Le début d’une épopée

On ne présente plus Roger Federer, le plus grand joueur de l’histoire du tennis et détenteur d’une multitude de records. A la fleur de l’âge, personne ne sait où il s’arrêtera, mais peu de gens également savent où il a commencé. Un certain mardi 7 juillet 1998, le jeune Federer disputait son premier match pro sur la terre battue de Gstaad dans une indifférence intimiste, mais polie.

L’Open de Gstaad est un tournoi à part. Disputé en altitude dans un cadre bucolique, le «Wimbledon des Alpes» se caractérise par son ambiance familiale, sa taille humaine, son petit train qui siffle lorsqu’il passe au-dessus des courts et la proximité des joueurs que l’on recontre souvent dans les rues de la station bernoise. Pourtant programmé à cette époque juste après Wimbledon, le tournoi suisse parvient régulièrement à monter un tableau de qualité tout en attirant deux voire trois joueurs du top-ten. Jouissant de surcroît d’une organisation impeccable, ce n’est pas pour rien qu’il a souvent été distingué parmi les meilleurs tournois de l’ATP Tour. S’y rendre est toujours une expérience sympathique, très agréable, mais qui peut vite se plomber si la pluie – courante dans ce coin de pays – vient s’en mêler. Il suffit qu’un seul échange soit joué pour voir les conditions de remboursement tomber à l’eau. A chaque départ, on serre les fesses en espérant que le soleil présent en plaine soit aussi de la partie dans les montagnes, car le temps change très vite à Gstaad.

En cette journée du 7 juillet 1998, la tension est justement palpable avant de partir pour Gstaad. Si le temps est radieux en partant de Lausanne, il devient vite changeant à partir du col des Mosses. Point positif, rien à voir avec la neige qui tenait au sol à cet endroit précis un an plus tôt. En arrivant à Gstaad, on espère bien que les nuages noirs qui squattent les cimes surplombant la bourgade veuillent bien ne pas trop emmerder le monde aujourd’hui. Ça serait con, car le programme de la journée est fort intéressant: un Becker sur le déclin affronte l’insondable Bastl, la crevure chilienne et tête de série numéro 1 Marcelo Rios joue contre notre Marc Rosset national, et «Guga» Kuerten se retrouve face monsieur –52 dioptries, Guillaume Raoux. Sur le court annexe, on repère en match d’ouverture un jeune Suisse, Roger Federer, contre le play-boy Tommy Haas. Ça pourrait être sympa d’aller les voir deux secondes au cas où…
Bénéficiant d’une invitation, Roger Federer, alors 702e au classement ATP, n’est pas tout à fait inconnu puisqu’il vient de remporter Wimbledon chez les juniors. On murmure que le gosse a un gros potentiel, mais que son caractère pénible lui joue parfois des tours. Déjà connu du collège de la Planta par lequel il est passé lorsqu’il était au centre de Swiss Tennis à Ecublens, Roger Federer était perçu comme un garçon sans histoire, plutôt sympa. Il était en revanche un peu plus difficile à canaliser sur les courts: souvent en retard, un peu criseux, il avait de la peine à être discipliné en raison, paradoxalement, d’un talent largement au-dessus de la norme. La belle période adolescente où il était plus facile de fracasser sa raquette que de se contenir, et Federer en consommait beaucoup… Mais ne sait-on jamais, peut-être aura-t-il un destin différent que celui des traditionnels invités helvétiques systématiquement éjectés d’entrée dans un abyssal anonymat tels qu’Alexandre Strambini, Patrick Mohr ou encore Ivo Heuberger, éternels espoirs d’un tennis suisse incapable de générer un semblant de relève.

Une fois sur place, on s’emmerde un peu pour la première rencontre de la journée sur le central. Oliver Gross contre Alex Corretja, c’est plutôt déséquilibré et pas franchement sexy. Allons plutôt voir Federer, le petit suisse de 16 ans, sur le numéro 1. C’est vachement mieux, le court annexe: on peut se placer n’importe où, ce qui tombe bien car il n’y a pas grand monde ce matin. Et puis c’est rigolo aussi: y’a souvent le camion de la Coop qui vient décharger son matos (le magasin est juste à côté du court) en faisant un potin pas croyable lorsqu’il recule. Première surprise, Tommy Haas, blessé, est forfait. Il est remplacé dans le tableau par le «lucky loser» argentin Lucas Arnold. Du coup, Federer pourrait éventuellement éviter de se prendre une dégelée. Pire: s’il gagne, il pourrait affronter Rosset au prochain tour si le grand blond se défait de Rios ! Mais ne rêvons pas trop.
Première pensée en voyant Roger Federer: c’est lui ou un ramasseur de balles ? Le Suisse fait jeune, très jeune. Dans le jeu, il se débrouille pas mal, le gosse. Il a déjà une bonne patate en coup droit, une première balle pas triste, et un style naturel déjà remarquable. Bon, il dévisse régulièrement son revers dans les tribunes et c’est du reste étrange de voir un gars de son âge le jouer à une main. Roger Federer se défend plutôt bien, mais cette terre battue relativement lourde ne met pas en évidence son jeu. Contre un spécialiste terrien, c’est d’autant plus difficile. Sans pression et avec une certaine dose de culot, le Suisse s’accroche comme il peut mais il est encore trop tendre dans les moments cruciaux. Au final, Federer s’inclinera en deux manches, 6-4 6-4. 

En sortant des gradins, on se dit que, peut-être, il pourrait bien gagner deux ou trois matchs sur le circuit, on ne sait jamais. Les anciens joueurs qui ont performé chez les juniors n’ont pas tous eu une carrière brillante chez les pros, comme Roberto Carretero ou Jean-René Lisnard – des noms qui ne vous disent rien, et c’est bien normal; laissons-lui le temps. Toujours dans l’extrême, mon pote me sort alors: «tu verras, ce gars va gagner plein de tournois, remporter tous les Grand Chelems, être numéro un mondial et battre tous les records du tennis !» Hahahahaha, quel déconneur ! On s’était bien fendu la gueule sur le moment. Justement, sur le moment

Écrit par Mathieu Nicolet

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