Beaucoup d’appelés et peu d’élus

Durant la semaine écoulée a eu lieu le tirage au sort des billets pour l’Euro 2008. D’ici la fin du mois, les supporters seront fixés sur le sort réservé à leur(s) demande(s) de tickets. Nul doute que beaucoup attendent avec impatience et anxiété de savoir s’ils ont obtenu leurs précieux sésames pour la grande fête du football européen.

Car le risque est grand, pour de nombreux passionnés de football, ceux qui garnissent les stades trop souvent vides de notre championnat, viennent soutenir notre équipe nationale lors des matches contre des adversaires aussi prestigieux que la Géorgie, le Venezuela ou le Costa Rica, l’accompagnent jusqu’à Tirana, Toftir ou dans l’enfer d’Istanbul, le risque est grand disais-je que ces supporters-là se retrouvent exclus du grand rendez-vous austro-helvétique, faute de billet. Ou alors devront débourser des fortunes pour avoir la chance de pénétrer dans des stades où ils sont d’habitude bien seuls dans les tribunes.Petit tour d’horizon du système de billetterie mis en place pour cet Euro 2008.
La répartition des 1’050’000 billets disponibles pour les 31 matches de la compétition se fera de la manière suivante :

  • 38% Fédérations Nationales
  • 33% Public
  • 14% Partenaires officiels, sponsors nationaux et partenaires diffuseurs
  • 8% Programme d’hospitalité pour les entreprises
  • 3% VIP
  • 3% Famille UEFA
  • 1% Villes hôtes et propriétaire de stade  

Nous pouvons donc constater qu’environ 30% du total des billets sont soustraits à la vente au grand public, chiffre qui peut même être augmenté si l’on tient compte du fait que certaines fédérations nationales réservent une partie de leur contingent de billet à leur propres sponsors, VIP ou invités. C’est dire que la manne à disposition du supporter lambda est extrêmement réduite. Examinons donc les étapes du parcours du combattant qui permettra, avec un peu de chance, de se retrouver dans un stade suisse ou autrichien en juin 2008.

Vente au public

C’est la phase qui vient d’être tirée au sort, représentant 33% du total des billets. Les supporters intéressés avaient jusqu’au 31 mars dernier pour s’inscrire, sans connaître les équipes en présence, hormis la Suisse et l’Autriche dont les dates et le lieu des matches du 1er tour sont d’ores et déjà fixés (7, 11 et 15 juin pour unser Nati, toujours à Bâle). Cela n’a pas empêché 588’716 personnes de commander la bagatelle de 10’359’177 billets. Et ce pour environ 350’000 billets disponibles, il n’y en aura évidemment pas pour tout le monde !
Le tirage au sort est sans doute le moyen le moins inéquitable d’attribuer les billets pour ce type de manifestation, plus juste que le principe «premier arrivé, premier servi» sur la toile, qui favorise la qualité de la connexion Internet, ou les longues attentes aux guichets, qui fatalement avantageront les supporters locaux. L’inconvénient du tirage au sort, c’est qu’il met tout le monde à égalité, le supporter fidèle, l’opportuniste qui redécouvre l’existence du football tous les deux ans, à chaque grand rendez-vous, ou le curieux qui veut aller voir l’ambiance juste une fois.
C’est évidemment fort louable que le football puisse s’ouvrir à des gens qui ne sont pas des habitués mais, lorsque le demande excède largement l’offre, on préférerait que les fidèles aient la priorité. C’est d’ailleurs la démarche retenue au niveau des clubs, dont les abonnés et membres sont prioritaires lors des matches à grande affluence. Cela n’est pas possible pour une fédération internationale. Le seul moyen de faire un semblant de sélection, cela aurait été de prévoir des billets plus chers, par exemple à 200 francs dans la catégorie la moins chère. Je ne cherche pas par là à renflouer les caisses déjà fort bien remplies de l’UEFA mais simplement à proposer un prix qui reste raisonnable pour le passionné mais prohibitif pour le supporter occasionnel «l’Euro, je serai bien allé pour voir mais je vais quand même pas mettre 200 francs pour du foot». Le passionné lui sera à prêt à mettre 200 francs pour voir un match de l’Euro. Celui qui n’est pas prêt à sacrifier quelques sorties ciné ou en boîte, à changer de franchise d’assurance maladie ou à manger plus souvent des pâtes pour voir un Suisse – Allemagne à l’Euro, celui-là il vaut mieux qu’il reste devant sa TV, ça ne coûtera rien et en prime il y aura les ralentis et les analyses de Pierre-Alain Dupuis.


Suisse – Togo à Dortmund

A Dortmund, nous étions 50’000 Helvètes pour Suisse – Togo. En comptant l’entrée au stade, le trajet, le logement, les bières et la Currywurst, ces fans ont tous dépensé au moins 200 francs, sans doute beaucoup plus pour la plupart. Et, vu l’ambiance extraordinaire qui a régné ce jour là au Westfalenstadion, il n’y avait de loin pas que des banquiers dans le stade. Ces supporters-là auraient tous été prêts à investir 200 francs pour un match de la Suisse à Bâle.
Malheureusement, bon nombre de ceux qui ont accompagné la Nati jusque dans la Ruhr ne pourront même pas rentrer au Parc Saint-Jacques. Ou alors devront payer des sommes exorbitantes au marché noir ou à des agences. L’autre argument pour des billets plus chers, c’est que cela aurait limité les abus (sans doute nombreux), les demandes de billets pour toute la famille, y compris l’arrière grand-mère décédée depuis deux ans, puisque les factures potentielles, en cas de chance au tirage au sort, auraient atteint des montants conséquents. Au surplus, on constatera que la hausse des prix du billet en Angleterre n’a en rien nui à l’ambiance, bien au contraire.
Malheureusement, l’UEFA a préféré céder aux appels à des prix populaires, avec l’explosion de demandes que l’on sait. Si bien qu’aujourd’hui, de nombreux fans risquent de se retrouver  déjà exclus de l’Euro, puisque la phase en cours est la seule réservée officiellement au grand public. Pour les malchanceux du tirage ou ceux qui préféreraient attendre de connaître les affiches des matches pour prendre les billets, la course au sésame va désormais s’apparenter au parcours du combattant. Un parcours qui n’est pas sans espoir : lors de la Coupe du Monde 2006, j’avais été recalé lors de la 1ère phase de vente mais j’avais quand même fini, uniquement par des canaux officiels et au tarif le plus bas, par obtenir 21 billets pour mes amis et moi. Mais cela sera sans doute beaucoup plus ardu pour l’Euro car les places disponibles sont beaucoup moins nombreuses.

Villes hôtes

Un contingent de 750 billets est réservé aux supporters venant de la ville où se déroule le match. Je trouve que ce quota donne une image relativement désagréable de la Suisse, comme si l’on s’excusait auprès des villes pour les désagréments liés à l’Euro, alors que c’est une immense chance. Comment sont attribués ces billets ? En parallèle au tirage su sort ci-dessus : parmi toutes les demandes, celles avec un numéro postal du canton de Genève (pour les matches à la Praille), de la ville de Berne (stade de Suisse), des cantons de Bâle-Ville et Bâle-Campagne (Saint-Jacques) et de la ville de Zurich (Letzigund) ont été tirées au sort en premier dans la limite du contingent de 750 billets par match. Les demandes qui n’ont pas abouti dans cette première étape étaient ensuite reversées dans le tirage général avec le commun des mortels.

La deuxième phase de vente

L’UEFA avait annoncé une 2e phase de vente en juin pour écouler les éventuels invendus de la 1ère phase. Vu le nombre de demandes, cette phase devrait être annulée, puisque tous les stocks seront épuisés. Il est toutefois possible qu’il reste des forfaits équipes pour des formations peu populaires mais possédant de réelles chances de qualification. Il est donc conseillé de consulter régulièrement le site de l’UEFA.

En dehors de cette hypothèse, l’organisation ne vendra plus aucun billet pour l’Euro, sauf des packages hospitalité, puisque tout le contingent «public» a été épuisé lors de cette première phase de vente. Contrairement à ce qui c’était passé en Allemagne où les organisateurs avaient conservé un contingent de billets mis en vente après la tirage au sort.

Les fédérations nationales

Les fédérations nationales reçoivent chacune 19% des billets pour tous les matches où leur équipe est engagée et sont libres de répartir ces billets comme elles l’entendent. La plupart des grandes fédérations possèdent un club officiel des supporters dont les membres sont prioritaires pour l’attribution des billets. Comme en général, le nombre des membres de ces fan’s club excède largement celui des billets disponibles, les fédérations ne revendent aucun billet au public. Si une fédération ne parvient pas à trouver suffisamment de supporters pour écouler son quota de tickets, ceux-ci reviennent à l’UEFA qui les revend mais l’hypothèse est hautement improbable : au Portugal, seules la France et l’Italie n’avaient pas assez de fans pour remplir leur quota. Mais, s’ils se qualifient, on peut penser qu’en Suisse les deux équipes finalistes de la dernière Coupe du Monde trouveront assez de supporters pour venir assister au triste spectacle qu’elles présentent généralement.
L’ASF n’a pas de véritable club de supporters. Jusqu’à fin 2005, il y avait le club des Amis des Equipes Nationales Suisses. Malgré un fonctionnement un peu archaïque, celui-ci permettait à ses membres (qui paient 50 francs de cotisation annuelle) d’avoir des billets pour tous les matches de notre équipe nationale, y compris pour les affiches à forte demande, style Irlande ou France. Ce club existe toujours mais n’a pas pu renouveler son accord avec l’ASF pour l’attribution des billets. Lors de la Coupe du Monde en Allemagne, l’ASF a donc alloué les tickets à sa disposition par tirage au sort, avec une priorité pour ceux qui pouvaient justifier quatre déplacements avec la Nati dans les années précédentes.
On ne sait pas encore comment procédera l’ASF pour distribuer les quelque 8’000 billets dont elle disposera pour chacun des matches de la Suisse lors de son Euro. Certaines personnes triées sur le volet (a priori les membres des Amis des Equipes Nationales) ont récemment reçu une lettre (nur auf deutsch sicher) leur proposant de s’affilier à titre individuel (membre extraordinaire) à l’ASF, moyennant paiement d’une cotisation oscillant entre 250.- et 5’000.– francs par année. Ces membres extérieurs de l’ASF bénéficieront d’un droit prioritaire sur les billets pour les matches d’unser Nati, y compris pour les championnats d’Europe ou du Monde. Le nombre de ces membres extraordinaires est limité à 50 (catégorie or à 5’000.–francs), 100 (catégorie argent à 2’500.– francs) et 2’000 (catégorie bronze à 250.– francs) : les modalités d’attribution ne sont pas très claires mais a priori les membres or et argent ont droit à deux billets pour chaque match de l’Euro et les membres bronze à un billet par match (le délai d’inscription pour faire partie de ces membres extraordinaires est semble t’il échu).
Si cela se confirme, cela fait déjà quelque 2’300 billets en moins sur le contingent reçu par l’ASF. Il faut encore soustraire les billets réservés aux sponsors, joueurs et autres invités. On peut donc en déduire que le contingent de l’ASF vendu au grand public sera restreint. On ne connaît pas encore les modalités de cette vente, mais il devrait y avoir un nouveau tirage au sort.

J’ose espérer que, comme pour la Coupe du Monde, l’ASF donnera la priorité aux supporters ayant assisté au plus grand nombre de matches ces dernières saisons. Ce qui aurait été malin, ça aurait été de prévoir que les billets soient vendus en priorité aux supporters ayant assisté aux matches amicaux de préparation : cela aurait permis de doper l’affluence de matches contre le Venezuela ou le Costa Rica. Malheureusement, cela n’a pas été le cas. Cette phase de vente aura lieu en début d’année prochaine, après le tirage au sort des groupes.

Les packages d’hospitalité

Dernier moyen officiel d’obtenir des billets, les packages d’hospitalité (80’000 billets disponibles), avec places dans la meilleure catégorie, repas gastronomique, divertissement et accès au secteur VIP. Ces packages sont vendus selon le système «premier arrivé, premier servi». Pour les trois matches de l’équipe de Suisse au 1er tour, il t’en coûtera 4930 francs. Si tu veux assister aux trois rencontres du Stade de Genève, cela fera 4250 francs. D’autres arrangements sont possibles, comprenant la finale, à partir de 27’200 francs. D’après les organisateurs, pour ces billets-là aussi, la demande excédera largement l’offre…

Les sites d’enchères sur Internet

Passons maintenant aux moyens non officiels d’obtenir les billets. Ces derniers seront nominatifs, leur achat par un canal non officiel présente l’inconvénient d’arriver au stade avec un billet ne portant pas son nom. Lors de la Coupe du Monde allemande, les contrôles d’identité étaient très rares et, lorsqu’il y en avait, la procédure de changement de nom était rapide et souple, contrairement à ce qui avait été annoncé. On peut penser qu’il en ira de même en Suisse et en Autriche. Dés que les résultats du tirage au sort des billets seront connus, les offres vont affluer sur les sites d’enchères sur internet.
Ces sites sont en principe assez fiables mais les enchères peuvent grimper relativement haut, surtout lorsque les affiches des matches seront connues. Cela vaut néanmoins la peine de jeter un coup d’œil de temps à autre, il peut y avoir des bonnes affaires, notamment lorsque les équipes en présence ne déplacent que peu de fans. Par exemple, il était possible de trouver des billets pour la finale de la dernière Coupe du Monde à 300 euros (soit même pas deux fois le prix de départ), une fois l’affiche connue. En revanche, un Suisse – Corée ne partait pas à moins de 800 euros.

Les agences

L’UEFA assure avoir limité les passe-droits accordés à des intermédiaires mais il existe déjà pléthore d’offres de billets octroyés par des agences privées. On se demande comment celles-ci font pour garantir les billets proposés mais force est de constater qu’en principe cela fonctionne, même si cela s’apparente à une forme de marché noir autorisé. Les tarifs ? A partir de 300 euros pour un match du premier tour, 400 si la Suisse joue et pas moins de 1200 pour la finale. Une fois que le programme des matches sera connu, les tarifs vont encore augmenter pour les équipes attirant le plus de spectateurs (Pays-Bas, Allemagne, Angleterre…) ou les chocs annoncés.


Le Stade de la Praille

Le marché noir

L’introduction des billets nominatifs n’a pas vraiment freiné le bon vieux marché noir. Le risque de se faire refiler un faux billet ou un ticket volé est plus grand que sur Internet ou par une agence mais il est possible de s’en sortir à des tarifs moins élevés que ceux énoncés ci-dessus. Mais attention, pour des équipes comme la Suisse ou l’Angleterre, les supporters devant le stade dépourvus de billets seront très nombreux et les tarifs risquent de prendre l’ascenseur.

Les concours

A ce niveau-là, cela devient franchement désespéré mais l’UEFA assure que 80% des billets alloués aux sponsors sont redistribués aux supporters par le biais de concours. Je doute un peu que le chiffre soit vraiment aussi élevé mais cela ne coûte rien d’essayer.

Les pistons

A chaque fois, on nous assure que les faveurs ont été limitées, que les invitations ont été réduites etc. Et pourtant, il y a toujours des passe-droits en veux-tu, en-voilà. Les 20% de places qui ne sont allouées ni au public ni aux fédérations ni au programme d’hospitalité passent bien quelque part. Tant mieux pour toi si tu fais partie de cette catégorie de privilégié.

Les Public Viewing

Pour ceux qui ne trouveront pas de billets, il reste les Public Viewing, les fantastiques Fans Fest de la Coupe du Monde allemande, c’est-à-dire la diffusion des matches sur écrans géants, entourés d’animations, concerts, discos et autres stands… On doute que la Suisse puisse faire aussi bien que ses voisins germaniques, qui ont vraiment placé la barre très haut. Ce n’est pas tellement la taille plus modeste des Public Viewing en Suisse qui risque de poser problème, au contraire : on a mieux aimé les Fans Fest conviviales et relativement modestes (environ 20’000 personnes) de l’Augustusplatz de Leipzig ou de la Friedensplatz de Dortmund que la kolossale Fan Meile berlinoise et ses 800’000 spectateurs amassés devant la Porte de Brandebourg pour applaudir les exploits de la Nationalmannschaft. Par contre, ce qui risque de coincer en Suisse, c’est le manque d’ouverture de nos autorités : je doute que l’on puisse faire, comme en Allemagne, en plein centre ville et tous les soirs de semaine, des concerts, discos et gigantesques beuveries jusqu’à 2-3 heures du matin.


Fan Fest à Berlin

Autre souci : la Suisse veut éparpiller ces manifestations dans tout le pays et pas seulement dans les villes hôtes. Le risque c’est que l’on va multiplier les fêtes locales, qui auraient pu avoir lieu la même chose même si l’Euro s’était joué en Ukraine ou en Pologne, sans avoir ces foules hétéroclites et bigarrées de supporters du monde entier que l’on retrouvait dans les Fans Fest allemandes. Je pense donc que pour vivre pleinement cette grande fête populaire que sera l’Euro, il faudra se déplacer dans les villes hôtes. Avec ou sans billet pour les matches. Avec de préférence mais comme cela vient d’être démontré, ce n’est pas gagné.

Écrit par Julien Mouquin

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