8 décembre : la Bombonera

La Bombonera est un stade atypique situé au coeur du quartier historiquement pauvre de Buenos Aires, la Boca. Une enceinte prête à exploser pour les exploits de Boca Juniors, l’un des clubs les plus populaires et mythiques d’Argentine. Personne ne ressort indifférent de ce lieu culte. Les millions de papelitos jetés à l’entrée des joueurs recouvrent les spectateurs et la pelouse ? «Bienvenido a la Bombonera», le volcan de Buenos Aires, où la passion se conjugue avec ferveur, hystérie, folie et violence…

Nom : Estadio Alberto J. Armando.
Ville : Buenos Aires.
Club résident : Club Atlético Boca Juniors.
Capacité : 49’000.

Le stade

La Bombonera de son surnom (la bonbonnière) est située au coeur du quartier de la Boca. Le barrio (quartier) historiquement pauvre et dangereux de Buenos Aires, terre d’accueil des immigrés italiens. Connue pour ses rues et ses maisons colorées, la Boca est une attraction touristique qui ne s’arrête pourtant presque qu’à une rue, le caminito, et un édifice, la Bombonera. Peint aux couleurs du club, jaune et bleu, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du stade, il est le symbole identitaire du club. Un stade atypique construit sur trois étages et sur trois côtés. Un côté latéral étant dédié à une petite tribune et à un complexe de loges. Situé au coeur du quartier aux rues étroites, il n’y avait que peu de place pour faire mieux.
Bref, la Bombonera est unique, tant par son architecture que par la passion qui y règne. Inauguré en 1940, la dernière rénovation qui lui donne son aspect actuel date de 1996 et la présidence de Maurizio Macri aujourd’hui maire de Buenos Aires. Le stade abrite également depuis les années 2000 un musée du club. Comme on se l’imagine, on est loin du confort des stades modernes d’Europe, mais ses grandes tribunes presque droites qui descendent jusque sur la pelouse offrent une proximité que les puristes sauront apprécier. On y accède par les petites rues typiques du quartier, bondées de policiers, de mecs un peu louches, de vendeurs de maillots et de barbecues improvisés où te sustenter ne te coûtera que quelques pesos. Les maniaques de l’hygiène passeront sans doute leur chemin et ne craqueront pas pour un choripan, le pain-saucisse le meilleur du monde. Et pour finir de poser le décor, les habitants t’invitent à venir pisser chez eux histoire de récupérer quelques pesos. La Boca a son charme mais ne cache pas sa dure réalité.

L’ambiance

La viande, le tango, le polo et le football. Mes amis argentins m’excuseront de réduire leur nation, leur culture à ces seuls clichés. Mais pour bien comprendre ce qui anime l’Argentine, son peuple, il ne faut pas avoir peur des raccourcis. Les snober serait une vulgaire cabriole de bobo qui ne servirait qu’à contourner maladroitement l’essence du peuple argentin, puisée dans un mot simple : la passion. Autant le dire tout de suite, pour nous autres Européens, même fans de foot et tout et tout, le culte voué au football en Argentine dépasse la limite du raisonnable. Tant mieux pour la folie, tant pis pour les risques. Alors dans un pays qui vit au rythme du foot, de ses rivalités et des excès, pas besoin de te faire de grands dessins quant à l’ambiance qui peut régner dans les stades. Et les Argentins étant pour le moins allergiques aux règles et à leur police, un stade de foot peut vite être une zone de non-droit, haut lieu de démonstrations excessives et de testostérone.
La Bombonera est un chaudron animé principalement par la «Doce» (doce comme douze, le douzième homme), la mythique «barra brava» (ultras) la plus importante d’Argentine. Le kop de Boca Juniors s’étale sur les trois étages du stade derrière un goal, le coeur du groupe étant situé au deuxième étage. Un rassemblement impressionnant qui relaie tifos, drapeaux surdimensionnés et animations tout au long du match. Sans compter les ballons, parapluies et autres accessoires aux couleurs du club. Une concentration de passionnés des classes populaires, de groupes armés qui n’ont de limites que celles qu’ils se fixent. Bref, la barre est haute, très haute.
La 12 est réputée pour semer la terreur autour de tous les stades d’Argentine.  Les chefs de ce groupe de supporters qui géra longtemps l’accès au stade et les billets se sont succédés à coups de revolvers et de règlement de compte. L’histoire de la 12 est donc sanglante. Même si le temps calme les esprits, les différents chefs qui se sont succédés, et notamment le mythique Rafael Di Zeo (aujourd’hui sorti de prison, mais qui a continué à gérer la 12 depuis sa cellule), sont considérés de par leurs groupes armés, leurs affaires et leurs liens avec les hommes politiques comme les plus puissants du pays. Des radicaux sans limite qui donneraient des leçons de vie aux hooligans les plus extrêmes d’Europe. Voilà pour la légende. Et ce serait bien entendu malheureux de ne résumer la 12 qu’à sa face sombre, ses membres puent le foot, la passion, la déraison : «tu peux quitter ta femme, mais Boca jamais» nous a dit un jour un fervent fan.

Le coeur de la Bombonera est donc explosif, le reste est lui électrique. Feux d’artifice, pétards, fumigènes, tout part des tribunes du stade, en toute impunité. Et nul doute que tu as déjà vu les millions de papiers jetés depuis les tribunes par tout le public à l’entrée des joueurs. Les «papelitos», un concept cher à l’Amérique latine qui ne cesse d’impressionner. Un spectacle unique, hors norme qui à lui seul vaut le détour. Il y a bien quelques volontaires équipés pour tenter de redonner à la pelouse une allure normale, le carré vert reste jonché de papiers tout le match. Sans discontinuer, la 12 tient les chants tout le match, animée par des dizaines de tambours, relayée par les supporters situés de l’autre côté du stade. Et si le match commence à s’animer, il n’est pas rare de voir tout le stade debout en train de s’agiter et d’hurler à la gloire de Boca, membres des loges et femmes compris. Tu l’auras compris, sur un goal, c’est tout le stade qui tremble. Et au vu de l’état des infrastructures, c’est loin d’être une simple image. Une ambiance de feu et une passion qui dégoulinent des gradins jusque sur le terrain, un contexte chaud où il est difficile de ne pas se laisser emporter par la ferveur. Et c’est dans cette excitation générale, dans cette communion du public que la bonbonnière prend toute sa dimension.

Le choc

Il fait partie des derbys les plus courus du football mondial : je veux bien entendu parler de Boca Juniors – River Plate. The Observer l’a même placé en première positions des 50 événements sportifs à voir dans sa vie avant de mourir. C’est le choc le plus électrique d’Argentine, peut-être du monde, le «Superclásico». La confrontation des deux plus grands clubs de la ville de Buenos Aires. Les deux clubs ont été créés dans le quartier de la Boca. Mais en 1930, River Plate déménage et s’installe dans le quartier de Nuñez et hérite du surnom de «Millionarios» (les millionnaires). D’où la naissance d’une rivalité hors norme et d’une soi-disant confrontation «pauvres contre riches», mais qui aujourd’hui se résume à un affrontement entre des supporters de même niveau social ou presque. Boca se revendique du peuple et River du beau jeu, voilà tout. Pour comprendre la rivalité qui anime ces deux clubs, il faut la constater au coeur même de la vie quotidienne des habitants de Buenos Aires, les Porteños. Quand tu arrives là-bas, tu dois faire un choix : être de River ou de Boca. Parce qu’après quelques minutes de discussion avec un Porteño, la question revient inlassablement : «sos de River o de Boca ?» (tu es de River ou de Boca?). Et autant te dire qu’il faut argumenter. Parce qu’à Buenos Aires, tu nais de Boca ou de River, tous te le diront, «c’est génétique, irréversible».
Je t’invite aussi à te balader dans la ville avec un maillot ou une jaquette de l’un des deux clubs. Tu rebrousseras chemin 10 minutes après pour te changer ; après avoir entendu des piétons ou des voitures de quelques excités te tirer des insultes ou t’applaudir. Bref, le football est central dans la culture argentine, je ne t’avais pas menti. La pression médiatique est évidemment énorme autour de ce derby. Et à l’heure du match, tu n’as qu’à regarder les rues presque désertes de Buenos Aires, les taxis arrêtés et tes voisins tous devant leur télé, pour constater qu’il n’y a qu’une chose qui compte : le Superclásico. Honnêtement, il est le seul événement à calmer l’animation continue des rues de BA. Sur le terrain comme dans les tribunes, la tension est à son comble et il y a peu de place pour la poésie que ce soit dans les pieds des joueurs ou dans la bouche des spectateurs. Le match est tendu, gare au vaincu. Tous les grands joueurs ont néanmoins au moins une fois marqué un Superclásico par un geste de classe ou un goal venu d’ailleurs. Hier Maradona, récemment Palermo, aujourd’hui Riquelme.
A voir aussi : la vidéo de la BBC sur le Superclásico. 

Les billets

Tu l’auras vite compris à la lecture de son descriptif, peu de possibilités pour le touriste du coin de se risquer à aller chanter au coeur de la 12. Même introduit, l’expérience pourrait tourner rapidement au vinaigre, tant les luttes intestines en font une tribune incontrôlable. Trouver des billets au stade en touriste tient du pensum (l’ouverture des caisses est pour le moins aléatoire) et comporte quelques risques. Les deux amis que je connais qui ont fait ça se sont retrouvés avec les supporters adverses, mouvements de foule et bastons avec la sécurité garantis. Tu trouveras bien entendu un Suisse qui t’expliquera que lui, il est allé tout seul au match et que tout s’est bien passé. Il n’empêche que la démarche est risquée. Et si se rendre au stade de plein jour ne pose pas de problème particulier, le retour de nuit est beaucoup plus compliqué. Les petites rues sombres ne sont guère rassurantes et les taxis ont eux simplement déserté le quartier. Ne reste que les bus bondés et l’excitation qui va avec.
Alors pour faire simple, même si mes convictions de passionné en ont pris un coup, le plus sûr est de passer par une agence. Pas forcément celle de ton hôtel qui va te détrousser, mais plutôt celle de Juancho (www.juanchofutbol.com.ar). Beaucoup moins chère que ce que propose Boca Juniors pour les touristes (www.bocaexperience.com), l’agence de ce Porteño de confiance, au look du coin, qui te prendra et te ramènera en bus organisé au coeur du quartier de San Telmo. Compris dans le prix en plus du bus, de la Quilmes au litre et de la pizza à volonté dans le bar d’un club de supporters de Boca avant l’arrivée au stade. Avec une escorte super sympathique de quelques membres de l’agence jusque dans le stade, tu profiteras pleinement de ton match. C’est organisé à l’argentine, dans la décontraction et la bonne humeur. Et si quelques touristes te gâchent un peu le plaisir, rien ne t’empêchera d’aller voir des fans de Boca à quelques mètres dans la tribune, pour retrouver ta troupe ensuite. On est bien loin de la virée exotique du footeux sûr de lui qui en a vu d’autres, je te le concède, mais au vu de degré de dangerosité du quartier et du stade, il vaut mieux parfois prendre quelques précautions au risque de se retrouver détroussé et à poil dans un bus (véridique). Et quand tu verras les sacs de pisse des supporters adverses tomber sur le devant de tes gradins et les pétards exploser dans ta tribune, tu comprendras vite que les règles et les coutumes en vigueur dans le stade sont d’un autre temps… Mais putain que c’est beau !

La troisième mi-temps

Juancho pousse parfois le vice jusqu’à t’inviter dans un bar de San Telmo pour continuer de boire des bières avec des gars du coin. Sinon, de San Telmo à Palermo, Buenos Aires est une ville qui s’amuse beaucoup et qui dort peu, alors profites-en ! Mais n’oublie pas que les Argentins sont fans de Fernet Coca (simplement dégueulasse) et qu’ils n’ont pas non plus la descente d’un Allemand en vacances. Ils sont en effet naturellement cool et n’ont pas besoin de boire beaucoup pour s’amuser et discuter toute la nuit, un truc de fou dont je n’ai toujours pas trouvé la recette. Point important, on trouve du Jägermeister à Buenos Aires.

L’anecdote

Maradona n’a joué que deux saisons à Boca Juniors, avant d’y revenir en fin de carrière. Champion la première saison, il illumine son premier Superclásico à la Bombonera. Le club traverse une crise économique et Maradona s’envole pour le Mundial 82 et Barcelone en ayant inscrit 28 buts en 40 matches. Ce court passage ne l’empêchera pas de marquer l’histoire du club, si bien qu’il est l’icône de référence parmi tous les grands joueurs qui ont porté le maillot bleu et or de Boca. Sur les marchés de San Telmo jusque dans les boutique spécialisées, les maillots historiques de Boca Juniors frappés du 10 de Diego s’arrachent encore aujourd’hui. Et comme en Argentine on n’a pas peur de voir grand, la légende veut que Maradona dispose d’une loge à vie à la Bombonera pour lui et sa famille. Si bien que quand il y passe voir un match, l’ambiance est d’autant plus folle, tant Diego est un mythe et tant il n’a pas peur de faire le show, à cheval sur la barrière de sa loge, torse nu et cigare aux lèvres. Mais le conflit qu’il a eu avec Riquelme (alors qu’il était sélectionneur de l’Argentine) a refroidi El Pibe de Oro. En effet, Riquelme étant également une idole des bleu et or, le public s’est partagé en deux camps, et Maradona n’aurait pas supporté de partager son rôle d’icône. Il a ainsi choisi de déserter quelque peu la Bombonera, suscitant ainsi polémiques et inquiétudes. Une affaire de fierté qui semblerait avoir retrouvé une situation normale l’an dernier lorsque Maradona organisa son retour lors d’un Superclásico, après que la loge soit restée désespérément vide un an durant…  Il l’avouera lui-même dans les journaux : «l’amour pour Boca est plus fort que tout.»

Écrit par Vince McStein

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8 Commentaires

  1. MAGNIFICO! EXTRAORDINARIO! Que de frissons!!! J’avoue que pour lire l’article j’ai endossé mon maillot du CABJ et j’avais l’impression d’y être! Me réjouis de couronner un voyage en Argentine par un match à la Bombonera accompagné par Juancho!
    Il y a quelques années en traversant le Pérou et la Bolivie, j’ai croisé un irlandais qui remontait le continent depuis l’Argentine et qui m’a raconté son expérience à la Bombonera. Le type ne semblait en rien une mauviette, il y était allé tout seul mais avait quitté le stade bien avant la fin du match car il craignait pour sa vie…

  2. J’étais à la Bombonera pour le choc au sommet contre Racing il y a deux semaines, je n’ai pas grand chose à rajouter par rapport à l’article, il définit bien ce que j’ai vécu. Nous avions néanmoins des places en latérale, nous n’avons donc pas ressenti l’atmosphère peut être particulière des « popular »

    Concernant Maradona, le mythe reste plus que jamais vivant, la preuve en est la minute de silence respectée pour sa mère décédée la veille du match.

    Concernant Rafael Di Zeo, il est revenu à la Bombonera il y a deux mois avec l’intention de reprendre les reines de La Doce. Ce qui a provoqué quelques tensions significatives entre ses partisans et ceux de Mauro Martin qui lui a succédé après son emprisonnement en 2007. Après diverses menaces et intimidations mutuelles, ils ont été convoqués par un juge et se sont vus interdire de match de Boca jusqu’à nouvel ordre.

    Je ne peux que très vivement conseiller l’expérience fantastique d’un match à la Bombonera à toute personne visitant Buenos Aires !!!

  3. putain, le type sur la dernière photo est tellement allumé (sniffette ou Coca fernet?!) qu’il se trompe de doigt pour sont doigt d’honneur de la main droite …
    c’est surement ce que tente de lui rappeller sa petite fille à ses cotés….

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