180° Sud, partie 12 : la mort des moqueurs roux

Lors du précédent volet, nous nous étions attardés sur la situation particulière des Coyotes de Phoenix et de l’acharnement de la Ligue à vouloir maintenir cette franchise dans un lieu où elle n’a aucun avenir. Une fois les Coyotes momentanément tirés d’affaire, l’attention s’est alors porté sur une autre organisation en difficulté : les Thrashers d’Atlanta.

Contrairement à la situation ubuesque qui prévaut depuis près de deux ans dans l’Arizona, il n’a guère fallu que quelques semaines pour que la disparition des Thrashers – les Moqueurs roux en français – ne soit devenue réalité. De craintes en rumeurs, de rumeurs en officialisation ; en 2009 déjà, certains bruits envoyaient l’équipe à Hamilton, mais l’affaire ne s’était finalement pas conclue. Cette fois-ci, l’exécution fut propre, rapide, sans fioritures. Les Thrashers trépassèrent le 21 juin 2011 lorsque le Conseil des Gouverneurs de la Ligue Nationale approuva à l’unanimité la vente et la relocalisation de l’organisation (une majorité de 75% était requise pour la vente de la franchise ainsi que la moitié des votes pour sa relocalisation). Faute de prétendants locaux, le groupe TNSE (True North Sports and Entertainement) basé à Winnipeg se porta acquéreur de la franchise pour 175 millions de dollars américain, incluant une somme de 60 millions sous forme d’une taxe de relocalisation en faveur de la Ligue. Ce déménagement marque un changement majeur dans le paysage de la NHL : pour la première fois depuis près de 30 ans, une franchise quitte le sud pour s’installer au Canada, matérialisant ainsi un revirement complet par rapport à la politique d’expansion préconisée par Gary Bettman. Après 15 ans d’absence, la Ligue nationale de hockey est de retour à Winnipeg !

Deuxième essai mordu

L’attribution d’une franchise d’expansion à Atlanta en 1997 était fortement risquée de prime abord, compte tenu que la ville du Coca-Cola se trouve dans un marché dit non-traditionnel et que la ville avait déjà connu la perte de son équipe professionnelle de hockey au début des années quatre-vingt : les Flames. Au sujet des raisons du naufrage des Thrashers d’Atlanta, deux versions s’opposent : la première, traditionaliste et idéologique (Canada en tête), consiste à dire que le hockey n’a strictement rien à faire dans le sud. Que sa place est dans les régions où l’hiver existe et où ce sport est considéré comme une tradition. De ce fait, le désintérêt de la population ainsi que le nombre famélique de fans n’est en rien étonnant, d’autant plus que les piètres résultats des Thrashers ont contribué à renforcer cet état de fait. La deuxième version est plus pragmatique : si l’équipe d’Atlanta a rendu l’âme, c’est pour une multitude de raisons – dont l’incompétence de ses propriétaires – loin du débat géographique nord-sud biaisé par l’origine de ceux qui l’alimentent. Il faut chercher à l’intérieur même de la structure du fonctionnement de la franchise pour identifier les dysfonctionnements qui ont mené à cet échec définitif. Il n’existe pas de vérité irréfutable dans ce cas de figure. La raison se situe le plus vraisemblablement entre ces deux versions.


Les supporters géorgiens avaient de quoi se sentir trahis.

Les propriétaires des Thrashers – le groupe ASG (Atlanta Spirit Group) – détenaient également la Phillips Arena ainsi que la franchise NBA des Atlanta Hawks. Dans cet organigramme, l’équipe de hockey n’était pas liée contractuellement à l’arène dans laquelle elle évoluait, ce qui facilitait donc sa relocation potentielle. C’est cette structure qui est en partie responsable de la déconfiture des Thrashers. Les propriétaires se focalisaient principalement sur l’exploitation de la Phillips Arena tout en privilégiant les Hawks au détriment des Thrashers car ils généraient bien plus de revenus. Aucun effort ne fut fait par ASG pour développer et promouvoir le «produit hockey» en tant que tel. Le marketing fut complètement négligé et aucune solution ne fut trouvée pour fidéliser le public malgré les résultats décevants. Les propriétaires ont laissé les choses dégénérer tout en cherchant à se débarrasser de cette entité encombrante à peine après avoir repris la franchise en 2004. Atlanta Spirit Group a fait exactement tout ce qu’il ne fallait pas faire dans un marché non-traditionnel pour faire sombrer la franchise à Atlanta. Au final, le groupe aura perdu près de 130 millions de dollars depuis 2004, dont 20 millions lors de la saison 2006-2007, la seule où Atlanta était parvenu à se qualifier pour les séries.
La Ligue nationale de hockey possède aussi sa part de responsabilité dans ce naufrage, avec un droit de regard pour le moins laxiste lorsqu’il s’agit d’accorder à certains groupes peu scrupuleux le droit d’acquérir certaines franchises ; le cas Jim Balsillie tendait pourtant à le démontrer. À peine après avoir racheté l’équipe, le groupe ASG cherchait à revendre sa participation sous fond de querelles juridiques avec l’homme d’affaires de Boston Steven Belkie qui détenait 30% de la franchise, ce qui coûta énormément d’argent au groupe. Les critiques furent aussi acerbes envers Bettman qui fut accusé de n’avoir rien fait pour sauver les Thrashers par rapport aux efforts pathétiques déployés en faveur des Coyotes. Si la LNH fit une énorme bourde en s’impliquant directement dans la situation de Phoenix, elle fut dans l’impossibilité de refaire la même opération pour Atlanta. De plus, Gary Bettman avait travaillé sans relâche avec Don Wadell (le manager général des Thrashers) dans le but de trouver une solution.


Déçus par les résultats ainsi que par le groupe ASG, les fans se firent très rares…

Gary Bettman déclara que le déménagement de la franchise était lié à sa propriété : «c’est aussi à cause de cela que Québec et Winnipeg avaient perdu leurs équipes à l’époque. Ces franchises ont déménagé au moment où personne ne voulait se porter acquéreur afin de les garder sur place». Des propos qui laissent pour le moins dubitatif. D’une part, ce n’est pas que personne ne voulait racheter ces équipes, mais personne ne le pouvait. Le contexte économique était radicalement différent, parallèlement aux charges qui prenaient l’ascenseur de manière alarmante. D’autre part, on ne peut pas reprocher grand-chose aux propriétaires des Jets et des Nordiques qui étaient en place. Les infrastructures vieillissantes et le marché restreint ont eu raison de la possibilité à trouver une issue locale.
À suivre : 180° Sud, partie 13 : un lourd passé
Si tu as raté le début : 180° Sud, partie 1 : prélude à l’avènement ;180° Sud, partie 2 : le lancement ;180° Sud, partie 3 : l’Étoile du Nord ;180° Sud, partie 4 : entre esbroufe et couardise ;180° Sud, partie 5 : un univers impitoyable ;180° Sud, partie 6 : erreur corrigée ;180° Sud, partie 7 : au revoir Québec ;180° Sud, partie 8 : le déclin ;180° Sud, partie 9 : un espoir nouveau ;180° Sud, partie 10 : la nouvelle vague ;180° Sud, partie 11 : le cas Phoenix

Écrit par Mathieu Nicolet

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