2001, l’Odyssée du LHC

En nonante ans d’existence, le Lausanne Hockey Club a davantage habitué ses partisans à des désillusions cinglantes qu’à des succès glorieux. Par contre, les rares fois où ça veut bien rigoler, c’est l’occasion de vivre des émotions uniques. Cela avait été le cas lors de la saison 2000-2001 avec une promotion en LNA complètement inattendue.

Printemps 2000, le Lausanne Hockey Club subit une élimination mortifiante en quarts de finale de play-off de LNB contre le Genève-Servette de Michel Wicky. L’homme fort du LHC de l’époque, Pierre Hegg, décide alors de faire le ménage: l’entraîneur Benoît Laporte n’est pas reconduit et nombre de cadres prestigieux de l’équipe s’en vont: Bykov, Verret, Marois, Wirz, Hänni, Monnet, Tognini… Le directoire lausannois donne les pleins pouvoirs à Riccardo Führer, celui-là même qui avait causé la perte du LHC au printemps 1996 à la tête du HC La Chaux-de-Fonds. L’ancien druide des Mélèzes décide de reconstruire une équipe essentiellement avec de jeunes joueurs inconnus venus de Suisse-alémanique. Rayon étrangers, Serge Poudrier est rejoint par Dmitri Shamolin, lequel n’était pourtant pas en odeur de sainteté auprès des fans vaudois depuis l’une ou l’autre simulation lors de derbys houleux contre Martigny. Bref, le scepticisme est de mise, certains craignent même que ce LHC new-look n’atteigne pas les play-offs et les matchs de préparation ne rassurent guère. Lors de la présentation officielle de l’équipe en Malley, les jeunes Lausannois s’étaient fait tourner autour par le EHC Biel, favori de cette LNB avec l’artificiel Genève-Servette.

Quatre derbys, quatre victoires !

Mais, dès le début des matchs officiels, l’alchimie prend et le LHC, emmené par une Paradesturm de feu Maxime Lapointe-Philippe Müller-Dmitri Shamolin, vole de victoire en victoire, avec notamment une cinglante revanche 5-1 contre l’ogre bioulois devant un Malley conquis. Il apparaît assez rapidement qu’il ne s’agit pas que d’un feu de paille de début de saison mais que ce LHC rajeuni a de la consistance; lorsque la première ligne donne quelques signes d’essoufflement, c’est la deuxième ligne Benny Plüss–Oliver Kamber–Philipp Orlandi qui prend le relais avec brio. Même le power-play, point faible historique et récurrent du jeu lausannois, était efficace cette saison-là, c’est dire.

Nonobstant une petite saga juridique finalement sans conséquence (affaire Burdet), les Lions font la course en tête presque de bout en bout. Et s’offrent le luxe de remporter les quatre derbys de la saison contre les millionnaires de Genève-Servette, avec notamment un 7-2 à Malley et surtout un mythique envahissement de la glace suite à une victoire aux Vernets après avoir brisé le plexiglas sous les yeux ébahis des ados boutonneux du «kop» grenat qui découvraient le monde du hockey sur glace et des supporters. Je crois même que cette soirée avait coûté un éloignement forcé des patinoires à l’un de mes éminents collègues de CartonRouge.ch, on pourra bientôt fonder une Sektion Stadionverbot à la rédaction. Après 44 matchs de tour préliminaire, Lausanne finit premier du classement avec respectivement 2 et 4 points d’avance sur les favoris biennois et genevois. Comme quoi, contrairement à ce que prétendent certaines théories fumeuses entendues ces dernières saisons à Malley, historiquement le LHC ne monte en LNA qu’après avoir fini la saison régulière en tête.

Miracle contre Viège

Le quart de finale n’est qu’une formalité, pliée en trois matchs à sens unique contre une équipe du HC «servir et non s’en servir» Sierre à la ramasse (déjà…). Les choses sérieuses commencent en demi-finale contre d’autres Valaisans, ceux de Viège, très solides et emmenés par un redoutable duo d’étrangers Richard Laplante–Stefan Ketola. Les Haut-Valaisans remportent les deux premiers matchs et le LHC se retrouve dos au mur, contraint de gagner trois fois de suite contre une équipe qu’il n’est pas parvenu à battre une seule fois en six tentatives depuis le début de la saison. Les Lions parviennent à égaliser dans la série, grâce notamment à un Flavio Streit héroïque dans les buts lors du match IV à la Litternahalle, pour s’offrir un cinquième acte décisif un vendredi soir dans le chaudron de Malley. On sortait d’un cours de répétition à Bure, on arrive un peu à la bourre, on est encore dans la voiture pour entendre le premier but viégeois à la radio; on débarque tout essoufflés dans les gradins combles et surchauffés du virage ouest en enfilant maillot et écharpe par-dessus le treillis, le béret était déjà de la bonne couleur vu qu’on était dans l’artillerie.
Ce match décisif épouse le même scénario que la série: Viège mène 2-0 à la mi-match. Puis Malley s’embrase: une immense clameur descend des tribunes, venues des tripes de plus de 10’000 fans (il y avait bien davantage que les 9928 annoncés) qui n’avaient pas envie que la belle aventure ne s’arrête comme ça, à mon sens la plus grosse ambiance jamais vue à Malley (et peut-être dans une patinoire en Suisse) derrière bien sûr le LHC–GC du 4 avril 1995 qui est absolument hors-catégorie (mais seuls ceux qui l’ont vécu peuvent réellement comprendre). Dans cette ambiance survoltée, le match bascule totalement, le LHC finit par faire sauter le verrou Rainer Karlen et par l’emporter 4-3, avec notamment un but de légende de Philippe Müller à… 3 contre 5, après que le Viégeois Gabriel Taccoz eût percuté son coéquipier Stefan Ketola. Le Suédois avouera après coup que ses jambes flageolaient sous la pression du public. Les supporters valaisans, déçus d’avoir raté une qualification qui leur tendait les bras mais subjugués par l’ambiance de Malley, avaient alors déployé des banderoles disant, en français dans le texte, «Super ambiance à Lausanne, merci, et bonne chance contre Bienne !» ou quelque chose du genre, la grande classe. Cette victoire-là, on l’avait dignement fêtée !

Champion de LNB !

Moins de quarante-huit heures plus tard, c’est donc avec une sévère gueule de bois que l’on entame la finale contre Bienne, lequel avait sorti l’infecte machine à fric du bout du Léman en demi-finale. Cet acte I de la finale reste longtemps indécis, la décision tombera à 32 secondes du terme des prolongations lorsque le gardien bioulois Reto Schürch s’est laissé abuser sur un tir du milieu de la patinoire d’Oliver Tschanz qui voulait simplement mettre le puck au fond pour un ultime changement de ligne. Quelques nouvelles Schürcheries lors de l’acte II (lorsque l’on chantait «merci Reto, merci Reto» dans ce qui n’était pas encore la Gravière, on ne se doutait pas qu’il allait signer à Lausanne quelques semaines plus tard), puis une pénalité de match infligée au poète Sven Schmid lors de l’acte III allaient permettre au LHC de clore cette finale sur un sec 3-0 dans la série. Et, une semaine après le miracle contre Viège, de s’offrir une nouvelle fiesta XXL un vendredi soir à Malley pour célébrer un titre de champion de LNB sur lequel personne n’aurait misé un centime en début de saison. Mais le meilleur était encore à venir…

Ici c’est Lausanne (euh non… Genève) !

La dernière marche vers la Ligue A s’appelait la Chaux-de-Fonds, le cancre de la LNA. Les Montagnards partent avec les faveurs de la cote, leur équipe semble beaucoup plus expérimentée, il s’en était d’ailleurs fallu de peu qu’ils ne sauvent leur peau lors du dernier tour de play-out contre Coire (défaite en sept matchs). En plus, championnats du monde de curling obligent, le Lausanne Hockey Club ne peut disposer de son temple de Malley et doit disputer ses trois premiers matchs «à domicile» de la série aux Vernets. Ici c’est Lausanne: comme en 1994 (les deux premiers matchs de la finale joués à Rapperswil en raison d’une improbable finale de basket Olimpija Ljubljana–Tau Vitoria à Malley) et en 2004 (série contre la relégation face à Biel jouée dans l’étable de Saint-Léonard à cause de la Coupe Davis), le LHC est privé de sa patinoire fétiche à un moment clé de son histoire. On ne sait pas ce que les clubs sportifs lausannois ont fait pour être à ce point méprisés et prétérités par leurs autorités, à ce niveau-là rien n’a changé depuis 2001.
Et puis, même exilé à Genève, ici c’est Lausanne: malgré l’euphorie ambiante, le LHC s’offre une polémique dont il a le secret lorsque Riccardo Fuhrer décide d’utiliser son joker étranger pour engager le gardien de Fribourg-Gottéron Thomas Östlund, écartant ses portiers Flavio Streit et Beat Kindler, pourtant auteurs d’une excellente saison. Les débats s’enflamment parmi les fans vaudois entre ceux qui soutenaient le choix du druide et ceux, comme moi, qui estimaient (et estiment toujours d’ailleurs, malgré l’issue que l’on sait) que le LHC était suffisamment pourvu en gardiens et que l’acquisition d’un buteur étranger eût été, humainement  et sportivement, préférable.

De l’ambiance aux Vernets (si, si….) !

La série démarre mal: malgré les dizaines de cars affrétés et offerts par les dirigeants lausannois, l’ambiance ne décolle pas dans l’affreux hangar à tricycles des Vernets, Östlund est tout sauf impérial et le HCC paraît beaucoup plus costaud. 0-3 après le premier tiers, 3-4 au final, ce soir-là la LNA paraissait bien loin et la montagne chaux-de-fonnière infranchissable, l’ambiance n’était pas au beau fixe au moment de regagner la Suisse avec les cars. Mais le tournant de la série intervient lors du deuxième acte dans la grange des Mélèzes. Sécurisé par un Östlund retrouvé, le LHC l’emporte un peu chanceusement 5-3 après un chassé-croisé haletant et tout redevient possible. Lors des trois matchs suivants, l’équipe «à domicile» l’emporte, avec notamment un Thomas Östlund monstrueux lors des matchs III et V aux Vernets où, pour les deux premières et dernière fois dans l’histoire de cette illustre ruine, les supporters «locaux» parviennent à mettre un minimum d’ambiance.

Le grand dilemme

Le club le plus populaire de Suisse romande mène donc 3-2 dans la série, avec deux balles de match devant lui, la première un mardi aux Mélèzes, la seconde le jeudi à Malley, qui aurait été enfin libéré par les curlers. C’est le grand dilemme pour les fans vaudois. Les réalistes estimaient qu’il ne fallait surtout pas laisser le HCC se relancer dans la série et en finir au plus vite, quitte à fêter l’ascension dans la grange neuchâteloise. Les romantiques, dont j’étais, étaient persuadés que le LHC ne pouvait décemment pas perdre un septième match à Malley (l’histoire nous apprendra le contraire quelques années plus tard…) et qu’il fallait laisser filer le match VI pour terminer en apothéose dans le chaudron deux jours plus tard. C’est donc avec des sentiments partagés que l’on a entrepris l’ascension de la montagne ce jour de grâce du mardi 10 avril 2001.
Après le match V à la Chaux-de-Fonds, remporté 6-2 par les locaux, un officiel du HCC était monté dans notre car et nous avait offert cinquante billets parce que «vous avez perdu mais on n’entendait que vous dans la patinoire, bravo, j’avais presque honte de nos fans, voici des billets pour le prochain match». Comme quoi, les fans du HCC n’ont pas attendu les brillants Generation Chaux-de-Fonds pour faire honte à leur club… Et encore aujourd’hui, cela me fait sourire que le match de la promotion du LHC et de la relégation du HCC m’ait été gracieusement offert par les chaux-de-fonniers, merci à eux.

Le patin d’Östlund

Les Lausannois ont envahi en masse les Mélèzes, le bloc visiteurs accueille trois fois plus de monde que prévu et il nous faut un tiers-temps de bousculade et de lutte acharnée pour commencer à apercevoir un bout de glace. On n’a pas raté grand-chose car le LHC n’y est pas en ce début de match. Philipp Müller écope d’une pénalité de match et, avec l’absence de Benny Plüss, blessé, ce sont les deux lignes de parade du LHC qui sont décapitées. Le HCC en profite pour prendre deux longueurs d’avance par Aebersold et Avanthay et nous on songeait déjà à économiser de la voix pour le septième match à Malley quarante-huit heures plus tard. C’est alors qu’arrive un truc que l’on ne peut voir qu’au LHC: Thomas Östlund brise son patin et, pour le match le plus important de la saison, personne n’a pensé à prendre du matériel de rechange pour le renfort vedette du club. C’est donc Beat Kindler, relégué en tribune comme troisième gardien depuis le début de la finale mais qui a profité de l’absence de Streit pour être sur le banc, qui fait son entrée. Le Marsupilami est impérial et n’encaissera aucun but en 46 minutes de présence devant la cage lausannoise. Galvanisés par le retour impromptu de leur gardien emblématique, les Lions vont alors dominer de la tête et des épaules une formation chaux-de-fonnière dépassée.

A ! A ! A ! A ! A !

On peut résumer les deux derniers tiers par une vieille chanson de Malley des années 1990: «Chaux-de-Fonds tu dors, LHC va trop vite, Chaux-de-Fonds tu dors, LHC est trop fort».  Didier Princi, Dmitri Shamolin et Philipp Orlandi permettent aux Lausannois de virer en tête après les deux premiers vingt. Lors du troisième tiers, Sascha Weibel (si, si, et en infériorité numérique qui plus est) puis Dmitri Shamolin assommeront définitivement le HCC. Quelques minutes avant la fin, on avait compris qu’on n’aurait pas notre septième match à Malley et que c’était tout aussi bien ainsi, avec des gigantesques lettre «A» brandies dans le bloc visiteurs. Le LHC venait d’obtenir la promotion peut-être la moins attendue de l’histoire du hockey suisse et l’on pouvait envahir la glace. Avec un sentiment de revanche sur le destin pour ceux qui, comme moi, avaient vu, cinq ans auparavant, avec consternation, une équipe lausannoise sans âme ni fierté être reléguée sans combattre sur cette même glace des Mélèzes.

La fête

Dans l’euphorie ambiante, j’ai perdu mon chauffeur du jour et j’avais dû me résoudre à l’auto-stop mais n’avais pas trop attendu pour trouver une place dans la procession qui reliera les Mélèzes à Malley en klaxonnant. Les dirigeants lausannois n’ont pas ouvert le temple pour célébrer l’événement, la fête se passera devant la patinoire avec l’arrivée du car des joueurs à la lueur des fumigènes puis des tonnelles derrière lesquels les héros du jour servent les bières. La fête se poursuivra au Jagger’s, désert un mardi soir mais bientôt envahis par la quasi-totalité des joueurs et quelques fans. La quasi-totalité car certains des héros, dont l’entraîneur Fuhrer, ne se sont pas joints aux célébrations, signe que cet exploit majeur a été réussi malgré (ou peut-être grâce à…) des inimités profondes dans le vestiaire. Les T-shirts commémorant la promotion sont vite déchirés, Pierre Cordero est préposé aux mélanges d’alcool en tous genres et je dois vraiment être saoul car j’essaie de convaincre Laurent Schwery qu’il a vraiment le niveau pour jouer en LNA la saison suivante.

Ce qui me gêne un peu, c’est que j’ai aussi vécu le fête des joueurs qui célébraient, avec de nombreux anciens du club revenus pour l’occasions, la relégation du LHC en 2005, au Zapoff après le naufrage contre Bâle, et il n’y avait pas une grande différence avec la noce de la promotion de 2001… Mais de cela, il n’était pas encore question le 10 avril 2001 ou plutôt le 11 puisque la nuit se termine par une revue de presse au buffet de la gare. Les derniers rescapés découvrent la une des journaux célébrant leur exploit de la veille et prennent conscience de ce qu’ils ont réalisé, alors que Serge Poudrier tente, en vain, de me convaincre que, dans mon état, ce n’est pas raisonnable de recommander des chopes. On a quand même fini par aller goûter à un repos bien mérité, en slalomant d’une démarche peu assurée au milieu des gens qui s’en allaient travailler un mercredi matin vers 7h30…

LHC est magique

Cela fait vingt ans que je suis supporter et abonné au LHC. Sur vingt saisons, en étant généreux, on peut considérer que cinq ont été satisfaisantes. Il y a eu une ou deux saisons plates et linéaires mais toutes les autres ont été constituées de hauts et surtout de bas abyssaux. Et pourtant, même si j’y suis beaucoup moins assidu qu’à l’époque, je continue à m’attacher à ce club, malgré les avanies, les vaudevilles, les échecs, les désillusions… Parce que, dans les bons moments, comme l’avait été cette saison 2000-2001, ce club qui oscille toujours entre passion et déraison, qui est revenu tellement souvent de nulle part, procure des émotions à nulles autres pareilles. Bon, si on pouvait ne pas trop attendre pour revivre les prochaines heures de gloires qui justifieront notre foi pour les dix années suivantes, ce serait pas mal.
Photos copyright www.sectionouest.ch

Écrit par Julien Mouquin

Commentaires Facebook

10 Commentaires

  1. Merci pour ces souvenirs. C’est fièrement que je peux dire : j’y étais ! À Dübendorf aussi mais c’est plus vieux et pas dans la même catégorie de jeu

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.