14 ans de perdus

Depuis le but de Vonlanthen contre la France à l’Euro 2004, l’équipe de Suisse  revendique de progresser. Le palier, elle devait le franchir mardi. Elle s’est foirée dans une immense mesure. Et en plus quand on perd contre la Suède, on ne peut même pas se rassurer en se disant « au moins notre PIB, il est plus élevé ».

Un jour de réflexion ça peut faire du bien parfois. Hier, au lendemain de l’élimination de la Suisse de la Coupe du Monde, j’étais dominé par une frustration et un énervement constants. J’ai finalement abandonné le papier que je m’apprêtais à remettre sur ce site mais je peux vous en laisser un extrait : « PUTAIN DE MERDE, MAIS MERDE, C’EST PAS POSSIBLE, ÇA FAIT CHIER BORDEL ». Finalement, passée la rage de voir la plus belle opportunité de l’histoire partir en fumée, on peut envisager de chialer avec la tête froide.

Pourquoi la Suisse s’est-elle vautrée ? On peut élaborer toutes les théories de comptoir possible, elles valent ce qu’elles valent. Et pourtant, certains éléments ont certainement compté. Au-delà du fait qu’il y a un manque évident de talent offensif, ce que personne n’ignore…

Mais on est obligés de prendre en compte d’autres éventualités, tant la qualité des joueurs suisses aurait dû suffire face aux Suédois, en théorie. Il y a eu, tout d’abord, des problèmes de management. Quand on loge à Togliatti où il fait une température de sauna et qu’on traverse, un match sur deux, la moitié de la Russie pour aller jouer dans des conditions complètement différentes, pas sûr que votre corps, tout entraîné qu’il peut être, kiffe à fond ces vols et ces changements de climat à répétition. C’est un détail, mais l’énergie de camembert fondu que semblaient dégager les Suisses sur le terrain montrait vraiment qu’on avait atteint des limites physiques impardonnables. L’autre après-midi, la moitié des joueurs avaient l’air à côté de leurs pompes. On oublie que les matches de groupe ont été difficiles, arrachés. Et qu’ils avaient de quoi laisser des traces. La préparation physique avait-elle été adéquate ? C’est quand même étrange. Xhaka ressemblait à la vieille voisine italienne de 90 ans qui vit en-dessus de chez moi et qui prend trente minutes pour monter les quatre étages de l’immeuble en soufflant fort toutes les deux marches.

Et puis, il y a aussi eu un problème tactique. Pour le première fois, Petkovic s’est sans doute fourvoyé. On imagine bien ce qu’il s’est dit, qu’il n’allait pas changer un dispositif qui marche et que si l’équipe gardait le ballon, elle allait bien finir par marquer. Si ça avait marché, on n’aurait rien pu dire. Mais c’était mal envisager qu’en face il y avait les Suédois, un bloc de gros bonshommes qui se sont régalés des deux mille centres dans les seize mètres adressés par Rodriguez. Remettre Shaqiri sur son couloir droit a pu enfin nous prouver une fois pour toutes que Tyrion Schwarzenegger n’a pas de pied droit. Et c’est un peu compliqué dans un match avec cette physionomie. Les Suédois détestaient les dribbles, c’était le seul point qui pouvaient les bousculer. Et personne n’est venu les affronter jusqu’à l’entrée d’Embolo. Bref, on peut y aller pendant des siècles de nos « Petkovic aurait dû faire ça… », n’empêche que la bataille tactique, c’est Janne Andersson qui l’a gagnée. Et on espère que cela servira de leçon pour l’avenir.

Parce que oui, il ne nous reste que l’avenir. Ce sempiternel refrain qui nous rappelle que, par ailleurs, on ne rajeunit pas et qu’il faudra attendre encore d’être peut-être des vieux machins pour enfin voir « quelque chose », un mot qui déjà ne veut pas se mouiller lui-même. Le sentiment qui nous anime est plutôt que non, on ne fera jamais rien. Que ce huitième va rester dans l’imaginaire collectif comme le symbole que nos rêves imbéciles sont vains et bien naïfs. Il se renforce par la rage d’envisager que d’autres pays, la Suède, le Pays-de-Galles, l’Islande ou d’autres encore pas plus terrifiants sur la planète foot ont eu droit à leur moment d’euphorie. Ils sont moins réguliers, se qualifient moins souvent mais ils ont, une fois au moins, créé l’exploit. Nous, on n’y a pas droit et ça semble mal barré pour plus tard, à la lumière de ce match, mardi passé.

Le signal d’alarme, on l’avait eu contre le Portugal à Lisbonne en octobre passé, où soudain la Suisse paraissait à mille lieues de pouvoir embêter les plus forts. Alors certes, Petkovic n’a pas mille possibilités devant lui pour modifier son équipe et la génération qui vient derrière n’est pas vraiment prometteuse (pas sûr qu’un Edimilson Fernandes ou un Oberlin auraient apporté grand-chose). Mais il y a cette impression que ça tenait à peu de faire beaucoup mieux par une approche stratégique un peu plus enlevée.

C’est dur de ne pas avoir droit à cette petite semaine à attendre avec délectation un quart de finale contre l’Angleterre. C’est dur d’avoir l’impression que tout ça aura été bien inutile et que les jolies performances en groupe seront, dans l’avenir, effacée face à la désillusion de Saint-Petersbourg. Alors on va être patients. Et attendre l’avenir pour de nouveau se prendre à péter plus haut que nos culs, et espérer des miracles. On le fera sans doute. Mais il y a quand même un truc qui s’est cassé.

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8 Commentaires

  1. La Suisse est une équipe moyenne, juste assez solide pour se qualifier et tenir en échec un Brésil pas encore dans son tournoi et un Panama très mal chanceux. Il me semble que tout le monde les voyait bien plus forts que la réalité, et ça a sauté aux yeux contre la Suède. Et très juste, le match contre le Portugal en octobre était déjà très clair à ce sujet !

  2. Merci pour ton bon sens Robin.
    A quand les états généraux du foot Suisse pour mettre le doigt là où ça fait mal, et commencer à former des footballeurs qui peuvent nous offrir un autre style de football. Comme tu le dis, on n’a rien appris de nos désillusions passées en 8eme. Du copier & coller avec aucun sens de révolte, a part Embolo qui a fait le ménage, des fois maladroitement mais avec envie.
    Où est le grand coup de gueule de la Fédération pour affirmer que les ‘cons’ de Liechsteiner, c’étaient en fait le 75% des joueurs qui n’ont pas couru à St Pétersbourg. Petkovic a fait du bon boulot, pour aller plus haut il faudrait faire du très bon boulot. Vaste chantier.
    ….à nous maintenant d’être les victimes des campagnes de pub d’IKEA….C’est po beau et trop injuste…

  3. Excellent article, qui ne fait pas l’économie des émotions négatives dans lesquelles je me reconnais très bien, mais qui ne sombre pas dans la provocation débile blicko-joelrobertienne de ceux qui s’écoutent parler et se regardent écrire. Ça fait du bien!

  4. Il faudrait peut-être faire un parallèle avec l’équipe suisse de hockey sous Krueger. Qui jouait toujours le même système, qui créait l’exploit, quelques fois, mais rien de transcendant. Et tout à coup, on change le système, on fait du jeu, et ça marche! (pas à chaque fois, mais pas si mal). Il serait peut-être temps aussi pour notre Nati, d’arrêter de faire des passes en arrière, d’arrêter de relancer dans les bottes de l’adversaire, d’arrêter d’espérer que le copain fasse un exploit! C’est à chacun de tenter l’exploit. Le pire de tout, c’est que je serai, (et sûrement d’autres avec moi), de nouveau naïf, la prochaine fois!

  5. En plus de ce qui a été dit, ce match aura montré pourquoi lichsteiner a autant de sélections. Aujourd’hui Lang a vraiment souffert de la comparaison

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