Le football suisse à son apogée

Le champion suisse directement qualifié pour la Ligue des Champions, une utopie ? Pas vraiment, quelques exploits européens de Zurich et Bâle pourraient permettre à notre pays d’obtenir l’un des meilleurs classements UEFA de son histoire et de s’assurer une place fixe pour la Champions League 2011-2012. Explications.

Aujourd’hui, c’est à la mode de dire «le football suisse est nul», même si l’on n’a vu aucun match de notre championnat depuis cinq ans ; en plus, disserter sur la médiocrité du football helvétique permet de frimer avec son abonnement à Canal+ en annonçant que l’on ne va tout de même pas aller voir YB – Zurich ou Lausanne – Servette, alors que l’on peut tranquillement rester dans son canapé à se régaler de trois 0-0 insignifiants de Ligue 1 et deux 1-0 sur penalty à la 92e de Serie A. Pourtant, parler de la nullité du football suisse relève plus de l’ignorance crasse que d’une réalité objectivement constatable. Notre équipe nationale se porte plutôt pas mal, merci pour elle ; après tout, la Suisse appartient au cercle très fermé des pays qui ont participé aux trois derniers grands tournois par nation  (Euro 2004 et 2008, Coupe du Monde 2006) : Tchéquie, Portugal, Espagne, Suède, Italie, France, Hollande, Croatie, Allemagne et Suisse. Et vu la situation dans les différents groupes de qualifications, le cercle pourrait devenir encore plus fermé après l’Afrique du Sud 2010.
Quant à défendre la valeur du championnat suisse, c’est un peu plus délicat. Bien sûr, on ne peut pas rivaliser avec l’Angleterre, l’Espagne ou l’Allemagne, dont les moyens et les bassins de population sont tellement supérieurs aux nôtres. Mais si l’on compare ce qui est comparable, on s’aperçoit que la Suisse fait plutôt bonne figure.

Comment ça marche ?

Le meilleur moyen pour évaluer la valeur d’un championnat, c’est le classement UEFA, qui détermine le nombre de places européennes attribuées à chaque pays. Ce classement est établi comme suit : chaque club engagé en Coupe d’Europe marque des points en fonction des victoires et matchs nuls qu’il obtient, y compris dans les matchs à élimination directe. Les points peuvent varier en fonction du stade de la compétition, avec un système de bonus pour l’accession à différentes phases de la Champions League ou de l’Europa League. Ensuite, on additionne le nombre de points comptabilisés par chaque club d’un même pays et on divise par le nombre de clubs engagés en Coupe d’Europe dans la saison, ce qui donne le coefficient annuel UEFA.
Par exemple, pour la saison en cours, la Suisse a un coefficient de 3,500 (soit Zurich 7 (3 points pour ses victoires en qualifications et 4 de bonus pour l’accession à la phase de groupe de la C1), Bâle 5,5 (5 victoires et un nul dans les tours de qualif),  YB 1 (la victoire à Bilbao) et Sion 0,5 (le nul à Istanbul), le tout divisé par 4). Tous les points que marqueront encore cette saison Zurich et Bâle seront divisés par quatre et augmenteront le coefficient suisse 2009-2010. Ensuite, on additionne les coefficients des cinq dernières années et on trouve le classement UEFA. Dernière précision : il faut que l’on connaisse le nombre de places européennes disponibles au début d’un championnat. Du coup, il y a un décalage d’une année entre le classement UEFA et les places qu’il attribue. Ainsi, les championnats débutés en juillet/août derniers donneront droit aux places européennes calculées sur le classement au terme de la saison 2008-2009 (pour la Suisse : comme cette année, 1 place en qualifs de la C1 et 3 en qualifs de l’Europe League). Les Coupes d’Europe en cours détermineront les places européennes des championnats 2010-2011 pour la Ligue des Champions et l’Europa League 2011-2012.

Presque un record

En regardant ce classement, on s’aperçoit que la Suisse reste relativement stable aux alentours de la 16e place depuis 30 ans, malgré tous les bouleversements intervenus sur le plan politique (implosion des blocs soviétiques et yougoslaves, chute du communisme), économique (explosion des droits TV), organisationnel (création de la Ligue des Champions) ou juridique (arrêt Bosman). D’autres nations de taille comparable, notamment à l’Est ou en Scandinavie, ont beaucoup moins bien supporté ces changements et ont plongé dans la hiérarchie. Si l’on prend le classement UEFA provisoire, tenant compte des résultats de la saison en cours, la Suisse grimpe au 12e rang. Ce qui constitue le meilleur résultat de notre pays après une 10e place en 1960 et une 11e en 1982, à des époques où seule une trentaine de pays étaient affiliés à l’UEFA, contre 53 actuellement !

Une place directe en Champions League ?

Le plus intéressant, c’est que les rangs 12 et 13 (si le champion d’Europe obtient sa qualification pour la C1 dans son pays, ce qui est généralement le cas) donnent droit à une place directe en Ligue des Champions, une en qualifs de la C1 et trois en qualifs de l’Europa League. C’est dire que si la Suisse maintient son rang, le champion national 2010-2011 sera directement qualifié pour la Ligue des Champions ! Reste encore à défendre cette place dans les Coupes d’Europe en cours : la menace ne vient pas tellement du Danemark (qui a déjà perdu 4 représentants sur 5) mais plutôt de l’Ecosse (même si tous les points acquis par le Celtic et les Rangers seront divisés par 6) et de la Grèce (qui compte encore trois clubs en lice). Il faudra donc sans doute l’un ou l’autre exploit de Bâle et Zurich pour que la Suisse garde son rang. Pour terminer, constatons que si l’on peut raisonnablement espérer conserver cette 12e place cette saison, ce sera beaucoup plus dur l’an prochain, où notre pays devra «défendre» son total record de la saison 2006-2007 (9,375).

Quel est le meilleur championnat ?

Puisque l’on est dans le ranking UEFA, regardons quels sont les autres enjeux des compétitions européennes qui débutent. Le titre symbolique de «meilleur championnat du monde» se dispute entre l’Angleterre et l’Espagne, séparés par moins de 2 points. La Liga peut donc espérer récupérer cette première place qu’elle a occupée entre 2000 et 2007, surtout que la Premier League a déjà perdu un club (Aston Villa) en qualifications. Toutefois, ce ne serait qu’un chant du cygne pour l’Espagne car la densité est bien supérieure en Angleterre : par exemple, lors du tirage au sort de la C1, tous les clubs anglais étaient dans le premier chapeau, alors que le «grand» Real Madrid était dans le même chapeau que l’AZ Alkmaar ! La saison prochaine, la Liga aura bien de la peine à «défendre» son total record de la saison 2006-2007 (19 points) ; il est donc vraisemblable que l’on soit parti pour plusieurs années de suprématie anglaise.

Le duel germano-italien

Beaucoup moins symbolique est le duel entre l’Italie et l’Allemagne pour la 3e place : en effet, la 3e place donne droit à 3 places directes en Ligue des Champions et une en qualifs, alors que la 4e accorde seulement 2 places directes et une en qualifs. En fait, la question n’est pas de savoir si l’Allemagne va dépasser l’Italie mais quand elle va la dépasser : en 2007, l’écart entre la Serie A et la Bundesliga était de 22 points, aujourd’hui il est inférieur à 3 unités ! Ceci dit, cela reste un écart conséquent et il ne sera pas facile aux Allemands de piquer la 4e place en C1 à l’Italie cette saison. Par contre, à moins d’exploits italiens en Coupe d’Europe ces deux prochaines saisons, la Bundesliga devrait revenir sur le podium l’année prochaine. Et ainsi récupérer ce fameux ticket supplémentaire au détriment de la Serie A.

La France larguée

On pensait qu’après l’arrêt Bosman et l’explosion des droits TV, il y avait cinq grands championnats au-dessus des autres de manière immuable. Or, aujourd’hui, force est de constater qu’il s’agit en fait d’un big four (Angleterre, Espagne, Italie, Allemagne) et que la France est reléguée dans les championnats de deuxième plan : cinquième, la Ligue 1 est plus proche de la 8e place de la Roumanie que de la 4e de l’Allemagne ! Certes, cette saison, la France est à l’abri des assauts russes et ukrainiens, vu l’hécatombe subie par les clubs de ces deux pays en qualifications. Mais, à moyen terme, si les pétrodollars continuent d’affluer à l’Est, la France pourrait perdre sa place dans le Top-6, qui donne droit à 3 places en Ligue des Champions (2 directes et une en qualif). Les Français doivent donc faire attention à leur coefficient UEFA, non pas pour rattraper l’Allemagne ou l’Italie, inaccessibles pour l’instant, mais bien pour défendre leurs trois places en C1.

Vers une domination nordiste ?

L’Espagne qui perd sa 1ère place, l’Italie menacée d’être éjectée du podium où elle trône sans discontinuer depuis 1985, la France qui pourrait sortir du Top-5 qu’elle n’a plus quitté depuis 1991, le Portugal qui risque de sortir du Top-10 pour la première fois depuis 1982, un tel déclin conjoint des quatre grands championnats du sud-ouest européen ne saurait être assimilé à une simple coïncidence. Surtout que les compétitions de jeunes, longtemps dominées sans partage par ces quatre nations, marquent un retour en force des pays du nord de l’Europe. Dans les années 1970 et jusqu’au drame du Heysel, les compétitions européennes étaient dominées par les clubs anglais, allemands et hollandais. Puis, dès la fin des années 1980, est intervenue une période de suprématie quasi-totale de l’Italie. Et ce jusqu’à la défaite de la Juventus en finale de la Ligue des Champions 1998, qui a marqué l’avènement de la domination espagnole sur l’Europe. Aujourd’hui, un nouveau renversement de tendance semble donc s’opérer. Est-ce le début d’une nouvelle ère, marquée par un retour en force de l’Europe du Nord et de l’Est ? A suivre.
Ranking UEFA au 14 septembre 2009 (entre parenthèse : nombre de clubs encore en lice en Coupe d’Europe/nombre de clubs engagés cette saison)
1. Angleterre 67.285 (6/ 7)
2. Espagne 65.329 (7/ 7)
3. Italie 52.195 (7/ 7)
4. Allemagne 49.374 (6/ 6)
5. France 41.906 (5/ 6)
6. Russie 39.625 (2/ 6)
7. Ukraine 36.750 (2/ 5)
8. Roumanie 36.158 (5/ 6)
9. Pays-Bas 30.046 (5/ 6)
10. Portugal 29.962 (4/ 6)
11. Turquie 29.650 (3/ 5)
12. Suisse 26.125 (2/ 4)
13. Danemark 25.950 (1/ 5)
14. Ecosse 24.625 (2/ 6)
15. Grèce 24.499 (3/ 5)
16. Bulgarie 21.250 (2/ 4)
17. Belgique 20.900 (3/ 5)
18. République Tchèque 20.375 (2/ 5)
19. Norvège 17.400 (0/ 5)
20. Chypre 17.249 (1/ 4)
Photos Pascal Muller (sauf celle de Deschamps), copyright www.mediasports.ch

Écrit par Julien Mouquin

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10 Commentaires

  1. Merci pour l’article. C’est vrai qu’on est plutôt bien placé. Faut également espérer que les Danois, Belges et autres se « ramassent » et qu’on fasse quelque chose de correct. Contrairement à Bâle en CL la saison passée.

  2. Petite remarque toutefois, cette année la Suisse aura 2 représentants en qualif de Champions League, comme c’était le cas l’année de la qualif de Thoune!

    Et non pas un seul comme la saison passé.

  3. Merci Julien pour cet excellent article, et surtout pour le 1er paragraphe, tellement juste… En Suisse (romande), on aime cracher dans la soupe, hélas.

    Alors : hop Zurich ! Vive Challandes et sa politique, « pourvou que ça doure »….

  4. @roger:
    Tu as entièrement raison, merci d’avoir corrigé, j’avais sauté une ligne dans l’access list: les deux premiers du championnat suisse en cours seront effectivement qualifiés pour les qualifs de la Ligue des Champions la saison prochaine. Le champion contre des adversaires abordables style Maribor ou Ventspils, le 2e pour le parcours du combattant genre un turc ou un hollandais au 1er tour et un anglais ou un allemand au 2e.

  5. @ Julien

    Après plein de recherche :

    1. j’ai pas trouvé le site mettant à jour le coefficient UEFA que tu nous as mis en classement, pourrais-tu me transmettre ce site ? Merci

    2. Moi me fais pas trop de soucis pour l’Italie, avec la Juve qui est revenue en coupe d’europe et les « mauvais » résultats dates de la période, milan-juve hors de toute compétition européenne…. 🙂

    Et merci pour l’article!

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