Joyeux Rubin et bonne kazannée

Pour la plupart des supporters normaux, s’ils devaient raconter un événement marquant de l’époque «pré-cartonrougienne», ils conteraient sans hésiter un exploit retentissant de leur club favori. Mais il demeure des rédacteurs un peu étranges, qui, bien que supporters d’un certain nombre d’équipes, ont davantage été marqué par un match dans une contrée lointaine et insolite qui sent la moustache, la vodka et les militaires à tout va.

Bienvenue au pays des camps pour jeunes délinquants

Etant jeune adulte, ou vieil adolescent c’est selon, j’avoue avoir connu passablement de déboires dans mon rapport avec la société et surtout avec les autorités qui la régissent. C’est ainsi qu’en l’an 2005, mon entourage proche me soumit l’idée de m’envoyer dans un de ces fameux camps pour jeunes russes en déshérence afin d’apprendre la discipline et surtout afin d’apprendre à être dur, mais juste, avec soi-même. On proposa alors de m’envoyer dans une région qui fait rêver l’ensemble de la planète: les rives de la Volga. Bien conscient de mon problème, car j’étais certainement un peu bête mais lucide, je pris la folle décision d’accepter ces 3 mois de stage forcé dans un camp pour jeunes délinquants russes, afin de me remettre dans le droit chemin. C’est ainsi que de passage du côté de Kazan à l’été 2005 pour me rendre dans le camp de Salkin Chishma, je me décidai (me forçai) à aller voir un bon vieux match de football avant d’en être privé pendant un certain temps…

Un match sous tension ?

Bon, vous l’aurez compris, mon histoire ne tient pas debout. Passons donc les raisons pour lesquelles il fallait me chercher du côté de Kazan, au Tatarstan, durant l’été 2005. Mon séjour dans cette ville si particulière de Russie, peuplée à parts égales de Tatares (peuple turque se rapprochant des Kazakhs, essentiellement musulman, parlant aussi bien le tatar que le russe) et de Russes (peuple blond qui se bourre essentiellement la gueule), ne pouvait évidemment pas être complet sans assister à un match de Premier Liga. Durant mes 6 semaines passées à Kazan, je n’eus en tout et pour tout qu’une seule opportunité d’aller assister à un match de championnat russe. Pas de chance, le Rubin ne disputait en effet durant cette période qu’une seule rencontre à domicile pour des raisons de sécurité (et également parce qu’il y avait une pause due aux matchs internationaux, mais ça c’est moins croustillant). Je m’explique : vous n’êtes pas sans savoir que la ville fêtait durant cet été-là ses 1000 ans d’existence. Pour marquer le coup, les autorités avaient organisé de grandes festivités, entendez par là quelques concerts, des feux d’artifices et surtout un meeting aérien au-dessus de la ville (la peur de ma vie). Un afflux massif de personnes était attendu, dont Vladimir Vladimirovitch Poutin himself. Raisons suffisantes pour que les matchs de championnats du Rubin soient disputés à l’extérieur durant cette période. Mon choix fut donc vite fait, il fallait me rendre à tout prix au Tsentralnyi Stadion le 6 août 2005 si je voulais avoir l’occasion de voir une fois dans ma vie évoluer le Rubin devant son public.

Ce jour-là, par un bel après-midi d’été, le Rubin Kazan, présent parmi l’élite du foot russe depuis 2002, affrontait une des grosses cylindrées du pays : le Lokomotiv Moscou, alors en tête du championnat. Ce match paraissait relativement attractif dans la mesure où, à l’instar de ce qui se passe dans beaucoup de pays, les matchs contre les équipes de la capitale sont toujours teintés d’un certaine rivalité et d’une certaine fierté en province. Même plus, dans le cas de Kazan, nous sommes en partie confrontés à des volontés affirmées d’indépendantisme vis-à-vis de Moscou. Ainsi, plutôt que d’avoir affaire à un OM-PSG, on se situerait plutôt face à un Bastia-PSG ou un Athletic-Real Madrid. Pour cette raison, les drapeaux tatars (rouge, vert et blanc) étaient de sortie ce jour-là. Ayant acheté mon billet (4 balles) au guichet officiel du stade quelques jours auparavant, je commençai rapidement à regretter mon choix. En effet, chaque personne locale à qui je faisais part de mon intention de me rendre au stade me disait que j’étais un peu inconscient et que j’allais probablement me faire fracasser la gueule par des hordes de hooligans ivres, adeptes du free-fight et des pogroms. C’est donc réjoui, mais un peu méfiant quand même, que je me rendis au stade à pied depuis l’appartement de mes hôtes niché au 7e étage d’un de ces magnifiques blocs résidentiels staliniens. Sur le chemin qui menait au stade rien de particulier à signaler, hormis un homme déambulant le visage complètement en sang. Vu sa démarche et son style «ours ivre», cette magnifique effusion de sang était vraisemblablement plus due à son taux d’alcoolémie record qu’à un quelconque événement lié au match. Tout le monde l’évitait en changeant de trottoir pour des raisons évidentes de bon sens, autant dire que je fis de même… Une fois arrivé au stade, je me rendis vite compte que l’organisation n’était pas le point fort de ce pays, ce qui ne constituait pas en soi une surprise. Dans un stade en rénovation, on ne trouvait qu’une seule entrée pour deux tribunes entières. Le passage obligatoire par un portique de sécurité équipé d’un détecteur de métaux juché au milieu d’une sorte de terrain vague expliquait apparemment une telle organisation. Eh oui, des menaces terroristes planaient sur la ville… Autant dire que ce moment passé dans une file à me faire bousculer par des Russes en training ne demeure pas le souvenir le plus grandiose de ce séjour. En raison de ce contretemps, somme toute prévisible et logique dans un pays comme celui-ci, j’arrivai un peu à l’arrache, juste avant que le coup d’envoi ne soit donné.

Une ambiance très locale

Pour être franc, je ne me souviens pas de tous les détails ni de tous les événements de ce match. Les choses qui m’ont frappées sont principalement l’environnement et la faune qui m’entouraient. Tout d’abord, je fus absolument stupéfait de constater que le public était essentiellement composé soit de mecs en training crachant par terre à intervalles réguliers, soit de militaires (en tant que spectateurs) ce qui est rassurant… ou pas… Derrière moi les 3 ou 4 rangées étaient entièrement occupées par des militaires, étrange… finalement j’étais bien arrivé dans mon camp de rééducation. Ils étaient même venus me chercher là où ils savaient qu’ils me trouveraient. A côté de moi, des supporters presque normaux, une famille : une mère, son enfant et le père… enfin ce dernier était tellement en transe qu’il vociférait des insultes le visage écarlate, en s’égosillant et en sautillant, à l’encontre du gardien du Lokomotiv de l’époque, le fameux Sergei Ovchinnikov, qui défendait les cages juste devant nous. Bref, cette ambiance un peu spéciale et barbare qui pourrait en rebuter plus d’un, j’y pris vite goût et me mis à suivre le match avec plaisir en soutenant l’équipe locale devenue, bien sûr, mon équipe russe fétiche. Force est de constater que depuis les tribunes du stade, alors en partie en travaux, on se délectait d’une vue imprenable sur le kremlin, dont la toute récente mosquée Kul-Sharif, située sur la colline dominant l’ensemble de la ville. Cela rendait franchement l’atmosphère irréelle, ce n’est pas en Europe de l’Ouest que l’on pourrait voir cela, c’est certain !

Le match en lui-même fut relativement agréable à suivre, et déjà à cette époque il faut bien dire que le championnat russe était en train d’élever son niveau. Sur le terrain, le Rubin Kazan, alors modeste club de Russie, faisait largement jeu égal avec les cheminots moscovites. De nos jours, les Tatares disputent régulièrement les coupes d’Europe et même la Ligue des Champions, à ce titre la victoire au Camp Nou lors de la saison 2009-2010 reste mémorable, et a même fêté deux titres de champions de Russie. Depuis 2005, le club tatar a réussi à attirer quelques joueurs de talent comme Oba-Oba Martins, Sergei Semak, Gökdeniz Karadeniz, Nacho Noboa ou Nelson Valdez (désolé pour les fans du BVB). Mais les stars d’alors se nommaient Andres Scotti, défenseur uruguayen présent à la Coupe du Monde en Afrique du Sud, MacBeth Sibaya, sud-africain qui a reçu le fameux coup de coude de Gourcuff, Callisto, un brésilien inconnu chez nous, Andrejs Kolinko, gardien letton au gros nez de l’Euro 2004 ou encore Alejandro Dominguez, argentin passé depuis par Valence, qui avait notamment impressionné lors de la campagne 2009-2010 de Ligue des Champions. Bref que des stars, surtout si l’on y ajoute quelques éléments locaux comme Ayupov, Bajramov et Bukharov. A noter que l’entraîneur actuel, le turkmène Kurban Berdiyev était déjà sur le banc, en train de prier comme à son habitude, ce qui fait de lui un entraîneur lié à vie au club, à l’image d’un Ferguson à United. Du côté du Lokomotiv, outre Ovchinnikov et sa queue de cheval, on comptait parmi les stars de l’époque Dimitri Sychev, Marat Izmailov et Dimitri Loskov notamment. Inutile de faire un résumé précis de la partie pour la simple et bonne raison que je ne m’en souviens pas et que ça n’intéresserait personne. Je me rappelle surtout d’un coup franc magnifique de Dominguez et de la victoire finale 3-1 des Tatars face au rival moscovite.

Un club et une ville d’avenir

Cette belle prestation des hommes de Kurban Berdiyev déchaînait ainsi les spectateurs, qui enchaînaient les «Molodtsy ! Molodtsy ! Molodtsy !» (Braves ! Braves ! Braves !). A la sortie du stade, tout le monde arborait fièrement (tatares et russes de Kazan) les couleurs tatares et on assistait même à un timide festival de klaxons avec drapeaux vert, rouge et blanc aux fenêtres. On se serait presque cru à la Place St-François le soir d’une victoire du Portugal à l’Euro, bon… quand même, n’exagérons pas. Cette victoire pour le petit poucet était inespérée face au géant moscovite et annonçait ce qu’allaient être les années fastes du Rubin. Le club, aidé par un puissant magnat du pétrole local et surtout par le président moustachu de la République du Tatarstan (Chamayev et pas Chagayev, sinon on serait mal barré) qui assiste à la plupart des matchs, a tout de même dominé le championnat aux alentours de 2010 et figure systématiquement parmi les 5 meilleures équipes russes depuis, pourtant la concurrence est rude. Ainsi Kazan compte à la fois un club de foot performant, de même qu’un club de hockey de renom (Ak-Bars Kazan), une bonne équipe de basket (Unics Kazan) et surtout un club de bandy célèbre dans le monde entier (Dinamo Kazan), sport on ne peut plus populaire en Russie, et qu’en Russie d’ailleurs.

Avec une ville profitant du pétrole pour se développer (en l’espace de 5 semaines la ville a été à moitié reconstruite et réaménagée pour cette fête qui cache un enjeu politique) et un championnat russe en constante amélioration, il est certain qu’on n’a pas fini d’entendre parler du Rubin ces prochaines années… bon si vous suivez l’Europa Ligue surtout. De plus l’attribution, certes un peu décriée, à la Russie de la Coupe du Monde 2018, va offrir à Kazan la possibilité d’accueillir des matchs de la plus célèbre compétition de football. Pour cet événement, la ville devrait se munir d’un stade entièrement neuf sur un nouveau site, plus périphérique. Bien sûr, cela n’est pas forcément réjouissant dans la mesure où l’ancien stade aux traits si spécifiques devrait être abandonné pour faire place à une de ces enceintes européanisées sans saveur comprenant commerces, bowling et tout le toutim. Qui l’eut cru il y a de cela même pas 10 ans, lorsque le club accédait en Premier Liga, où il n’existait même pas de quoi se restaurer durant un match et où le maillot officiel n’était même pas en vente à la boutique du club !
Давай вперед Рубин !

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6 Commentaires

  1. Superbe article! Pour avoir passé une semaine à Kazan il y a 15 ans, on pourrait ajouter que la vieille ville est très belle, touristique, mais que le voyage en train depuis Moscou (14 heures) dans un wagon avec 5 tatars qui lancent par terre leur os de poulet et tous les restes de nourriture, crachent dans tous les sens et te regardent avec interrogation, est une expérience qui prépare bien à la suite…

  2. Tu oublies le volley. Le Zenit Kazan a gagné la dernière ligue des champions (2ème en 2011, 1er en 2008) et les filles du Dynamo Kazan étaient 3ème de la compétition féminine cette saison…

  3. Merci à tous

    @ Alix : ah oui j’ai effectivement oublié le volley! Merci pour cette précision. Je dois avouer que je ne suis pas assidument tous les sports…

    @ Raspout : Je n’ai pas eu la chance d’avoir les os de poulets dans le train (en plus tu voyageais apparemment en 1ere classe, bon ça correspond à la classe normale ici…)! Par contre, je confirme cette habitude de ne pas ranger ses restes de pic-nic, c’est presque une tradition (à la fois russe et tatare)! Le recyclage et les poubelles ne sont pas des notions entrées dans les moeurs, mais ça évolue quand même. Durant mon séjour, j’ai eu droit à l’installation en une seule nuit de dizaines de poubelles dans la rue où j’habitais, les poubelles « publiques » n’existaient pas auparavant (tu m’étonnes que les gens jettent tout par-terre).
    Cela dit, les gens ne sont certes pas respectueux de l’environnement, mais j’y ai fait des rencontres extrêmement sympathiques. Malgré mon article offrant une vision parfois négative, j’ai globalement apprécié ce séjour et j’encourage les gens à s’y rendre.

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