PDG 2014, le jour le plus long : journal de bord de trois patrouilleurs

Relier Zermatt à Verbier, prendre part à la mythique Patrouille Des Glaciers, un rêve modeste et fou qu’on a finalement pu concrétiser. Avec pour seule ambition de terminer la course, la journée fut longue mais intense. Entre report, attente, appréhension, fatigue, émerveillement et émotions, voilà une tranche de PDG cuvée 2014, notre journal de bord.

L’attente

Mercredi 30 avril 7h30. C’est l’heure du réveil dans notre 4 étoiles zermattois mis gracieusement à disposition par l’armée (merci au passage à nos impôts). On ne sait pas encore si le départ aura lieu, mais on fait tout comme, surtout qu’on aperçoit même la pointe du Cervin.
8h30. Contrôle matériel et remise des dossards. On craint le pinaillement des militaires suisses-allemands, mais ça passe, et les rôles s’inversent même vu qu’on leur rappelle gentiment qu’ils doivent aussi contrôler les baudriers… On ne sait toutefois pas encore si on va pouvoir partir.
10h00. Brunch à l’hôtel, on fait des réserves. On mélange plus ou moins tout ce qui traine sur le buffet. Il commence à bien neiger sur Zermatt, ça sent l’annulation de la course.
12h30. On ferme les rideaux de la chambre pour éviter une dépression en voyant la neige tomber. On tente également de se reposer, mais sans succès, ça se finit en TJ 1245 de la RTS qui snobe la PDG.
14h00. C’est l’heure de faire tomber le tabou d’une bonne partie des équipes : qui va porter la corde ? Tu as beau optimiser au mieux ton matériel, si tu te retrouves avec la corde (plusieurs kg en plus), tes efforts sont vains. C’est l’homme en forme de cette fin de saison, Vincent, qui se propose. Merci encore. On commence à préparer le matériel et on drille les nœuds pour l’encordement sur le glacier (merci Patrick cette fois pour ton savoir-faire!).
16h30. Petit tour dans Zermatt et sandwichs de chez Fuchs à la Bahnhofstrasse (© 120 Secondes…) pour déstresser. Bizarrement tout le monde s’y balade par trois, ça doit être la nouvelle mode. La tension monte, il ne neige plus, on reprend confiance.
18h00. Moment mythique, le briefing à l’église de Zermatt. Au menu, discours à tout va, revue du parcours, bénédiction par le locataire des lieux et surtout, annonce de la décision quant au départ. Oskar Freysinger fait son show en 4 langues, la vice-présidente de la commune transmet les salutations d’usage en hochdeutsch, l’armée rappelle que la course c’est grâce à elle, le prêtre met les mains au ciel et surtout… c’est officiel, on va pouvoir partir ! Très grand moment et soulagement.

19h30. Gavage de pâtes et derniers préparatifs, la tension monte. Dans ces derniers instants qui précèdent un tel défi où chaque détail compte, t’en viens presque à avoir peur que les pâtes de l’hôtel ne soient pas assez al dente !
20h30. On enfile nos combinaisons officielles de ninja fédéraux (merci Ueli pour le cadeau). On pourra certainement les revendre aux membres de la Südkurve pour la prochaine finale de Coupe.

21h45. On assiste au deuxième départ de la soirée (sur les 6 départs de Zermatt), entre excitation et appréhension, on y est. Dernier contrôle mat et prise de position au départ.

La course

22h30. C’est parti pour quelques heures… Les tribunes officielles sont remplies de types en cours de répét qui n’ont pas l’air d’avoir choisi d’être ici ! La première partie se fait en courant (bon… disons plutôt jusqu’à la sortie du village et une fois que les spectateurs ne te voient plus !), skis et chaussures sur le dos pour 8 km jusqu’à Stafel et environ 600 m de montée entre sentier boueux et route goudronnée. On s’enfonce gentiment dans la nuit noire et les derniers signes de civilisation.
23h50. Arrivée à Stafel, on chausse nos skis et on dit au revoir à nos baskets et à nos chaussettes mouillées qui seront transmises par l’armée à une bonne cause. Prochaine étape, le poste de contrôle de Schönbiel, au pied du glacier. Premier test, les patrouilles doivent mettre moins de 3 heures depuis le départ, sous peine d’être arrêtées. On y va d’un bon pas, le temps est brumeux.
00h51. Passage du contrôle de Schönbiel, on est dans les temps, on peut continuer. Certaines patrouilles doivent déjà faire demi-tour. C’est aussi le poste d’encordement avant le glacier. Prochain contrôle, Tête Blanche, 3’650 m, le point de passage le plus élevé de la course.
03h16. Arrivée à Tête Blanche, le ciel est étoilé. En se retournant, on aperçoit la silhouette du Cervin dans la nuit, moment magique. On est encore relativement frais même si on souffre un peu du froid et de l’altitude. Première descente, encordé et de nuit. Sous l’impulsion de Patrick et de ses restes d’ex-espoir du ski suisse, on passe l’épreuve avec succès, à l’exception d’un bâton cassé pour Vincent, qui devra se taper le reste de la course amputé de la lanière du bâton et de quelques centimètres ! C’est un moment sous haute tension et il faut bien s’imaginer la scène : t’es sec de la montée, tu vois quasi rien, t’es relié au type devant toi à 3 m par une corde tendue, tu vas à mach 2 à la descente dans la nuit noire et tu te concentres uniquement sur ce que dit le premier de cordée : gauche ou droite ! Et cela pour éviter d’autres patrouilles qui se sont emmêlés parmi. Mythique ! On remet les peaux pour se rendre au prochain contrôle du col de Bertol. Il fait très froid, Vincent craint de se faire amputer de toutes ses phalanges enflées, mais arrive à les réanimer in-extremis (note pour la prochaine édition : acheter des gants plus chaud).
04h01. Arrivée au poste de contrôle de Bertol. Cabane légendaire perchée sur son rocher, elle l’est d’autant plus éclairée la nuit en pleine PDG par d’énormes spots lumineux. On se croirait sorti tout droit d’un film et on s’attend presque à recevoir une tape de Fox Mulder sur l’épaule. On enlève les peaux et la corde pour la descente, raide, de nuit, sur une pente déjà bosselée par le passage des autres concurrents (note pour la prochaine édition : aller plus vite pour profiter de la poudreuse).
04h23. Poste de contrôle des plans de Bertol, la première partie de la descente s’est bien passée, surtout grâce au projecteur que Patrick avait fixé sur son casque. Merci à lui, ce n’est pas nos deux Leds cumulant 3 lumens qui nous auraient montré la voie (note pour la prochaine édition : acheter une bonne lampe frontale). On continue la descente sur Arolla, les conditions sont bien meilleures qu’espérées, on pourra skier tout du long. Certains passages sont plus ardus que d’autres, la neige tombée suffit juste à cacher les cailloux, spectacle assez irréel que les étincelles faites par les skis sur la roche. C’est là que tu pries quand même pour ne pas te bouffer un gros peleu !
04h45. Arrivée à Arolla sans casse ou presque. Sentiment assez particulier pour une fois de faire partie des types arrivés depuis Zermatt. Ces mêmes types qu’on regardait avec envie lors de notre départ des éditions précédentes. Patrick avait organisé un charmant ravitaillement qui avait des allures de brunch. Merci à la chanteuse de son groupe de musique. Cette petite pause nous fait du bien et on est prêt à repartir pour la dernière partie. On a le sentiment d’être quasi arrivé, il ne nous reste «plus» que la petite patrouille et on est à Verbier.
05h00. Départ pour le prochain poste, Riedmatten. C’est là que ça se gâte, on commence à ressentir les premiers signes de fatigue, notre cadence ralentit gentiment.
06h35. Arrivée au contrôle de Riedmatten avec le lever de soleil, spectacle fabuleux sous le regard du Pigne d’Arolla, malgré le vent et le froid. Le poste de contrôle précède le premier «portage» du parcours. En raison du passage trop raide, les skis sont fixés sur le sac. Le chemin est escarpé et fait goulet d’étranglement. Frustrant d’attendre, mais on en profite pour récupérer. Le manque de sommeil se fait méchamment sentir et les muscles se durcissent. Une fois passé le col, la descente les skis sur le dos, entre cordes fixes, glissades sur les cailloux et bousculades, représente le passage le plus scabreux de la course.

07h34. Passage du poste du «Pas du Chat». On remet les peaux pour le long faux-plat en dévers du lac des Dix. C’est aussi à ce moment qu’on commence à vraiment subir. Pour certains c’est le dos, d’autres les pieds, les premiers tracas font leur apparition. Cette véritable traversée du désert paraît aussi longue que l’actuelle saison du LS, mais découle sur le deuxième ravitaillement (et quelques Dafalgan 1000) qui fait office de motivation. Le ciel est radieux et le paysage somptueux. Il fait cependant très chaud et le soleil cogne. Les corps souffrent (note pour la prochaine édition : s’entraîner plus…).
09h04. On quitte le ravitaillement de la Barma pour attaquer la dernière épreuve de taille du parcours, la fameuse montée de la Rosablanche. Notre énergie est entamée et il commence à faire très chaud. La première partie se passe dans la douleur mais notre rythme est bon sous l’impulsion de Patrick. Reste le plat de résistance, les 1002 marches de la Rosablanche taillées avec une précision toute helvétique, à réaliser les skis sur le dos. C’est l’heure de pointe, on doit aller puiser dans nos réserves et le mental a pris le relais, le passage est interminable. C’est pas le moment de craquer, ça ferait tache sur CartonRouge.ch (note pour la prochaine édition : NE PAS S’INSCRIRE).

La délivrance

11h12. Le poste de contrôle de la Rosablanche est enfin passé, on a perdu beaucoup de temps, mais le plus dur est passé. Reste encore le col de Momin et celui de la Chaux. Regain de forme pour ce dernier qui nous fait entrevoir les portes de Verbier.
12h04. Passage du col de la Chaux, la délivrance. On est en retard pour l’apéro à Verbier, on met les bouchées doubles pour la descente.
12h17. Passage aux Ruinettes, Verbier n’est plus loin. Il y a plus de neige que prévu, seuls quelques passages nous obligent à retirer les skis.
12h30. Verbier – Mondzeu, on met les skis sur le dos, il ne reste plus que la traversée du village jusqu’à la ligne d’arrivée. On enclenche la GoPro pour l’occasion… mais elle n’a plus de batterie (note pour la prochaine édition : ah non, pas besoin, on ne va pas s’inscrire). Le village est joliment garni et bout sous les encouragements, c’est un vrai plaisir nous faisant oublier les moments pénibles des heures précédentes.
12h36. Passage de l’arrivée, enfin, après 14 heures et 6 minutes. Fatigués mais émus et heureux, on y retrouve familles et amis et surtout, même si on est retard, c’est l’heure de l’apéro. On retire les chaussures et on décapsule, merci Lionel. Santé !

Bien qu’on soit finalement arrivé 8h05 après la patrouille vainqueur, l’essentiel est acquis, on l’aura fait, avec nos moyens, et ça fait du bien. Même si la PDG représente plus l’aboutissement d’une saison en équipe qu’une fin en soi, c’est un peu comme la réalisation d’un de ces rêves inaccessibles de gosse. Un souvenir mémorable d’une aventure à quatre (en incluant notre manager et remplaçant Lionel) qui nous aura permis de vivre de manière un peu plus intense.

Et merci à CartonRouge.ch pour l’opportunité de pouvoir partager cette expérience.

Écrit par Julien Moix et Vincent Hubschmid

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6 Commentaires

  1. Ayant participé aux éditions 2004 et 2006 depuis Zermatt, je me suis reconnu dans le descriptif que vous avez fait des heures avant le départ et du stress que l’on peut avoir quand on ne fait pas partie des élites qui ont 100’000 et plus de dénivelés dans les jambes. Et puis de la course et des doutes, douleurs et coup de chaud comme pour moi dans la montée de la Rosablanche. Les différences de température sont un élément dont on ne parle que rarement et qui influence la performance. Vous avez eu la satisfaction de terminer à trois et bravo. En 2004, on a été arrêté au pied de la Rosablanche suite à une petite coulée de neige anodine mais qui ont incité l’armée à arrêter une vingtaine de patrouilles dans le secteur et on a terminé en hélico militaire en étant évacué au pied du barrage de la grande Dixence (on aurait bien négocié pour être déposé au sommet de la Rosablanche…). En 2006, on a terminé à deux, le troisième ayant pris un gros risque en mangeant du … saucisson quelques heures avant le départ et en buvant de l’isostar: il a abandonné à Arolla pour des problèmes gastriques. La PDG laisse plein de souvenirs et d’images comme vous en décrivez. J’aimerai bien participer à nouveau pour cela, peut-être moins pour le parcours qui devient une autoroute bien encombrée avec des bouchons…

  2. fabuleux récit. Bravo les gars pour votre performance.
    Les petites notes pour l’édition suivante sont vraiment fort droles….faudra battre ce temps de 14h…non ?

  3. Bravo aux trois patrouilleurs !

    Temps tout à fait respectable et article grandiose.

    Je lève mon verre de fendant à votre réussite !

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