Petite introduction au basket japonais : les enjeux

La saison de basketball a repris en octobre au Pays du Soleil levant. Même si ce sport est encore mineur dans l’archipel, il pourrait éventuellement devenir plus important dans les années à venir. Au bénéfice d’une forte cote de sympathie parmi les jeunes, le basket va en effet au devant d’importants changements administratifs qui pourraient donner naissance à un championnat de première importance en Asie. Présentation en trois volets du sport qui monte au Japon.

A priori, il y a peu de raisons de s’intéresser au basketball asiatique, et encore moins au basketball japonais. En effet, les nations de l’Est ne sont pas réputées pour la qualité de leur jeu. Tant chez les hommes que chez les femmes, seule la Chine surnage quelque peu et arrive régulièrement à passer le premier tour des plus grandes compétitions avant de se faire battre à plate couture, le plus souvent contre la Lituanie, un pays dont la population est environ 500 fois moins nombreuse que la sienne. De son côté, le Japon ne se qualifie normalement même pas pour une phase finale, ni celle de la Coupe du monde, ni celle des Jeux olympiques, du moins pas depuis ceux de Montréal en 1976.Une fois les a priori passés, on trouve pourtant d’excellentes raisons de regarder d’un peu plus près comment cela se passe dans la sphère du ballon orange de ce côté-là du globe. Car l’Asiate aime le basket : c’est particulièrement le cas en Chine depuis la percée de plusieurs joueurs en NBA comme Wang Zhizhi ou Yao Ming. Lorsque vous entrez dans un magasin Foot Locker à Shanghai, vous trouvez plus facilement la photo de LeBron James représentée sur les murs que celle de Cristiano Ronaldo. S’il serait un peu téméraire d’affirmer que le basketball y constitue le sport le plus populaire, l’absence d’une discipline d’équipe occupant un vrai leadership dans la société à l’image du football en Italie ou du rugby en Nouvelle-Zélande lui laisse l’espoir de s’implanter à terme comme le sport numéro un de l’Empire du Milieu.

Au Japon, la situation est différente. Le baseball est le sport le plus médiatisé dans l’archipel de façon incontestable et ce depuis plus d’un siècle. Quoi qu’on en dise, cette situation n’est pas prête de changer, même si l’avènement d’un championnat professionnel de football il y a une vingtaine d’année doublé d’un excellent travail de formation ont fermement placé le ballon rond sur la deuxième marche du podium. Le basketball n’arrive donc qu’à la troisième place des sports d’équipe, avec une bonne longueur d’avance sur le rugby. Il n’en a pas moins toutes les cartes en main pour devenir incontournable dans le paysage sportif japonais ces prochaines années : au bénéfice d’une excellente image chez les jeunes et d’une popularité tout à fait respectable, il est le troisième sport de l’archipel à pouvoir se targuer de posséder des équipes 100% professionnelles. Néanmoins, plusieurs anicroches viennent noircir ce tableau prometteur, car le basket-ball est présentement le théâtre d’une intense confrontation. A ma gauche, la Japan Basketball League, championnat traditionnellement soutenu par l’Association japonaise de Basketball et véhiculant une non moins traditionnelle vision du sport au Japon. En place depuis des décennies, cette compétition était encore maîtresse incontestée en sa demeure jusqu’à il y a peu. A ma droite, la Basketball Japan League (bj-league), un championnat rebelle, né il y a seulement six années mais dont l’ambition n’a d’égale que sa fulgurante montée en puissance. Le challenger saura-t-il mettre au tapis un champion poussé dans ses derniers retranchements ? Voici l’enjeu principal du basketball au Pays du Soleil levant !

Mise en contexte

Introduit dans l’archipel à la fin du 19e siècle par la fameuse Young Men’s Christian Association, le basketball n’a pris son envol qu’au sortir de la Seconde guerre mondiale, à une période où les forces alliées occupaient le pays sous dominance étasunienne. La plupart des équipes dites traditionnelles qui jouent encore aujourd’hui ont ainsi été fondées dans les années 1950 sous l’égide bienveillante de l’Association japonaise de Basketball (JBA), constituée quant à elle en 1930. Durant la seconde partie du 20e siècle, son championnat national a principalement mis aux prises des équipes appartenant à de grandes entreprises. Si ce championnat a changé plusieurs fois de nom comme de forme, il se dénomme Japan Basketball League (JBL) depuis la saison 2007-2008.
Caractéristiques du sport de haut niveau japonais, six des huit clubs de JBL sont la propriété d’une compagnie-mère dont le nom (en italique) figure en bonne place dans celui de l’équipe : Hitachi Sun Rockers, Toyota Alvark, Tōshiba Brave Thunders, Aisin Sea Horses, Mitsubishi Electric Diamond Dolphins, Panasonic Trians. Ce système d’équipes d’entreprise est une composante très importante de l’histoire moderne du sport au Japon. Il ressemble au système des franchises nord-américaines car le propriétaire – en l’occurrence presque toujours une grande compagnie – peut décider de déplacer son équipe dans une autre ville pour raisons stratégiques ou financières. La création des premières équipes d’entreprise remonte aux années 1920 et cette pratique est encore en vigueur à l’heure actuelle dans l’immense majorité des sports d’équipes évoluant à un niveau semi-professionnel ou professionnel. Signe de l’ancrage que ce système a depuis pris dans la société nippone, on s’amusera de constater que les médias se réfèrent à ces équipes en utilisant prioritairement le nom de leur compagnie-mère. On parlera ainsi plus volontiers du match «Tōshiba–Toyota» que du match «Brave Thunders–Alvark».

A l’opposé, les deux clubs restants – le Levanga Hokkaidō et le Link Tochigi Brex – ont une vocation plus populaire que les équipes d’entreprise dans le sens où, comme leur nom (en italique) l’indique, ils sont avant tout rattachés à une ville ou à une région, dans un style rappelant celui du sport traditionnel européen. Contrairement à ces grandes multinationales s’étant dotées une équipe de sport pour des questions de relations publiques avant tout, ces clubs n’existent que pour leur activité en tant que club de basketball. Ils se doivent donc de trouver des moyens pour que leur équipe génère suffisamment d’argent pour rester dans les chiffres noirs, exactement comme le font les clubs de sport que nous avons en Europe. Revendiquant un fort lien avec une région précise, ils basent leur système de management sur le soutien des entreprises et supporters locaux. Il est important de réaliser que ce «modèle européen» constitue un élément nouveau dans le monde du sport japonais. Il ne s’est popularisé que suite à l’établissement du championnat professionnel de football (J.League) en 1993 dont les organisateurs ont imposé à leurs équipes de s’établir dans une région définie, de prendre leurs distances avec leur compagnie-mère, mais également d’œuvrer pour la création de liens avec les entreprises et la population locales.
L’avènement de cette nouvelle conception d’une équipe de sport a provoqué quelques changements dans le basketball japonais. En 2002, quatre clubs ont demandé à la ligue d’entamer un processus de professionnalisation. Jusqu’alors, la majorité des joueurs des équipes d’entreprise n’avaient pas été engagés comme joueurs de basketball à temps plein mais comme employés dans la division «basketball» de la compagnie. La lenteur de réaction du comité exécutif de l’Association japonaise de Basket-ball (JBA) face à la demande de ces quatre équipes provoqua le retrait de deux d’entre elles, l’Albirex Niigata et les Broncos de Saitama, qui réussirent à mettre sur pied en novembre 2005 un championnat professionnel dissident et, de fait, coupé de tout lien avec l’Association. Celui-ci prit le nom de Basketball Japan League (bj-league). Mise devant le fait accompli, la JBA entreprit à son tour de réformer son championnat et lança la «Japan Basketball League» (JBL) dès la saison 2007-2008. A l’heure actuelle, il existe ainsi deux ligues majeures de basket-ball au Japon qui se font concurrence.

Les enjeux de la professionnalisation du basket-ball nippon

Une des particularités du sport japonais est que chaque équipe doit être la propriété d’une compagnie. Ces nouvelles équipes professionnelles qui suivent le «modèle européen» sont alors des entreprises ayant la gestion d’une équipe de basketball comme seule et unique raison d’être, ce qui n’est évidemment pas le cas des Toshiba ou autres Mitsubishi. Ainsi, Levanga Hokkaidō et Link Tochigi Brex sont les équipes appartenant respectivement aux compagnies Hokkaidō Sports Club et Link Sports Entertainment. Dans les faits, on peut cependant librement associer ces deux entités, la compagnie de gestion s’étant constituée en vue de la création de l’équipe de sport contrairement à Panasonic et consort. Les clubs de la nouvelle bj-league suivent tous ce même modèle, et si l’on excepte les quelques jeunes prometteurs encore aux études, les joueurs appartenant à ce type d’équipes sont tous des professionnels engagés dans l’unique but de pratiquer le basketball.

Les premiers éléments de professionnalisation du basketball japonais sont pourtant antérieurs à la création de la bj-league. L’Association japonaise de Basketball avait en effet envisagé une réorganisation de son championnat à l’occasion de ses trente ans d’existence (1997). Les tout premiers contrats professionnels ont ainsi été signés cette année-là par deux joueurs, et la première équipe complètement professionnelle a vu le jour au Japon en 2000 sous le nom d’Albirex Niigata. Elle fut admise au championnat national deux années plus tard, en dépit du fait que le comité de la ligue s’opposa entre temps à élargir le statut professionnel à tous les autres clubs d’entreprise. C’est ce conservatisme qui fut à l’origine de la scission du club de Niigata et des Saitama Broncos, qui évoluaient alors en seconde division : une décision qui posa la première pierre du futur championnat dissident bj-league.
Devant cette concurrence nouvelle, l’Association japonaise de Basketball ne pouvait pas rester les bras croisés et a décidé de réformer à son tour son championnat. Déjà rebaptisé «Super League» en 2001, celui-ci est devenu «Japan Basketball League» dès la saison 2007-2008. Cependant, comme l’Association japonaise de Basketball n’a jamais imposé la professionnalisation complète aux équipes d’entreprise, il est légitime de se demander ce qui, à part le nom, a changé concrètement. C’est d’ailleurs la critique d’une source citée par Edward Odeven, spécialiste du basketball japonais pour le journal Japan Times : «Afin d’améliorer le basketball au Japon, la JBA nous a donné la Super League, qui était exactement le même championnat qu’avant mais avec un super nouveau nom et les équipes ayant jeté l’éponge en moins. (…) [Quelques années plus tard], ils ont annoncé qu’ils allaient former une nouvelle ligue (…) appelée JBL. C’était exactement la même ligue qu’avant avec exactement les mêmes équipes ! Ils n’ont même pas été fichus de trouver un nouveau nom [Japan Basketball League était déjà le nom donné au championnat qui précédait la Super League] !». Les dirigeants de l’ancienne équipe d’entreprise OSG Phoenix, qui a quitté la JBL à l’issue de la saison 2007-2008 et évolue désormais en bj-league sous le nom de Hamamatsu Higashimikawa Phoenix, ont renchéri en expliquant leur volonté de rejoindre le nouveau championnat : «Cela fait plus de trente ans que nous jouons sous l’égide de l’Association japonaise de Basketball, pourtant rien n’a jamais évolué. En rejoignant la ligue professionnelle bj-league, nous avons le sentiment que cette fois-ci les choses vont assurément changer».
Les détracteurs de la JBL voient donc en elle une compétition devenue obsolète qui n’est plus à même d’assurer son bon fonctionnement. Il faut dire que plus d’une dizaine d’équipes de JBL ont mis la clé sous la porte durant les quinze dernières années, et ses changements de nom n’y ont rien fait puisque le Rera Kamuy Hokkaidō a été récemment banni suite à son incapacité à honorer ses engagements financiers. Depuis le lancement de la nouvelle JBL, toutes les équipes ont cherché à réduire leur masse salariale, parfois de manière impressionnante. Si le marasme économique de ces dernières années n’a bien évidemment pas favorisé le développement des équipes de sport en général – les clubs de bj-league connaissent eux aussi des difficultés à ce niveau –, c’est plus le système d’équipes sponsorisées par une unique grosse multinationale couvrant tous les déficits qui est remis en question, souvent par les compagnies elles-mêmes qui sont de moins en moins enclines à couvrir les frais de leur équipe.

Si, jusqu’à il y a peu, la JBL était la seule compétition reconnue par l’Association japonaise de Basketball (JBA), le 21 avril 2010 cette dernière a officiellement admis la bj-league en son sein, ce qui a eu comme principal effet de rendre possible la sélection de joueurs japonais y évoluant pour les compétitions internationales organisées par la Fédération internationale de Basketball (FIBA). Cette dernière décision est une grande victoire pour ce jeune championnat, car l’éventualité de voir l’un ou l’autre de ses clubs envoyer ses joueurs au rassemblement de l’équipe nationale est un élément pouvant inciter des sponsors à investir dans une équipe. Ainsi, la fondatrice du feu Rera Kamuy Hokkaidō expliquait que ce point avait constitué une des raisons majeures de sa volonté d’inscrire son équipe en JBL plutôt qu’en bj-league. A première vue pourtant, la structure de ce club – sans grand sponsor lui assurant ses arrières et ayant choisi une stratégie de marketing basée sur l’identification du club avec sa région – semblait plus similaire à celle adoptées par les équipes de bj-league que de JBL.
La JBA, la JBL et la bj-league se sont également accordées sur une feuille de route prévoyant la fusion des deux championnats pour la saison 2013-2014. Si cette annonce peut sembler réjouissante à prime abord, les deux ligues maintiennent de nombreux différends au sujet de la forme que devrait prendre le championnat réunifié et les experts sont plutôt pessimistes quant au fait que cette fusion puisse voir le jour à la date prévue. Pire, alors que la bj-league a encore accueilli quatre nouveaux clubs pour la saison 2011-2012 et que le nombre de villes candidates à l’acquisition d’une équipe ne diminue pas, de plus en plus de voix parmi ses caciques s’élèvent en défaveur d’une réunification. En poursuivant son développement, disent-ils, la bj-league finira par absorber d’elle-même les quelques formations qui survivront à l’irrémédiable désagrégation d’une JBL décadente.
A suivre : Petite introduction au basket japonais : les modèles

Écrit par Marc Baertschi

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5 Commentaires

  1. Très intéressant. Tais-toi HL.

    Cette nouvelle mode sur CR de dire qu’il y a des articles qui n’intéressent pas notre égoïste petite personne, c’est saoulant.

  2. bof, je pense que HL faisait du deuxième degré.

    très intéressant article en tout cas, c’est toujours sympa de savoir comment le sport est perçu à l’autre bout du monde.

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