«Nous pouvons mourir tranquilles»

Le 18 février 2006, l’équipe suisse de hockey sur glace réalisa le plus grand exploit de son histoire en battant le Canada 2-0 lors des Jeux Olympiques de Turin. Alignant une équipe bâtie de stars provenant de la Ligue Nationale, rien ne pouvait résister à la Feuille d’Erable. Mais ce jour-là, Le Canada venait de découvrir que la Suisse était un petit pays perdu au milieu de l’Europe, et qu’en plus, il ne se débrouillait pas si mal que ça en hockey sur glace.

En ouverture, la Suisse avait mal débuté en se prenant une seille logique contre la Finlande. Lors de leur deuxième match, les Suisses avaient alors provoqué une énorme sensation en battant l’armada tchèque 3-2 dans l’incrédulité la plus totale. En recadrant parfaitement son équipe à la suite de la défaite initiale, le génie de Ralph Krüger couplé au réalisme helvétique sur la glace avait permis à notre équipe nationale de voir les portes des quarts de finale – le sempiternel objectif – s’ouvrir devant eux. En règle générale, la Suisse ne crée au mieux qu’un seul exploit par compétition internationale – par exploit, on entend une victoire acquise contre un membre indéboulonnable du top-6 du hockey mondial.

Du coup, une victoire n’était certainement pas à l’ordre du jour. Personne n’osait vraiment y penser. Non, le schéma était déjà tout tracé: au mieux, la Suisse allait donner le maximum, résister le plus longtemps possible, avant de céder face aux Canadiens en obtenant une défaite honorable et encourageante pour la suite de la compétition. «Suissitude» impeccable mis en exergue comme toujours à la une de la presse écrite. Au pire, on allait se prendre une branlée mémorable et trembler jusqu’au bout pour la qualification en quarts de finale.
Les champions olympiques en titre étaient clairement favoris de la compétition, avec la Russie, et la Suède. Malgré l’absence de Sidney Crosby, le Canada alignait une équipe qui était loin d’être dégueulasse: Blake, Richards, Nash, Thornton, Doan, Pronger, Lecavalier, St-Louis, Sakic, Iginla, Heatley, Brodeur, et j’en passe. D’accord, ce n’était pas la «Dream Team» concoctée à Salt Lake City et les énormes Gretzky, Lemieux, McInnis et autres Bourque avaient raccroché leurs patins. Quant à elle, la Suisse pouvait s’appuyer sur trois renforts provenant de la Ligue Nationale: Mark Streit, David Aebischer et Martin Gerber. En 2006, la Suisse avait toujours autant de misère à exporter ses meilleurs joueurs de champ qui ne consentaient jamais à faire les efforts et les sacrifices nécessaires pour s’imposer en Amérique du Nord.
La stratégie de Ralph Krüger était très claire: à l’instar de chaque rencontre contre un adversaire intrinsèquement supérieur, il s’agissait d’ériger un mur défensif infranchissable, de bloquer la zone neutre en se montant disciplinés, tout en capitalisant sur les contres. Il fallait aussi compter sur un Martin Gerber irréprochable dans les buts. En somme, un hockey peu spectaculaire, mais essentiel pour espérer autre chose qu’une défaite. Point positif: avec l’inattendue victoire engrangée face à la République tchèque, les Helvètes allaient jouer sans trop de pression.

L’exploit impossible

Le début de match se passe merveilleusement bien pour le Canada qui – peu habitué à l’arbitrage européen – concède une pénalité dès les premières secondes. Idéal pour appréhender le rouleau compresseur. Or la suite se déroule comme prévu: le Canada met le pied au plancher et multiplie les escarmouches. Jarome Iginla, puis Brad Richards ont une occasion en or d’ouvrir le score, mais la défense tient le coup, Martin Gerber se montrant impeccable. Une fois le premier orage passé, les Suisses tentent quelques incursions en éclaireur en prenant le moins de risques possible. Puis vient le premier séisme: en fin de première période, Patric Della Rossa récupère le puck derrière les buts de Martin Brodeur, enrhume Joe Thornton avant de trouver Paul DiPietro, oublié dans le slot par Adam Foote. 1-0 pour la Suisse ! Au moins, on en aura marqué un…

En deuxième période, les Canadiens dominent logiquement les débats mais manquent cruellement d’imagination et d’alternatives face à un système défensif suisse qui tient parfaitement le choc. Indisciplinés, les hommes de Pat Quinn le seront souvent, offrant aux Helvètes de précieux moments de répit. Plus étonnant encore, les Suisses parviennent même à se montrer dangereux à quelques reprises. Profitant d’une double supériorité numérique, La Suisse va même doubler la mise par ce même Paul DiPietro, vainqueur de la Coupe Stanley en 1993 avec les Canadiens de Montréal ! Un nouvel exploit sera-t-il possible ? Meuh  non. On va s’en manger trois coup sur coup et on perdra les armes à la main en ayant rien lâché.
Puis vint cette fameuse 38e minute qui fera date: sur un tir de Pronger, la rondelle se retrouve sur la palette de Rick Nash qui, selon la formule, marque un but que Gerber a arrêté. Le portier bernois stoppe le tir du Canadien avec sa mitaine, mais cette dernière se trouve partiellement dans le but. But ? Pas but ? Cette situation donne lieu à une attente interminable pour déterminer si le puck a effectivement franchi la ligne de but ou non. La règle est simple: pour que le but soit accordé, il faut que la rondelle ait franchi entièrement la ligne. Etant donné qu’elle se trouve dans la mitaine de Martin Gerber – se retrouvant donc invisible sur les images vidéo – l’arbitre russe et le juge vidéo n’ont pas été capables d’être certains à 100% que le puck ait été entièrement dans le but. Le doute a profité aux Suisses qui conservent alors leurs deux longueurs d’avance.

Le tournant du match

Vexés dans leur orgueil, les Canadiens vont se ruer à l’attaque. Cependant, les Nord-Américains mettent la compresse en mode poulets sans tête plutôt que sous la forme d’une armée bien organisée. Comme un animal est toujours plus dangereux blessé, Gerber doit se démultiplier dans ses buts. Dans cette ultime période, le gardien helvétique est touché par la grâce et sort tout ce qui lui arrive dessus. Le match de sa vie. Plus les interminables secondes s’égrènent, plus on se dit que, putain, ces cons vont le faire ! Ils vont se faire la Dream Team canadienne. Au fur et à mesure que la fin de la rencontre s’approche, le rythme cardiaque s’accélère. Tous les ongles y passent. Heureusement pour la Suisse, le Canada se coupe lui-même les jambes en récoltant une flopée de pénalités toutes aussi débiles les unes que les autres. La «Nati» aura donc la chance de passer la dernière minute du match de manière relativement tranquille, nous évitant un arrêt cardiaque certain. L’assaut canadien a néanmoins été éprouvant: 24 tirs cadrés à 1 pour les champions olympiques en titre durant le dernier tiers; mais la forteresse suisse a tenu le coup et le Dieu Martin Gerber a repoussé les 49 tirs qui lui ont été adressé au cours de ce match.
Dès la sirène finale, tout retombe d’un coup. Un truc énorme vient de se passer à Turin et Philippe Ducarroz se laisser aller à un mémorable «maintenant, nous pouvons mourir tranquilles !». Encore tremblant et les larmes aux yeux, il faut un bon moment pour réaliser. Et qu’importe la suite de la compétition, ce match restera gravé dans les annales et dans tous les esprits. Ce n’était qu’une victoire en poule ? Rien à foutre. Cette victoire vaut toutes les médailles d’or. Avec une arrogance qui les caractérisent souvent, les Canadiens ont commis l’erreur de prendre les Suisses de haut. Après tout, on ne jouait qu’avec deux joueurs évoluant en Ligue Nationale, non ? La suite de la compétition allait se transformer en un véritable calvaire pour les Canadiens. Incapables de marquer le moindre but pour leur match suivant – défaite de 2-0 contre la Finlande –, les hommes de Pat Quinn subiront un nouvel affront en quarts de finale en se faisant sortir sans gloire contre la Russie, toujours sur ce même score de 2-0 !

Pour la petite histoire, il ne fallait qu’un petit point à la Suisse pour qu’elle assure sa qualification pour les quarts de finale. Ce fut chose faite avec un pénible match nul contre l’Allemagne (2-2). Déjà qualifiés, les yeux rivés sur les quarts, les Helvètes n’ont pu faire mieux qu’un modeste 3-3 contre de valeureux Italiens sublimés pour leur dernière sortie devant leur public. Suffisant pour arracher la deuxième place de son groupe, mais suffisant aussi pour remettre le doute et entendre à nouveau les théories fumeuses des détracteurs du Maître Krüger. Qu’importe, la Suisse allait de toute manière se coltiner un gros morceau en quarts de finale. Eteints, les Suisses s’inclinèrent hélas lourdement sur le score de 6-2 contre le futur vainqueur du tournoi olympique, la Suède.

Canada – Suisse 0-2 (0-1 0-1 0-0)

Torino Esposizioni, 4769 spectateurs
Arbitres : Bulanov (RUS) ; Halecky (SVK) et Redding (USA)
Buts : 19e DiPietro (Della Rossa) 0-1, 29e DiPietro (Bezina, Streit/5c3) 0-2.
Pénalités : 12 x 2′ + 1 x 10′ contre le Canada ; 16 x 2′ + 1 x 10′ contre la Suisse
Canada: Brodeur; Pronger, Blake; Redden, Foote; Regehr, Bouwmeester; McCabe; Heatley, Lecavalier, St-Louis; Bertuzzi, B.Richards, Smyth; Draper, Sakic, Iginla; Gagné, Thornton, Nash; Doan.
Suisse: Gerber; Forster, Seger; Streit, Keller; Bezina, Blindenbacher; J.Vauclair, Hirschi; Rüthemann, Ziegler, Paterlini; Della Rossa, M.Plüss, DiPietro; Lemm, Jeannin, Wichser; Fischer, Conne, Jenni.

Écrit par Mathieu Nicolet

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2 Commentaires

  1. Franchement ca ne me donne pas envie de mourrir, victoire contre le canada aux jeux, joli exploit mais bon, ca reste un match de poule qui ne nous a rien amene…. bel article par contre

  2. J’entends encore un ami canadien me dire « absolutely unbeatable » en me citant sa sélection avant les JO… Depuis ce jour, je peux répondre à chacune de ses phrases en lui remémorant ce savoureux match de 2006 !

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