Argentina ! Entre passion et déraison… (1/4)

A quelques jours de la rencontre Suisse – Argentine, CartonRouge.ch te propose de plonger dans l’univers du football argentin. Une saga de 4 volets qui, du jeu à la polémique en passant par les ultras, doit te permettre de découvrir un football et une culture différents où le passé se conjugue au présent, où l’exode de talents est de plus en plus précoce et où la ferveur tente d’effacer les lacunes techniques et physiques d’un jeu qui peine à évoluer… Chicos, bienvenidos a la Argentina !

L’histoire de l’Argentine est un continuel recommencement. Des cycles relativement courts qui ont amené le pays au plus haut comme au plus bas des rankings de la planète. Aujourd’hui, les marques de la crise des années 2000 sont toujours présentes. Dans un pays où l’emprise de l’Etat est de plus en plus forte, voire suffocante selon les avis, le football n’échappe pas à la réalité du moment, aux joies et aux maux d’une société qui plus que tout cherche à se réinventer et à trouver sa place.A l’heure de la privatisation des droits télé, l’Argentine a elle aussi été concernée par le phénomène. Sauf que le football est un point cardinal et la popularité d’un homme, ou d’une femme politique se joue surtout sur des détails du quotidien. Impossible d’imaginer de priver plus de la moitié d’une population de son football. C’est donc le gouvernement, moyennant une ou deux pirouettes qui ne surprennent plus personne ici, qui se charge depuis 2009 des droits et qui les redistribue à l’ensemble des télés publiques et privées d’intérêt général. Au revoir les rêves du groupe Clarin, ESPN ou SKY, les matches se consomment comme depuis toujours sur les canaux de télévision traditionnels, sous l’égide du «futbol para todos» (football pour tous).

Le football justement, parlons-en. 20 clubs de première division qui jouent deux championnats par an. Le championnat d’ouverture (torneo apertura) qui se joue d’août à décembre. Et le championnat de fermeture (torneo clausura) qui se joue de février à juin. La formule du championnat étonnera plus d’un mathématicien quand elle ne perd simplement pas le fan européen. Si la lutte pour le titre est le reflet d’un classement tout à fait normal, pour la relégation c’est autre chose. C’est en effet le calcul d’une moyenne des points sur les trois dernières années qui désigne les équipes touchées par la relégation à l’issue du tournoi de fermeture. Une formule savamment orchestrée pour protéger les plus grands, mais qui n’aura guère servi l’an dernier à l’illustre club de Buenos Aires, River Plate, piteusement relégué même après des matches de barrage. Un drame national, dont les effets sont aujourd’hui encore nombreux, et qui aura été suivi d’une nuit et quelques heures de violences qui nous rappellent si besoin est que le football ici est plus qu’un simple jeu : un enjeu social pour des clubs aux structures et aux ramifications gigantesques qui drainent et financent des communautés entières.

Un niveau de jeu décevant

Les enjeux et la ferveur ont beau être démesurés, le niveau lui décevra plus d’un fan de football. Si l’environnement tactique, physique et technique du football européen a pris une dimension exceptionnelle depuis plus de 10 ans, le football argentin s’est comme figé. En gros, le niveau est comparable à un Lausanne – Thoune de mi-novembre, et j’exagère à peine. La chaleur et l’état général des terrains ne facilitent pas le beau jeu. L’engagement excessif des défenseurs – auteurs de tacles que des Ecossais ne renieraient pas – non plus. Mais plus que ça, c’est la culture du jeu qui peine à évoluer, à se moderniser. Les joueurs semblent peu préparés physiquement et tactiquement quand les entraîneurs viennent pour la plupart de génération de grands-papas. Falcioni à Boca ou Basile à Racing pour ne citer qu’eux. Un football qui nous rappelle les shorts courts et les maillots amples, où les clés sont dans les pieds d’un numéro 10 ou d’un numéro 9 légendaire, généralement au CV chargé et au physique aujourd’hui en fin de course : Riquelme à Boca, Veròn à Estudiantes… La lumière doit venir de là. Pour le reste, on se contente de défendre et on ne s’embarrasse guère du ballon depuis derrière. Bref, le collectif, le mouvement général ou l’occupation du terrain passent pour des problèmes de snobs…

Un constat d’autant plus cruel que dans la situation économique récente et actuelle du pays, les clubs sont à la diète. Ils ne peuvent simplement plus régater face aux offres des clubs européens. Et ainsi les jeunes talents quittent de plus en plus tôt les clubs nationaux. Bref, pour ceux qui mettent les pieds en terre argentine, il ne sert à rien de s’enflammer et de rêver d’un football spectaculaire et rapide ; on est plus proche de la plage de Bellerive un dimanche après-midi que d’une mythique soirée au Camp Nou ou à Old Trafford…

La victoire par dessus tout

On aura l’occasion d’y revenir, mais dans l’environnement général du football argentin, la polémique et la passion ont des places beaucoup plus importantes que le jeu. Ainsi, pour les hinchas (supporters), les préoccupations se limitent au coeur, à l’amour du maillot, à l’engagement et par-dessus tout à la victoire. Aussi bien que si jouer avec ses tripes et défendre ses couleurs est un minimum, la victoire est l’unique et ultime satisfaction. Sans victoire, il n’y a ni gloire, ni joie. Ainsi, pour un joueur au passé européen, légitimer un match nul à l’extérieur est une mission impossible, face aux médias, comme face au public. Une démonstration de passion sincère et extrême qui ferait rêver plus d’un ultra européen, mais qui ne cache pas les limites affichées sur le terrain.

Un championnat de fermeture prometteur

Si le championnat est composé de vingt clubs, cinq sont considérés comme les plus importants, le Big Five : Boca Juniors, River Plate (aujourd’hui en seconde division), Independiente, San Lorenzo et Racing Club. Tous de Buenos Aires et sa banlieue, ils sont également les clubs les plus populaires du pays, avec une mention spéciale pour Estudiantes de la Plata qui tient aussi le haut du pavé. En gros, il n’y a pas une journée de championnat sans un gros derby, déplaçant les foules et les médias.

Les mouvements d’intersaison qui ont agité le microcosme du football argentin ont confirmé l’ambition de ces clubs de jouer le titre. River mis à part, qui compte bien retrouver la première division cette année déjà. Mieux, à grand renfort de publicités placardées dans tout le pays, Adidas annonçait la couleur : «le retour du tango, le retour de la passion». Le fameux ballon de la Coupe du Monde 1978 organisée au pays fait en effet son retour sur les terrains argentins – et dans une autre version à l’Euro 2012 – dans une réédition pour le moins bien réussie. Bref, le championnat s’annonce comme palpitant.
Cependant, deux journées de championnat plus loin, l’ambiance n’est pas vraiment au beau fixe, c’est la crise. La faute aux gros clubs qui suscitent plus de questions et de discussions que de certitudes, le moral est au plus bas. Le Boca Juniors de Riquelme tout d’abord. Couronnée en décembre à l’issue du tournoi de fermeture, la maison Xeneize semblait avoir retrouvé confiance et sérénité après trois longues années de disette. Néanmoins, un déplacement mitigé en terres vénézuéliennes pour le premier tour de la Copa Libertadores, une polémique entre Falcioni l’entraîneur et Riquelme la star, et un piètre 0-0 en championnat ce week-end face à la modeste équipe de Uniòn ont plongé Boca dans le trouble, même après une première victoire face au petit Olimpico. Et les inquiétudes quant au jeu développé par Boca, essentiellement tourné vers la défense, de ressurgir. Boca ne perd pas (33 matches sans défaite en championnat), gagne parfois, mais ennuie. Falcioni est dans une situation difficile et il va vite falloir retrouver le chemin de la victoire pour éteindre le feu.
Du côté d’Independiente, il y a déjà le feu dans la maison. Deux défaites affligeantes sèment la terreur auprès des supporters, de l’équipe et surtout de l’entraîneur qui est plus que jamais sur la sellette. Et au vu du niveau proposé, il n’y a guère de spécialistes pour mettre un peso sur un titre en fin de saison. Le club de San Lorenzo suscite autant d’interrogations. Un match nul et une défaite et pire, une moyenne des résultats sur les trois derniers championnats qui le confine aujourd’hui à une difficile position de barragiste pour la relégation… Quant à Racing, de l’avis des supporters et des spécialistes, le club tient une équipe à hauteur de ses ambitions et de sa mythique «Guardia Imperial» (le nom des ultras). Mieux, l’arrivée du mythique Basile – reçu en seigneur lors de la première journée de championnat par les supporters – dope les ambitions du club. Malheureusement, à l’image de ses pairs, un match nul et une défaite ont largement déçu les supporters et les attentes. Et le silence radio de Basile lui sème d’autant plus le trouble. La mayonnaise ne prend pas.

Il est bien entendu trop tôt pour prononcer quelconque pronostic sur la suite du championnat, sur la capacité des grands clubs à trouver leur rythme. Mais tout va tellement vite en Argentine – hors du terrain surtout… – qu’il ne faut pas plus de deux matches pour susciter les pires polémiques. Au vu de l’état actuel des grandes équipes, il ne serait pas étonnant de voir triompher cette année un club de «seconde zone» comme Velez Sarsfield, Godoy Cruz ou Lanùs (si si…) tous aussi ambitieux que décomplexés.

Sélectionneur, la position impossible…

Bref, de ce constat mi-figue mi-raisin sur le jeu déployé sur les terrains et le niveau général du football argentin, il n’y a bien évidemment aucune condescendance. A peine un regard critique qu’il n’est sans doute pas bon d’étaler dans tous les cafés de Buenos Aires tant la passion et une certaine déraison l’emportent sur l’objectivité. Les joueurs évoluant dans le championnat ont donc une cote démesurée et sont considérés comme des cracks. On imagine facilement que la position du sélectionneur est donc difficile. Entre les certitudes passionnées du public, la réelle valeur du football argentin et les attentes démesurées que suscite l’équipe nationale, difficile de trouver l’alchimie. Impossible même d’imaginer une équipe nationale sans ou avec peu de représentants du championnat argentin. Un véritable casse-tête, une position surexposée médiatiquement et au final beaucoup de sélectionneurs et de légendes qui y ont laissé leur réputation…
Bref, l’Argentine n’oubliera jamais son glorieux passé et les attentes sont excessives. Et si le spectacle n’est de loin pas toujours présent sur les terrains, tout se passe dans les coulisses et autour du terrain. Et ça, ça vaut largement le détour. Le meilleur est à venir, cher lecteur, la suite au prochain épisode !
Prochaine partie : La polémique, point cardinal d’une pression permanente

Écrit par Vince McStein

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9 Commentaires

  1. Ouai c’est cool de comprendre enfin qqch à ce foot sud-américain..

    En passant.. est-ce que quelqu’un peut m’expliquer le foot brésilien?

    Championnat, coupe de sao paulo, championnat carioca et autre.. On peut être combien de fois champion en une année au Brésil?

    Merci d’avance

  2. Cet article résume parfaitement le sentiment laissé après les deux rencontres que j’ai pu voir là-bas en novembre dernier.

    Pour bien visualiser la pauvreté du jeu affiché (ou la rigueur défensive, c’est selon), il suffit de regarder la différence de buts des leaders du tournoi d’ouverture 2011 :
    1. Boca Juniors : 19 matchs, 25 buts marqués, 6 encaissés
    2. Racing : 19 matchs, 16 buts marqués (!!!), 8 encaissés (dont 3 lors du match que j’ai vu d’eux !).
    CQFD …

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