Le football argentin n’évoluera pas avant longtemps… (4/4)

Dernier volet de cette série sur le football argentin. L’équipe nationale elle aussi suscite la passion et draine ses polémiques. Au sommet du football argentin, le mythique Julio Grondona règne depuis plus de 30 ans. Bref, l’Argentine est aussi prête à oublier sa passion que le football à évoluer…

L’équipe nationale de football argentine tient elle aussi ses légendes. Comme exprimé dans les différents articles de cette série, le sport, le football particulièrement, tient une place prédominante dans la société argentine. Et il ne faudra pas longtemps au touriste de passage pour comprendre que le drapeau, l’emblème de la nation, les couleurs – bleu ciel et blanc – tiennent une place tout aussi importante dans le coeur d’un Argentin. Je ne sais pas combien de drapeaux argentins volent dans le ciel de Buenos Aires, d’Ushuaia ou de Salta, mais c’est quelque chose d’hallucinant. Alors au-delà des problèmes du quotidien et des polémiques que rencontre la société, le drapeau est sacré. Le maillot de l’équipe nationale tient ainsi une valeur sentimentale démesurée dans le coeur de tout un peuple. La douleur est immense les soirs de défaite, la victoire elle unit tout un peuple dans des défilés et les manifestations d’allégresse comblent largement l’Avenue du 9 juillet à Buenos (l’avenue la plus large du monde). 1978 et 1986 sont deux marques de fierté sans commune mesure dans le coeur d’un Argentin. Ces jours-là, le drapeau d’Argentine a flotté sur le toit du monde, et la fierté fut immense.

L’attente du triomphe de Messi

20 ans après, quand l’équipe nationale joue, le pays s’arrête. Sur les chantiers s’installent les télés, dans les bureaux les gens se regroupent, les bars sont bondés. Le pays tourne au ralenti, car un match de l’équipe nationale ne se manque sous aucun prétexte. Des bureaux les plus guindés de Puerto Madero (le quartier le plus exclusif de Buenos Aires) jusqu’aux provinces les plus pauvres. Et si la victoire enflamme l’Obélisque de l’Avenue du 9 juillet à Buenos Aires, les défaites elles terrassent une bonne partie de la société. «En 2006, on n’a rien compris. On a pris une énorme claque. Tout le monde pleurait. Je te jure que pendant un mois, c’est tout le pays qui tirait la gueule. Tu pouvais négocier tout ce que tu voulais, on te le donnait. Les gens se foutaient de tout, comme si la défaite nous avait enlevé toute notion. On était déprimés, démoralisés. Et 2010 c’était un peu différent, parce que la qualification avait été tellement difficile qu’on y croyait peut-être moins. Mais au final on était tout aussi déçus. Je ne sais pas pourquoi on est comme ça. Mais moi j’étais avec 4 copines à regarder le match dans un appartement. On pleurait toutes après la défaite contre l’Allemagne.» Oui, ce sont bien les mots d’une fille d’Argentine, commune, bien loin de l’hystérie d’un vrai fan. Alors dans un contexte émotionnel si fort, dans un environnement si pesant, où la fierté inspire les ambitions les plus folles, difficile d’être Lionel Messi et son bilan anémique avec l’équipe nationale. Considéré il y a deux ans encore comme un Catalan plus que comme un Argentin, ses exploits continus avec le FC Barcelone sont aujourd’hui une fierté assumée. Mais il n’empêche qu’aucun Argentin n’imagine son règne sans une grande victoire en Coupe du Monde. L’attente est immense.

Mais si les Argentins sont des passionnés, ils sont aussi dotés d’une créativité folle qui fait le bonheur des plus grandes marques de produits de consommation. Elles sont nombreuses en effet à avoir des satellites de leurs équipes créatives en Argentine. C’est ainsi qu’à l’aube des grandes compétitions, les matches débutent des mois avant, sur les écrans de télévision, avec l’apparition des publicités plus mythiques les unes que les autres. De Quilmès à Coca-Cola en passant par les chaîne de sport, ça vaut le détour. Un doux cocktail d’humour, de passion, de croyance et de dérision qui offre un regard apprécié sur la culture argentine. Je vous en propose deux. La première, celle de la chaîne TyC Sports, qui est venue toucher au coeur le commun des mortels à l’aube du Mondial 2010. Sur TyC Sports, l’Argentine est plus argentine, le Mondial est plus mondial.
Et enfin, pour bien comprendre la force, la douleur et la fierté que c’est d’être Argentin, Quilmes a mis les bouchées doubles. Parce que la passion s’est créée dans la douleur, dans le sentiment d’injustice d’un monde, de dirigeants et d’arbitres anti-argentins. Et lorsque Quilmès pousse la croyance à son comble, elle en appelle à Dieu. Dieu rien que ça. Dieu croit en l’Argentine, alors croyez en l’Argentine plus qu’en Dieu ! 

Don Julio, le règne du parrain

Mais l’équipe nationale d’Argentine ne saurait exister sans son lot de polémiques également. Alors qu’on vous a expliqué le problème des Barrabravas, ne voilà-t-il pas qu’ils étaient quelque 22 leaders à voyager en Afrique du Sud dans l’avion… des joueurs ! Proximité avait-on dit ? Même qu’au final, ils étaient quelque 500 à être présents sur le sol sud-africain, passant tous les jours à demander des billets auprès de la Fédération et s’attirant l’ire de la FIFA. Y’en a point comme eux diront certains, il y en a point comme lui, dirais-je. Lui ? Julio Grondona, le mythique et phénoménal président de la Fédération argentine. Elu au lendemain de la première victoire en Coupe du Monde de l’Argentine en 1978, cela fait plus de 30 ans Don Julio préside surtout et «dirige» le football argentin. Les problèmes énumérés dans nos articles, sans compter les innombrables scandales de corruption ou l’état calamiteux des finances des clubs (on ne voulait pas trop charger le tableau), témoignent si besoin est de l’inefficacité du travail de Grondona et dessine les contours d’un règne. Il fait partie de ces énigmes caractéristiques d’une certaine Argentine.
Vice-président de la FIFA, en charge notamment de la commission des finances, il a toujours été couvert. Il est même considéré comme un homme «conséquent, responsable et prudent.» Ce qui au passage témoigne des règles en vigueur dans cette noble institution… Toutes les tentatives de putch ont toujours été annihilées. Parce que de Havelange à Blatter, il a toujours pu compter sur des soutiens de poids. Bien au-delà de l’Argentine, Don Julio a des réseaux mondiaux ! 30 ans de règne, en politique on appelle ça une dictature, ni plus ni moins. Et la dictature justement il l’a connue. En 30 ans, il a eu le temps de connaître les politiques de tous bords. En effet, les gouvernement argentins qui se sont succédés vont de la dictature militaire au péronisme, en passant par les radicaux et le kirchnerisme.

Habile comme un félin, Grondona est toujours resté assis sur son siège de président. Une habileté qu’un puma de la pampa ne renierait pas. Mieux, avant le Mondial de 86, tout le monde voulait la peau de Bilardo, l’entraîneur. Grondona tient tête à tout le monde et défend son entraîneur contre vents et marées. Nul doute que le titre, il l’a savouré comme personne. Elu à chaque fois à une large majorité, les élections traînent un arrière goût de magouilles à peine voilé. Julio Grondona tient son surnom : Don Julio, tant il apparaît pour le public et les médias comme un parrain. Il a la mainmise sur tout et conjugue la collégialité avec une certaine rareté, aucune tête ne doit dépasser. Et comme les plus mystiques dirigeants de la mafia italienne, Grondona dirige la fédération sans apparaître ou presque. Après des mois passés en Argentine, j’ai lu et entendu tout le monde : joueurs, entraîneurs, dirigeants, fans, politiques, mais Grondona jamais. Il y a bien eu quelques morts et quelques scandales, il y a aussi eu une Coupe du Monde et une Copa America… Grondona n’est apparu que quand Diego l’a insulté par médias interposés.
A y regarder de plus près, on tombe à nouveau sur un profil mythique qui inspirerait bon nombre de cinéastes. Fils de Génois, il abandonne ses études pour reprendre l’entreprise de son père malade. A 24 ans, il fonde le club de Arsenal avec des amis. Plus tard, il reprendra Independiente, tout en entrant à la AFA aux finances. Un an plus tard, en 1978, il sera élu président. Sa vie sera marquée par l’enlèvement de son fils. C’est Grondona lui-même qui gérera les négociations avec les ravisseurs, la remise de la rançon et les retrouvailles avec son fils. Il n’arrive que l’après-midi à la AFA et traite de ses affaires à l’ancienne. Réunions et téléphones, aucun ordinateur…
Sa règle, ne jamais aller au stade. Son dernier match du championnat argentin dans un stade date de 1980, un Independiente – Tigre où débuta ce jour-là – pour l’anecdote – un certain… Nestor Clausen ! Tellement absorbé par le football, il y consacre sa vie. La légende dit que sa dernière soirée au cinéma date de 1956… Sans excès dans la bouffe, l’alcool ou les femmes, il dégage une intégrité et une autorité saines. Une intégrité cependant salement mise à mal avec les plus de 30 enquêtes de la justice sur des présumées fraudes. Ressorti indemne à chaque fois, il y laisse des plumes et sa crédibilité est sans cesse remise en cause. Mais en synthèse, Don Julio est indéboulonnable. Ni les scandales de la FIFA, ni les scandales de la AFA ne l’ont délogé.

L’Argentine passage obligé

Dans ce tableau du football argentin, il y a les couleurs des stades, la chaleur d’une passion démesurée. Le tout complété par l’ombre d’un niveau de jeu relativement faible, d’une insécurité croissante et des dérives du football business. Mais au vu des instances politiques et institutionnelles en place, nul doute que le football argentin ne devrait pas évoluer avant longtemps. Alors si l’envie t’en prend, n’hésite pas à passer un peu de temps dans un stade. Un voyage hors du temps où les émotions chargeront tes souvenirs pour longtemps ! De la Bombonera au Monumental, les pluies de papelitos, le mouvement des gradins qui se dérobent sous tes pieds ou les chants interminables entonnés par tout le stade sont un détour obligatoire pour tout fan de football. Viva Argentina !

Bonus – un 5 étoiles pour Boca

Alors que Boca Juniors reprend le chemin des terrains depuis un mois, un nouveau jouet va faire son apparition prochainement dans l’environnement déjà vaste du plus grand club d’Argentine : un hôtel 5 étoiles dédié à la gloire et à l’histoire des Bosteros ! Signé par le très réputé architecte Urugayen Carlos Ott, le projet se veut ambitieux. L’ouverture est imminente et la fierté des fans de Boca comme des promoteurs du projet n’a pas de limite : le Boca Juniors Hotel, situé au centre ville de Buenos Aires à deux pas de la Casa Rosada et de la Bombonera, est une «première mondiale». Ni plus ni moins.
C’est en effet, ou apparemment, le premier concept du genre à voir le jour. Un hôtel de luxe géré par la chaîne Design Suites et complètement dédié aux couleurs et à l’histoire du club. Autant le dire tout de suite, les Argentins n’ont que rarement peur du kitch. Pénétrer dans un univers jaune et bleu, pardon or et bleu, qui s’étale (élégamment reconnaissons-le) des couloirs de l’hôtel jusque dans les chambres – coussins et linge compris… – est sur le point de devenir chic dans la capitale argentine. Mais pousser la porte de sa chambre décorée par un portrait de Tevez a son prix.  A 250 dollars au minimum la nuit (jusqu’à 550), la passion n’a pas de limite. 85 suites, 17 étages, 7’500 mètres carrés, un spa, des piscines, l’entrée au stade et la rencontre avec les joueurs, rien n’est assez beau. A 1’500 dollars le billet d’entrée, la soirée d’ouverture s’annonce majestueuse. Ainsi donc les Bosteros de Boca s’offrent un joujou dont les millionnaires de River n’ont sans doute pas fini d’envier l’ambition et l’idée. Loin du charme désuet de Buenos Aires, le concept chic et luxueux saura trouver ses adeptes. La preuve, alors qu’il n’ouvre que dans quelques jours, plus de 100’000 dollars de réservations ont déjà été effectuées, venant d’Argentine bien sûr, d’Europe et du Brésil. Pour le reste, tout est sur sur www.bocajuniorshotel.com.

Écrit par Vince McStein

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