De l’intérêt du tir sur le poteau

«‘Vindieu, on n’a pas de chance. Encore un tir sur le poteau !» s’écrie mon voisin, un air dépité voilant son visage rubicond. «Sur le poteau, c’est pas dedans» répond son ami. «Peut-être, mais c’est moins dehors qu’à côté».

Bon sang, c’était au début du match et cet échange m’avait travaillé les méninges pendant de longues heures ; je n’avais pu suivre la fin de ce match qu’à moitié, perdu entre la réalité et les limbes sinueux de mes doutes assaillant mon état de conscience comme un rêve éveillé.Il fallait absolument que je rentre au plus vite pour tenter de mettre de l’ordre dans ce sac de nœuds ou de dénouer ce sac de désordre, et je n’allais pas y aller avec le dos de la main morte. Reste ceci : il n’était plus question pour moi d’avaler des vipères dans un sac de couleuvres, et inversement, comme dirait le petit Grégory. Fini de noyer le poisson en lui faisant prendre des vessies pour des lampions, il y a Jean-Guy sous Roche.

Un tir sur le poteau est-il plus dedans qu’un tir à côté ?
Tel Archimède devant sa pomme et Newton dans son bain, j’allais bientôt pouvoir m’écrier «Europa !» à pleins poumons, et saisir ces derniers à pleines mains comme Tommy Lee aidé par la poudre d’Escobar, avant qu’il ne prenne celle d’escampette. Il était important pour moi de tirer cette affaire au net, de montrer au monde entier à quel point on se méprend sur la culture générale et l’intelligence des fans de sport que nous sommes.
J’en ferais dorénavant ma croisade, ma vie avait trouvé un sens profond, une profession de foi, une vocation ! Des résultats de mes travaux dépendaient l’avenir intellectuel de millions de fans de ballon rond, de puck ou de balle en caoutchouc.
Pour certains, l’appel de la vocation vient avec la moustache qui pousse et le pistolet qui tire, pour d’autres avec la pré-puberté et la robe de bure (non, pas Pavel), pour moi, c’est cette interrogation métaphysique qui me pousse vers l’infini et l’au-delà, comme le grand philosophe américain Buzz Aldrin dans la série animée en son honneur : «un tir sur le poteau est-il plus dedans qu’un tir à côté ?»
Finalement, et à la très probable grande surprise de mes professeurs, il se trouve que je vais laisser mon empreinte dans l’Histoire, celle des Einstein, Flemming, Sikorski, Curie et autres Marthe Villalonga.
Ils vont voir ce qu’ils vont voir, les mécréants !
Partons donc du postulat de base, que nous sommes à peu près tous en mesure de comprendre :
«Un tir à côté du but n’est pas un goal». Jusqu’ici, pas de surprise. On ne peut pas aller à l’encontre de cette affirmation, à moins d’être sous l’influence d’une drogue psychotrope puissante ou de trouver que 1+1, ça fait onze et que ça, c’est beau.
Non. La question qui finira par vous tarauder autant que moi, c’est bien celle qui invite à se demander si un tir sur le poteau est plus un goal qu’un tir à côté.
En premier lieu, il est important de savoir si nous situons le poteau comme étant plus proche de l’intérieur des buts que de leur extérieur. Au cours des siècles, plusieurs courants de pensée se sont affrontés à ce sujet sans arriver, jamais, à se départager de manière claire.

Pourtant, il parait immédiatement logique même au plus néophyte des supporters que l’extérieur du but est bien plus large que la surface du poteau. Alors que la surface du poteau s’étend de 0.0 millimètres à quelques petits centimètres du but, l’extérieur du but part de cette limite jusqu’à la fin de la galaxie, voire même jusqu’aux confins de l’univers. N’ayons pas peur de le dire, un tir de Streller pourrait aussi bien frapper un satellite de Saturne sans qu’on se pose la question de savoir si c’était vraiment largement à côté ou non, ce qui est d’ailleurs souvent le cas. En revanche, un tir de Frei sur le poteau nous paraît logiquement plus terrien, plus proche, plus apte à emballer nos émotions. Lorsqu’un joueur quelconque du Genève-Servette frappe le poteau à plusieurs reprises lors du même match, il ne se sent pas forcément plus doué que Rico Fata qui, lui, ne s’embarrasse pas de ce genre de questions, préférant viser les plexiglas que le cadre du but qui se trouve parfois devant lui.
Toutefois, là où les Spinozistes se heurtent aux Cartésiens, leur reprochant une psychorigidité maladive, c’est face à la résultante ultime de ces deux gestes : elle est exactement identique, dans le fond.
Pour autant, peut-on affirmer qu’un tir sur Pluton et aussi valable qu’un tir sur le poteau ?
Certains le pensent. A raison, selon moi. En tous les cas, au vu des faits, le tir sur Neptune n’apporte pas moins de réconfort à l’équipe qu’un tir sur le poteau. Tout au plus un peu moins de «Oooh !» et de «Ouuuf !» de la part des publics respectifs. Si le tir sur Jupiter n’est peut-être pas aussi valable qu’un tir sur le poteau, il est en tout cas aussi peu rémunérateur, et ne devrait ainsi pas souffrir de ce manque de confiance dont il est la proie depuis que le tir sur le poteau a décidé de faire la roue comme un paon au milieu des fêtes de Genève.
Mais qu’est-ce qui rend le tir sur le poteau si fier de lui ? Pourquoi se pavane-t-il dans la cour de l’école, en maître du monde suivi de ses sujets fidèles, urinant dans les cornflakes de ses ennemis, riant à gorge déployée de l’infortune de ses concurrents ?
Le tir sur le poteau est un infâme prétentieux qu’il est nécessaire de ramener à la réalité.
Nous venons de démontrer que le poteau se situe plus vers l’intérieur du but que vers son extérieur, j’en conviens, mais Tir sur le poteau, tu n’es pas un but !
Nous avons donc clairement démontré que l’intérieur du but est au moins autant situé vers le dedans que l’extérieur du but est situé vers le dehors et que le poteau ne se situe pas au centre de cet extérieur, mais bien à l’intérieur absolu du dehors, en position complètement désaxée en relation avec le centre de l’intérieur, le côté de l’extérieur et l’extérieur ou l’intérieur du centre médian.
Pour autant, est-il juste que le poteau se sente meilleur que tous les autres impunément, de cette manière si abjecte ? Est-il moral qu’il se sente si fatalement béni des Dieux ?
Non, car les Cartésiens nous y ramènent sans faute : il n’est pas un but en soi, et pas un but dans l’absolu, car le but, c’est le but, et non le poteau, comme disent mes amis.

Il apparaît clair, donc, d’un point de vue philosophique, que le poteau se situe plus proche de l’intérieur du but que de son extérieur élargi, mais sans pour autant apporter un résultat probant aux équipes qui décident de le caresser plus souvent que cet extérieur.
C’est probablement exactement ce à quoi se référait le philosophe américain Hetfield lorsqu’il mentionnait d’un air mutin : «si proche, nonobstant la distance».
Cette étude a démontré sans l’ombre d’un doute qu’aucun but n’est comptabilisé lorsqu’un tir échoue sur le poteau ou à l’extérieur, peu importe la situation privilégiée dont bénéficient les montants de buts, et qu’un tir sur le poteau ne saurait se prévaloir d’une fierté plus importante qu’un tir en dehors du but.
Il serait peut-être de bon ton qu’une future étude mathématique se penche sur ce problème dans l’objectif de révéler sans doute aucun la corrélation entre le but sur poteau intérieur avec l’augmentation des scores de nos sports et la stagnation du score suite à des tirs sur les poteaux extérieurs.
Si tant est que l’on soit d’accord de considérer, d’un point de vue théologique, que le poteau peut avoir cette particularité maléfique d’être à la fois intérieur et extérieur au sujet dont il se dit le centre.

Écrit par Maurice Fatio

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12 Commentaires

  1. Vivement les articles sur « Le ballon sur la ligne de but, c’est but ou pas? » et « Le ballon sur la ligne de touche est-il dehors ou pas? »

  2. Excellent l’article 😉

    Il nous manque toutefois la suite de la thèse, qui ferait état de l’évolution dans le temps et sur un nombre de parties infinies et finies.

    Par exemple :
    Les joueurs qui visent les poteaux un certain nombre de fois et sur un certain nombre de match ont-ils plus de chance par les aléas du hasard et de l’imprécision que le puck finissent au fond du but par rapport a ceux qui vise vers l’extérieur du dehors ?

  3. Cette théorie n’est pas valable dans tous les sports.

    Par example le Football Australien (ou Aerial Ping-Pong pour les intimes) si tu touche le poteau ou que tu tire a coté mais pas trop tu as quand même un point contre 6 six tu vise bien entre les poteaux (sans les toucher car poteau goal rapport qu’un point).

    Et si tu touche le poteau extérieur (celui a l’extérieur de l’extérieur) tu as aussi un point. Mais un tire a coté d’a coté rapport 0 point.

    Donc le tire sur le poteau en AFL a une toute autre dimension suivant le poteau que tu touche…

  4. Tout est tiré du forum des acculés… Sauf l’introduction, et là je retrouve le CR d’autrefois qui de rire, fait ruisseler mes pantalons d’un liquide jaunâtre et malodorant.

    « de trouver que 1+1, ça fait onze et que ça, c’est beau. » Ça, c’est du rêve!

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