Un Serbie-Suisse plein de câlins… ningrad

Deux braves contributeurs de Carton-rouge ont entrepris la périlleuse odyssée de se rendre à Kaliningrad pour suivre l’équipe de Suisse. Il n’y avait pas que les aigles qui volaient bien bas.

Le Voyage

La proposition venait de Séb, aller voir Suisse–Serbie dans l’enclave russe en Pologne, avec son frère Adrian et son collègue valaisan JD. Pour éviter les prix exorbitants d’un avion atterrissant en Russie, l’idée était de voler jusqu’à Varsovie pour ensuite louer une voiture, traverser la moitié de la Pologne et rejoindre Kaliningrad la Douce. Bien sûr, tout ne pouvait pas être aussi simple et il a fallu que l’église catholique nous envoie sa meilleure relique du moment : Le Pape François à Cointrin le jour de notre départ pour performer une messe à l’heure de notre check-in… ce sera cependant l’occasion pour Séb de récupérer une crèche en réalité virtuelle (véridique), indispensable pour s’attirer la faveur des cieux avant ce match décisif. Nous décidons de venir 5 heures avant à l’aéroport et d’y regarder France-Pérou dans la Lounge Swiss au fond de laquelle ils avaient astucieusement aménagé une caricature de coin à fans de foot (stand à hot-dogs, cônes de popcorn et tireuse à Heineken… c’était presque touchant de cliché.)

Nous nous doutions que les supporters suisses n’allaient pas être en masse à ce match. Cependant après le contrôle de sécurité nous en croisons déjà trois, dont l’un d’eux a l’air d’avoir commencé à célébrer depuis une semaine vu son état d’enthousiasme éthylique avancé, et s’adressant à l’un de ses amis à la Jacquouille en lui serinant « t’es un bon compagnon ». Après avoir prévenu bien fort tout le hall de l’aéroport qu’il doit « vite aller acheter des capotes », le malheureux se verra interdire l’accès à l’avion (et nous gratifiera d’une bonne vingtaine de minutes de retard). L’armée rouge et blanche venait alors sans doute de perdre l’un de ses plus valeureux combattants.

Après une nuit à Varsovie, nous prenons la route tôt le matin, le jour du match où il pleut des cordes et il fait froid. 400 km qui se passent relativement bien. Le passage à la frontière russe est prévisiblement long avec des gardes-frontière en long manteau rigoureux mais pas plus chiants que ça. L’un d’eux chantonne mon prénom en me rendant mon passeport « Robin… Robin… Robin », je me dis qu’on atteint le sommet de la rigolade qu’on peut décemment espérer ici.  Des très jeunes bénévoles sont là pour nous donner des livrets d’informations. Ces pauvres gosses ont bien dû regretter d’avoir mis « fluent in english » dans leur formulaire de postulation, parce que se retrouver à la douane polono-russe toute la journée n’était sans doute pas ce qu’ils imaginaient quand on leur a vendu le concept « bénévole pour la Coupe du Monde ».

L’arrivée

Deux heures plus tard, nous voilà à Kaliningrad la Belle. C’est sûr qu’on n’était pas venu ici pour le tourisme. Séb reçoit un téléphone paniqué de l’agence de location de voiture. La dame au bout du fil lui dit «nous avons vu que vous êtes en Russie, il faut absolument que vous reveniez immédiatement en Pologne ». Séb lui répond « heu… OK» et raccroche sans expliquer que « immédiatement » allait attendre demain. Retourner en Pologne à 6h du coup d’envoi n’était pas une option. Nous finissons par arriver dans le quartier et nous nous rendons vite compte que nous n’allons pas dormir dans un palace.

L’appartement loué par Séb se trouvait au beau milieu d’un décor du film Babylon A.D. (si vous ne l’avez pas vu ne le regardez pas, c’est de la merde) mais étrangement, l’intérieur, chaleureux et confortable, était l’exact opposé de l’extérieur… et non… pas d’analogie douteuse, on n’a pas le temps on doit filer en ville, à la découverte de Kaliningrad la Voluptueuse. Je leur affirme « mais oui vous allez voir, on va trouver plein de bars avec des supporters ça va être la fête »…

Kaliningrad la Charmante.

L’apéro

Tous les restaurants sont pleins, les supporters serbes ont pris d’assaut les bars et les rues et chantent aussi fort qu’il leur est anatomiquement permis. Comme nos maillots à croix blanche sont bien rares, notre passage provoque de vives réactions. On nous interpelle par des chants et des rires, rien de bien méchant. Progressivement, on nous hurle des phrases avec « Kosovo » dedans, quels taquins ces Serbes quand même. Après 45 minutes de marche, nous finissons par arriver sur la « place centrale » de la ville garnie d’une centaine de fans serbes, marquant leur présence par de nombreux drapeaux et fumigènes. C’est sans compter sur la discrétion Suisse, nous nous faufilons dans le bar tel un commando d’anguilles, l’espace d’un battement de cils, la meilleure table du restaurant (avec 4 fauteuils) se libère sur notre gauche, et tel un vieux pointu à Frei, nous transformons.

Le déni

Un Serbe vient vers moi et me dit « tu sais on n’a rien contre vous, j’espère que vous le prenez pas mal ce qu’on chante, c’est juste deux-trois joueurs qu’on déteste ». Je ne sais pas trop quoi lui répondre alors je fais « mmh ». Les chants résonnent, forts. Etrangement on y parle beaucoup du Kosovo, probablement pour conter ses beaux paysages ou sa nourriture savoureuse. Je regrette alors ne pas avoir Xhaka ou Shaqiri floqué dans le dos de mon maillot, probablement m’auraient-ils alors acclamé et sifflé d’enthousiasme.

Une partie des supporters portent de drôles de petits bonnets militaires, sûrement une école de recrues serbe ayant fait le déplacement. J’aperçois plus loin un groupe tout de noir vêtu avec de drôles d’inscriptions sur l’avant de leurs pulls à capuches, comment font-ils pour porter du noir par une chaleur pareille ? Heureusement leurs coupes de cheveux (très court sur les côtés, le dessus devant et derrière) leur assuraient un peu de fraîcheur. Mais le groupe le plus accrocheur était celui avec une photo en imprimé sur chacun des T-shirt, un certain Ratko Mladić. Très certainement un proche retenu au pays mais qui fera le déplacement dans leurs cœurs à la manière des fans allemands qui avaient amenés une pancarte grandeur nature de leur ami absent.

Nous changeons de crémerie au bout d’un moment, des drapeaux de la première guerre mondiale nous masquant le soleil (probablement un voyage d’étude de la Haute Ecole d’Histoire Balkanique devait se trouver sur la place par hasard). Nous trouvons un bar ou l’on nous laisse nous assoir à une table réservée « Mais que 5 minutes hein ! ». Parfait le temps pour 8 chopes et 8 shots.

Le chemin est sympa, on croise quelques Suisses et quelques Serbes avec qui nous trinquons. Lors d’un stop pour une indispensable « bière de trop » sur le chemin, un serveur russe nous exprime son affection pour le bonnet suisse de mon camarade valaisan parti aux toilettes. Je le lui donne. Il est si heureux qu’il m’offre en échange un billet de 100 roubles spécialement imprimé pour la Coupe du Monde. Revenu des toilettes, l’ex-propriétaire du bonnet simulera une crise, m’accusant de l’avoir vendu.

Le match

Arrivés dans le stade nous nous rendons compte que nos billets en secteur « neutre » ne portent pas bien leurs noms, nous nous retrouvons en plein milieu de supporters serbes. Mais qu’à cela ne tienne, nous avions eu tout le loisir de côtoyer leur collègues cet après-midi, nous ne pouvions contenir notre joie de passer encore quelques instants magiques avec eux. C’est d’ailleurs à cet instant que nous nous rendons compte que quelques coquins sont à nos places, ils n’ont pas l’air forcément commodes avec leur t-shirts noirs à symboles militaires mais nous sommes sûrs qu’il s’agit d’un malheureux quiproquo et qu’ils nous rendront nos places dès que nous présenterons nos billets. Ah en fait non… Je joue des épaules pour me foutre au milieu de ces mecs, choisissant l’option de ne pas insister pour qu’ils s’en aillent et me disant que je m’en accommoderai. Appelez ça de la diplomatie, de l’instinct de survie ou de la lâcheté, comme vous voudrez. Séb lui a décidé de ne pas céder, il se plaint auprès d’un stadier. Celui-ci regarde la chose mais lui signifie qu’il préfère ne rien faire. Mais Séb ne lâche pas le morceau (putain des places à 120 balles merde !) Deux stadiers finissent par demander à nos incrustes de partir.

Après une brève empoignade, quelques cris et une ou deux menaces de mort, mais qu’ils ne pensaient pas vraiment j’en suis sûr, nous récupérons nos sièges. Quel dommage cette barrière de la langue quand même, ça peut créer de ces quiproquos… Par exemple, nous découvrons que le signe « tu me fais sourire » se fait avec le doigt mimant un sourire sur la gorge. Le match a maintenant commencé, nos voisins de tribune se sont montrés très taquins et tactiles au moment de fêter leur premier but et nous le comprenons bien, leur enthousiasme et leur joie de vivre sont communicatifs.

A chaque fois que Shaqiri ou Xhaka touchent un ballon on les siffle copieusement un peu comme on peut maladroitement siffler une jolie fille dans la rue et, de nouveau, des chants incitants à faire du tourisme au Kosovo retentissent de la part de nos voisins. Des crachats nous parviennent parfois lors des actions dangereuses, j’imagine comme il doit être difficile de jurer dans une langue slave avec toutes ces consonnes. Un peu de bave m’échapperait probablement aussi. Les petits coups de genoux dans le haut du dos et les claques sur la nuque, sans doute donnés maladroitement dans l’excitation de l’action ne nous blessent pas réellement et c’est le sourire aux lèvres que nous assistons à cette rencontre au fair-play irréprochable. Le frère de Séb passe sa mi-temps à se faire pincer dans le dos, quels farceurs sont nos nouveaux amis !

Seule petite ombre au tableau, la confiscation du drapeau valaisan de mon « bon compagnon » JD par la sécurité par suite d’une plainte collective et plutôt bruyante de l’ensemble de la tribune. Mais étant donné qu’il ne faisait déjà pas l’unanimité dans notre groupe de 4, nous comprenons une réaction fort naturelle à la vue de ces affreuses étoiles.

À la mi-temps, mes trois comparses semblent réticents à l’idée de rester. Je ne les comprends absolument pas, j’insiste pour qu’on reste, on ne va pas louper la fin du match parce qu’on nous a confisqué le drapeau valaisan quand même ! J’ai finalement gain de cause, nous restons. C’est juste après cette décision que Xhaka marque l’égalisation. Par respect pour nos nouveaux amis nous jubilons surtout intérieurement. Un Serbe m’attrape néanmoins le bras et me hurle au visage des mots que j’interpréterais comme « bien joué les amis, que le meilleur gagne, mais dans l’esprit de Pierre de Coubertin ».

La fin du match est chaude. Je discute avec mon voisin, un sympathique Lituanien qui me dit que ce n’était pas une bonne idée de venir dans cette partie du stade parce que même lui ne se sent pas rassuré, il y en a quand même… ils voient le mal partout. Le temps file et nous nous surprenons à espérer que ce 1-1 tienne jusqu’à la fin pour remercier ces fans serbes et leurs cousins russes pour ce bel accueil. Lorsque Shaqiri envoie le ballon dans le but adverse. Notre adrénaline prend malheureusement le dessus. Je lève mon poing en hurlant, faisant face à mes voisins de derrière, heureux. La déception et la tristesse déformaient leur visage en d’horribles grimaces, les yeux exorbités et l’écume aux lèvres, on aurait pu imaginer qu’ils étaient fous de rage si on ne les avait pas connus comme nous les avions connus. Je demande alors immédiatement à Adri (frère de Séb) d’arrêter de sauter de joie dans tous les sens, et nous finissons nos jubilations intérieurement par pur respect pour leur tristesse et par gratitude pour cette magnifique journée que nous venions de passer avec eux.

Nous sortons du stade, tout semble plus léger. Impossible de réaliser tout de suite ce moment et cette victoire incroyable. Lors de cette nuit de victoire arrosée, après des « verres de trop » en cascade et des shots de vodka de la taille d’un verre à whisky. Nous croiserons la route de quelques Russes voulant que nous posions avec eux pour une photo comme si nous étions Dingo et Tac à Disneyland. Une jeune femme à la silhouette shaqirienne veut manifestement m’épouser mais ce ne sera malheureusement pas possible.

Nous repartîmes la tête pleine de petits cœurs et d’arc-en-ciel. Merci Xhaka et Merci Shaqiri. Pour ce qui est de votre signe de soutien à Simplon-Village pour leur médaille au 7e Concours suisse des produits du terroir (section Raclette AOC) et bien chapeau bas, la Raclette valaisanne vous doit en partie sa renommée internationale.

Les armoiries de Simplon (VS)

Cet article à été co-écrit entre Robin Chessex et Sébastien Guénat.

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10 Commentaires

  1. Robin, j’attendais cet article depuis que ton remplaçant nous a appris que tu étais sur place. C’est ENORME, merci d’y être allé, et vive Simplon-Village ! (On va la réutiliser, celle-là…)

  2. Question hostilité ça me rappelle le fameux Turquie-Suisse de novembre 2005. Sauf que là il y avait des flics qui faisaient leur job entre les Turcs et les 600 Suisses… Tandis que pour vous même pas. Des souvenirs pour toute une vie.

  3. J’ai adoré lire votre article même si je ne vous connais pas. Ce fut un plaisir et drôle !

    Salutations de la Broye

    Ardian

  4. Trop fort le deuxième degré 🙂 j’ai adoré votre article, par contre bravo à vous d’être resté avec vos nouveaux amis 😉

  5. Magnifique article ! Merci pour ce beau récit, comme quoi il n’y a rien de mieux que le foot pour rencontrer de belles personnes passionnées par la beauté et la noblesse de ce sport. Une petite pensée a ce brave Ratko resté probablement au pays, il aurait certainement fait un bon compagnon lui aussi

  6. Un grand bravo pour cet article magnifiquement bien écrit! Vous avez eu beaucoup de cran durant cette journée et cela a ete récompensé au bout par une magnifique victoire… même si elle a failli vous coûter votre retour!

  7. Juste géant cette article. J’étais à Kaliningrad et votre article retranscrit exactement ce que l’on a vécu ce jour là. Je suis la Nati depuis 1994, et avec le Turquie Suisse de 2005, c’est mon plus triste souvenir de supporter.

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