Un «derby» tué dans l’œuf

Entre nous, on est d’accord: mardi soir dernier, il y avait nettement mieux à faire que d’aller s’emmerder aux Vernets pour voir un simulacre de derby. La Nati, un savoureux Fribourg-Berne, une série américaine à la con; les prétextes étaient nombreux pour rester vautré dans son canapé à zapper en s’empiffrant de malbouffe. Mais quitte à ingurgiter de la daube, autant le faire de façon locale, dans le gosier comme dans les yeux.

Détrompez-vous, les rencontres entre Lausanne et Genève n’ont jamais vraiment été alléchantes. Le mythe de derby alimenté par médias interposés contribue évidemment à faire monter le truc auprès des intérimaires des deux bords, mais le souffle est vite retombé. Pour Lausanne, le vrai derby a toujours été celui contre Martigny à l’époque où les Bas-Valaisans avaient encore une âme propre, une équipe crédible, des joueurs à conchier, un président au postérieur célèbre, le nom de «HC Martigny», et un public aussi fervent que vindicatif. Une ère définitivement révolue.Du côté de la zone franche, le concept n’a jamais vraiment existé. La faute à un passé oublié, à une formation de troisième zone reléguée dans un anonymat complet, à Jürg Stäubli aussi, et à une ascension à contre-courant de l’évolution des autres équipes pouvant potentiellement jouer ce rôle de rival. Oh, il y a bien eu quelques rencontres un peu animées entre Lausanne et Genève, notamment au début des années nonante lorsque le LHC jouait tous ses matchs à domicile et dans le virage du troisième millénaire quand les ascenseurs vaudois et genevois se croisaient, mais pas de quoi marquer les esprits.

Le paradoxe

Après huit années de relations incestueuses, on tente par tous les moyens de créer artificiellement une atmosphère de rivalité entre les deux clubs lémaniques tout en insistant sur les liens que possèdent le LHC et Genève-Servette. Les similitudes sont en effet édifiantes: une professionnalisation à l’américaine, même concept de maillot épuré d’un maximum de publicité, site internet furieusement ressemblant, propension identique à étouffer la presse lorsque des écrits jugés hostiles ne plaisent pas à la direction, joueurs d’une même famille se retrouvant adversaires dans une ambiance bon enfant, le tout en attendant une preuve officielle de l’existence du même propriétaire. Une chance que les relations entre entités du même genre soient tolérées dans ce pays; en Russie, les deux équipes seraient en taule depuis un moment. Pour couronner le tout, on va même organiser une grande foire pop-corn à la Praille en janvier prochain entre les deux potes, moyennant des prix prohibitifs pour faire bonne mesure. Il paraîtrait qu’en cas de mauvais temps, la partie serait remise au jour suivant. Dans ce cas, j’implore le ciel d’envoyer sur le stade aux dates prévues un ouragan de catégorie 5 accompagné d’un tremblement de terre de magnitude de 16.8 sur l’échelle de Richter, d’un tsunami et de Godzilla pour accompagner le tout.
Comble de l’indécence, les politesses se font même sur la glace. «Tenez, Monsieur Lardi, cette rondelle en guise d’offrande. Si si, ça me fait plaisir!». «Mes chers Lausannois, votre envie nous flatte mais non, pas ce soir! Nous avons la migraine». «Voudriez-vous bien m’accorder cette petite friction dans la zone du gardien? Non? Très bien, je prends note». «Je vous fais juste un petit ajustement de votre cheville à l’aide de ma canne. Vous verrez, ça ne fait pas trop mal. Vous me le rendrez lors de notre prochaine rencontre». Au terme du match, aucune bagarre n’a éclaté, aucune provocation n’a été faite, aucune menace proférée et aucune pénalité majeure dictée. A en vomir son hot-dog/frites.
Même dans les gradins où les Lausannois sont comme d’habitude sortis victorieux au niveau de l’ambiance mise aux Vernets, aucun allumage, aucun chambrage ni aucun échange de gracieusetés ne sont venus pimenter les relations pourtant difficiles entre fans locaux et visiteurs. Si on ne peut même plus sortir de la patinoire sans ramasser quelques bières sur la tronche, se faire insulter la moindre ni se foutre un peu dessus, où va le monde? Manquerait plus que les Genevois reconnaissent la supériorité vaudoise avec sincérité et sans mauvaise foi et là, on pourra vraiment dire que c’est sans espoir.
Photos Pascal Muller, copyright EQ Images

GE-Servette – Lausanne 1-4 (1-1 0-1 0-2)

Les Vernets, 7135 spectateurs.
Arbitres : MM. Stricker, Wirth ; Bürgi et Wüst.
Buts : 7e Kamerzin (Almond, Simek) 1-0. 8e Genazzi (Froidevaux) 1-1. 26e Lardi (4c5!) 1-2. 41e Hytönen (Bürki, Gobbi) 1-3. 47e Froidevaux (Gobbi, Bang) 1-4.
Pénalités : 2 x 2’ contre GE-Servette ; 4 x 2’ contre Lausanne.
 
GE-Servette: Stephan; E.Antonietti, Bezina; Vukovic, Marti; Kamerzin, Iglesias; Simek, Almond, Picard; Petrell, Lombardi, Daugavins; Jacquemet, Romy, J.Savary; Gerber, Berthon, Fritsche; Rod; Leonelli.
Lausanne: Huet; Gobbi, Leeger; Lardi, Genazzi; Stalder, J.Fischer; Reist; Setzinger, Hytönen, Bang; B.Antonietti, Froidevaux, Neuenschwander; Déruns, Genoway, Bürki; P.Savary, Ulmann, Primeau; S.Fischer.
Notes : GE-Servette sans Hollenstein, Rivera, Mercier (blessés). Lausanne sans Conz (dans l’attente d’un heureux événement), Morant, Augsburger, Seydoux (blessés) ni Eigenmann (surnuméraire).

Écrit par Alexandre Krimine