Gang d’épais !

Quelle surprise ! Faute d’accord entre les pauvres propriétaires de franchises et leurs joueurs toujours à plaindre, les premiers nommés ont mis ces derniers au chômage technique. Les camps d’entraînement ont donc été annulés et les chances de voir des matchs de la Ligue Nationale en 2012 sont bien minces au vu d’un conflit qui aura au moins fait une grande gagnante : la connerie.

Rappel des faits : lors de la dernière convention de travail signée en 2005 entre joueurs et propriétaires, une répartition de 57% des revenus totaux de la Ligue Nationale était accordée aux joueurs et les 43% restants aux propriétaires pour la dernière année où elle fut en vigueur, c’est-à-dire en 2012. D’aucuns avaient mentionné le risque d’un nouveau blocage au moment de renégocier la convention de travail en raison des positions fortement divergentes des deux parties. Aujourd’hui, ces sombres perspectives se sont confirmées sans surprise. La nouvelle proposition de la Ligue Nationale a été d’emblée d’inverser les parts respectives : 57% des rentrées de la LNH en faveur des propriétaires, 43% en faveur des joueurs. Sur ce point précis, pas besoin d’être devin pour y voir une voie sans-issue. Sachant que les revenus de la Ligue Nationale ont crû de près de 1.4 milliards de dollars en sept ans pour s’établir à 3.5 milliards de dollars par année (ndlr: en dollar américain, lequel vaut environ 0.93 francs suisses au moment de la publication), cela fait un sacré paquet de pognon et ce n’est pas étonnant qu’une discussion pour le moindre pourcent se mue en d’interminables palabres où personne ne veut céder d’un pouce. Le lock-out était donc inévitable.

Une incompétence crasse

Inévitable, car le principal artisan de cette débâcle se nomme Gary Bettman. Depuis le début de son règne, l’Américain a déjà été confronté à trois grêves et n’a pas été fichu de ratifier un accord suffisamment long pour s’affranchir de complications bien trop fréquentes. Bel effort. La Ligue Nationale se porte très bien au vu de l’augmentation substantielle de son chiffre d’affaires – merci aux droits de retransmission TV ainsi qu’aux contrats publicitaires –, mais à quel prix… Les franchises dégageant un bénéfice net représentent seulement un bon tiers de la totalité des marchés. Nous avons parmi les bons élèves les sept franchises canadiennes ainsi que les gros marchés américains comme les Rangers de New York ou encore les Flyers de Philadelphie ; des franchises historiques établies depuis un certain temps dans le paysage du hockey nord-américain. Du côté des cancres, nous trouvons naturellement les organisations basées au sud du 40e parallèle (Tampa Bay, Florida, Dallas) et celles qui ne peuvent bénéficier de retombées suffisantes par manque de soutien (New Jersey, New York Islanders) et de résultats (Columbus). Même certaines équipes qui s’en sortent plutôt bien sur le plan sportif se retrouvent dans le rouge à l’instar des Sharks de San Jose et des Predators de Nashville. La politique de Bettman visant à développer le business de la LNH au sud du continent nord-américain (comme évoqué dans la série 180° Sud) possède pour l’heure un bilan catastrophique. Donald Fehr, le représentant du syndicat des joueurs, a suggéré de réduire le nombre d’organisations à 24 pour assurer à la Ligue Nationale une viabilité accrue. Désormais, on ne parle plus forcément de déménagement, mais de contraction.

Conflit d’intérêt

Et que dire de la pathétique saga des Coyotes de Phoenix… Borné jusqu’au ridicule, Bettman refuse d’admettre l’échec de ce marché qui fait partir chaque année plus de 20 millions de dollars en fumée. Allant jusqu’à se porter acquéreur de la franchise afin de gagner un maximum de temps pour trouver un repreneur suffisamment stupide pour donner des garanties quant au non-transfert de la franchise, la Ligue Nationale et Gary Bettman se sont placés malgré eux dans le camp des propriétaires tout en devant assurer le rôle d’arbitre dans le conflit salarial opposant les propriétaires aux joueurs. Le grand boss de la Ligue n’a donc aucun avantage à céder le moindre pouce au syndicat des joueurs, poussant de facto l’opinion publique à se ranger du côté de ces mêmes joueurs. D’une mauvaise foi consternante, l’Américain devient de plus en plus isolé sachant qu’il ne résonne jamais en termes de pertes et profits, mais en termes d’augmentation du chiffre d’affaires uniquement.

Un système qui a ses limites

Lors du dernier lock-out qui avait tout simplement annulé la saison 2004-2005, les spécialistes ainsi que l’opinion générale étaient plutôt dans le camp des propriétaires qui ne parvenaient pas à limiter l’envolée des salaires des joueurs, ces derniers ne voulant pas entendre parler d’un quelconque plafond salarial. Aujourd’hui, la situation est tout autre : bien que le salaire moyen des joueurs ait augmenté de 1.4 à 2.4 millions de dollars en huit ans, les propriétaires ont trouvé la parade pour contourner le système du plafond salarial en octroyant des contrats à rémunération dégraissive et de durées défiant toute logique (jurisprudence DiPietro). En effet, c’est la moyenne annuelle du salaire sur la durée d’une entente qui est prise en compte sans réajustage d’année en année. Cela fait-il du sens de payer Ilya Kovalchuk 550’000 dollars à peine pour sa dernière année de contrat lorsque le Russe aura 44 ans alors qu’il touchait près de 7 millions par an en 2011-2012 ? Clairement non. De plus, en dépit d’une part légèrement inférieure du chiffre d’affaires généré par la Ligue Nationale leur revenant, les propriétaires se sont considérablement enrichis, proportionnellement bien plus que l’accroissement moyen du salaire des joueurs.

Des joueurs sans reproches ?

Mais les joueurs ne sont pas tout blancs non plus. Le 13 juillet, les propriétaires, par la voix de Gary Bettman, ont décidé de lutter contre ce problème en proposant de restreindre la durée de chaque contrat à cinq ans. Dans la foulée, ce ne sont pas moins de six joueurs – dont Shea Weber – qui ont paraphé des ententes d’un montant astronomiques sur une dizaine d’années, ou plus encore. Une belle façon de dire ce qu’ils en pensaient de cette proposition, mais aussi un sacré coup de pute qui a sérieusement entamé le bon déroulement des négociations. A l’heure actuelle, aucune des deux parties ne semble être très motivée à trouver une issue favorable au conflit.

Jusqu’à quand ?

Pourtant, ni les propriétaires, ni les joueurs n’ont intérêt à voir le lock-out durer indéfiniment ; autrement dit à ce que la saison 2012-2013 soit purement et simplement annulée. Les joueurs ne peuvent toucher leur salaire – on ne se fait cependant pas trop de soucis pour qu’ils puissent boucler leurs fins de mois – et chaque jour de grêve coûte très cher aux propriétaires. A titre d’exemple, chaque match joué au Centre Bell rapporte environ 1.5 million de dollars aux Canadiens de Montréal – 2 millions en séries. Avec 41 matchs à domicile par exercice, le calcul est vite fait. L’autre élément capital est le Winter Classic : un match disputé généralement le jour de l’an et joué en plein air dans un stade de football US ou de baseball. Les retombées de cet événement sont considérables en comptant les spectateurs (plusieurs dizaines de milliers), le marchandisage, le sponsoring et, surtout, les droits TV. Une véritable mine d’or dont la Ligue Nationale, les propriétaires et les joueurs ne peuvent se passer ; il y a bien trop à perdre en cas d’annulation du Winter Classic. Rien que pour ce match, il est peu probable que le conflit perdure jusque-là et l’on devrait plutôt se satisfaire d’une saison raccourcie comme ce fut le cas en 1994-1995.

Les vrais perdants

C’est l’heure de la partie démagogique du papier. Qui est le plus à plaindre dans l’histoire ? En tout cas pas ceux qui sont directement concernés par leur grève d’enfants gâtés bien évidemment. C’est une toute autre affaire pour toutes les personnes qui travaillent dans l’ombre de la Ligue Nationale ; les employés de toutes les franchises, du responsable matériel à l’«iceman» en passant par les nettoyeurs et les placeurs. Bref, tous ceux qui par nécessité ont déjà un job suffisamment ingrat et qui n’ont pas besoin d’être au chômage pour être dans la merde afin de joindre les deux bouts. Les perdants, c’est aussi tous ceux qui ont une activité dépendant directement du hockey : les restaurateurs proches ou dans les arènes, les bars, les magasins de sport, les vendeurs de produits dérivés. Toutes ces fourmis qui gravitent autour de la planète hockey et qui sont indispensables pour que la Ligue Nationale puisse tout simplement fonctionner. Et ça, les responsables de cette débâcle en ont strictement rien à foutre, trop affairés pour trouver la parade dans le but d’empocher la plus grande part du gâteau plein de fric qu’est la LNH.

Photos et images copyright Getty Images et Kelley Simms

Écrit par Mathieu Nicolet

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7 Commentaires

  1. La franchise de Dallas subit le contrecoup des mauvais résultats et la mauvaise gestion de l’ancien propriétaire… Elle n’est clairement pas à mettre dans le même sac que les Devils Islanders etc… Regarder les affluences sur plus de 2-3 ans…

  2. @MikeModano

    Il est vrai que Dallas a vu fondre son affluence moyenne dès que l’équipe ne s’est plus qualifiée pour les séries. Cela dit, la franchise a été déclarée en banqueroute l’année dernière et sa situation financière en coûte énormément à la Ligue Nationale. La situation n’est bien entendu pas la même dans le New Jersey et aux Islanders, mais ce sont toutes des équipes qui perdent beaucoup d’argent. Peut-être que Tom Gagliardi parviendra à redresser la barre, mais il y a du boulot.

    C’est tout le problème des franchises installées au sud, dans des marchés beaucoup plus réactifs et qui doivent absolument performer sur la glace et développer continuellement leur politique de marchandisage, tant bien même que ce n’est pas une condition qui garantit leur viabilité économique. L’exception sont les Kings qui peuvent se payer le luxe de foirer plusieurs saisons de suite sans trop en pâtir.

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