui a payé quelques verres à l’hôtel, où on a enfin pu fêter la victoire au son du duduk.

Nathan Clot

Le 8 mars 2008, deux petits mois avant de fêter mes 12 ans, mon papa a alors la bonne idée de m’emmener à mon deuxième match de Gottéron en secteur visiteur de toute ma vie (le premier étant un vieux match de playouts contre Langnau). On rejoint donc la BernArena avec une bonne partie de la famille afin d’assister à un match au dénouement historique qui allait fonder ma haine de nos voisins bernois qui durera de longues années.

Nous sommes en 2008, le CP Berne, toujours autant hautain, vient de finir la saison de LNA à première place avec un record de 111 points au total. Le petit Gottéron, tout juste sauvé de la faillite et terminant 8ème de la saison régulière a donc la chance de les affronter dans un 1/4 de finale de playoffs extraordinaire.
Déjouant tous les pronostics, le club de la Sarine tient tête à son rival médiéval. Les deux équipes sont à égalité, deux matches partout. L’ambiance est aussi électrique qu’un soir d’orage estival. L’époque est dangereuse, le derby est connu des forces de l’ordre mais celles-ci sont tout de même toujours prises de court.

Le match bat son plein, je chante, je saute, je comprends pas grand chose, j’ai 11 ans quoi. Aux alentours de 22h30, c’est le drame dans la capitale et moi je me protège entre le tonton et le papa pour éviter de finir en pancakes à la bière au fin fond du secteur visiteur. C’est Antonio Rizzello qui vient de marquer en prolongation. Ce soir là, dans le cortège chaotique des fans fribourgeois, tant bien que mal défendu par des policiers ressemblant à Dark Vador et faisant siffler des balles en caoutchouc au dessus de ma tête, je compris pourquoi il était si évident de détester les Bernois en étant fan des Dragons ! Pourtant, 13 ans plus tard et ayant vécu presque 4 ans sur le méandre de l’Aare, je dois dire que j’arrive enfin à relativiser. Mouais, on va dire ça.

Paul Carruzzo

20 septembre 1997. Coventry, sa ville sale, ses faubourgs crasseux, son stade délabré pour une affiche qui avait la même gueule que notre saucisse d’avant-match (mais l’on y reviendra) : Coventry City – Sheffield Wednesday, celui de Paolo di Canio.

Pour l’anni de Fred, je lui promis de l’emmener découvrir ce fameux foot engagé, celui qui permettait aux stoppeurs de bucheronner le numéro 9, celui qui respirait la bitter qui te collait aux doigts dans les stands et qui te forcerait tôt au tard à découvrir les urinoirs pestilentiels du Highfield Road Stadium. Pour préparer notre mise en bouche footballistique, je lui suggérai de faire un crochet par les nombreuses caravanes prêtes à nous rassasier de saucisses dont seuls les Anglais ont le secret…. A ce jour, on en parle encore de cette fameuse « saucisse ». Une sorte de machin flasque, couleur moutarde, lisse à souhait dont l’odeur seule te rappelait ces infâmes boîtes de singe de l’armée, mais en pire. Quant au pain, il s’était lui aussi rétracté probablement à la vue de la saucisse et s’était transformé en une sorte de mastique fade.

Cet environnement hostile nous acheva. Même les bières ne parvinrent pas à faciliter la digestion de ce truc. Le match finit 0-0. Il plut sur le chemin du retour.

Proust tenait sa madeleine, nous notre saucisse. A chacun son destin.

Raphaël Iberg

En tant que grand fan de Novak Djokovic devant l’Eternel, j’ai évidemment déboursé la modique somme de 225£ pour avoir la certitude d’être présent pour son jour de gloire sur le Centre Court de Wimbledon, le 14 juillet 2019. Imaginez: revenir à quatre longueurs de celui qui usurpe le titre de GOAT depuis de trop longues années et à deux de son second au bras gauche aussi hypertrophié que la mauvaise foi de mon oncle au septième verre de rosé. 16-18-20.

J’étais le seul supporter serbe d’un stade dont 14’990 (au moins, en partant du principe que le clan du numéro 1 mondial était au complet et sans ambivalence ce jour-là) des 15’000 pensionnaires étaient acquis à la cause d’un gâche-métier nommé Roger F. Un rapport de forces tout ce qu’il y a de plus normal dans une enceinte tennistique de la planète Terre entre 2004 et 2021 en somme. Je peux vous assurer que c’était pas simple d’être le seul à me lever en beuglant « Ajde Nole ! » à chaque revers bas duf’ de machin en face. Sans parler du moment fatidique au seizième jeu de la cinquième manche qui a vu tout le stade sauf votre serviteur activer la fonction vidéo de son téléphone portable à deux reprises, prêt à capturer l’innommable (j’avais plus de batterie de toute façon).

Je déconne, évidemment. On ne peut qu’imaginer que c’est ce qu’a ressenti ce supporter (si tant est qu’il existe réellement), du moins jusqu’à 6-7 6-1 6-7 6-4 8-7 40-15. A force de hurler « ALÉSIA ? CONNAIS PAS ! » dans les minutes qui ont suivi, j’ai perdu le fil au niveau de l’évolution subséquente du score. Si par hasard vous êtes sado-maso, vous pouvez toujours aller lire le récit réel de mon séjour à SW19 il y a deux ans pour voir s’il vous donne le nom du vainqueur.

Si c’est le cas, ne m’appelez pas pour me le répéter, je vis depuis plus de deux ans dans le confort inestimable de l’oubli. Ce dernier est d’ailleurs une grâce selon Julien Green (à tel point que, 17 ans plus tard, je n’ai apparemment toujours pas… oublié le tout premier énoncé de dissertation de ma carrière gymnasiale).

Joey Horacsek

En tant que fan de certains clubs mais ultra d’aucun, je n’ai pas souvent été supporter mes équipes à l’extérieur, entouré de tarés (même si j’ai quand même un souvenir sympa d’un Bâle-YB passé dans le kop de Saint-Jacques, où il y avait tellement de fumigènes qu’on ne voyait littéralement pas deux rangs devant nous). De même, je n’ai pas la chance d’avoir assisté à des rencontres dans des pays où les matches sont encore plus chauds dans les tribunes que sur le rectangle vert.

Alors, à l’instar de Pierre, mon souvenir le plus « tendu » était devant un écran. Lors de l’été 2012, j’ai fait un séjour linguistique à Freiburg-im-Breisgau. En plein Euro, la coutume était, après les cours, de nous rendre à la Brasserie Ganter, immense biergarten qui s’était paré de plusieurs écrans géants. Et ce 13 juin, l’Allemagne affrontait le Danemark, petit poucet du groupe B qui comptait également le Portugal et les Pays-Bas. La victoire est donc obligatoire pour la troupe de Joachim Löw. Sauf que moi, je m’en fous un peu de ce match. Et dans ce genre de cas, j’ai tendance à soutenir la plus petite des deux équipes. Alors avec un pote fribourgeois et un tessinois, on se prend à tenir discrètement pour les Scandinaves. La Mannschaft ouvre logiquement le score, tout le biergarten explose. Mais 5 minutes plus tard, stupeur : Krohn-Dehli égalise. L’endroit est plongé dans un silence de cathédrale… Sauf à notre table, où mes deux compères et moi-même avions un peu zappé, pris au jeu du match, que nous étions entourés de centaines de fans allemands, pour certains passablement beurrés. Au moment où on a gueulé pour célébrer le but danois, absolument tous les regards ont donc convergé vers nous. Alors par chance, on était en Allemagne et pas dans un autre pays très courtois avec les supporters adverses, genre Hongrie ou Angleterre, et la Mannschaft a fini par remporter, difficilement, ce match, ce qui a fait que tout était rentré dans l’ordre. Mais je vous assure que vu l’ambiance, on a fini par espérer que les Danois perdent, qu’on nous oublie un peu.

 

Crédits photographiques :

Image de tête: Werner100359/CC0/Wikimedia Commons: https://commons.wikimedia.org/wiki/User:Werner100359

A propos Joey Horacsek 84 Articles
Bon ça va, je vais pas vous sortir ma biographie

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