USA’94, here we come !

Il me l’avait promis, il a tenu parole, mais je n’avais aucun doute à ce sujet. J’étais un jeune supporter de l’équipe suisse de football, un de ces petits cons insupportables qui croient tout savoir du haut de leurs douze ans. C’était en 1993, juste après Noël, et mon père n’a pas eu d’autre choix que de céder à mes crises.

J’avais eu de bonnes notes, j’avais travaillé dur tout l’automne en allant faire les  commissions pour à peu près tout le voisinage, et la Suisse s’était qualifiée pour la première Coupe du Monde depuis 1966, une époque où mon père, lui, venait d’avoir douze ans. Peut-être s’est-il revu à cette époque et s’est-il dit qu’il aurait aimé découvrir Londres… Peut-être a-t-il voulu simplement me faire plaisir, toujours est-il que l’on est parti, lui, solide travailleur de quarante ans qui n’avait jamais pris l’avion, et moi, tête à claques de douze ans… qui n’avait  jamais pris l’avion non plus ! Direction ? Vous l’avez compris, Detroit, Michigan.Il faut simplement se rappeler l’atmosphère d’exploit qui entourait cette époque bénie du football helvétique, le parcours fou, le match nul à Cagliari, la victoire face à cette même équipe d’Italie le 1er mai 1993 (qui peut ne pas se rappeler le but de Marc Hottiger face à  Gianluca Pagliuca ?) et la première qualification à une compétition internationale depuis vingt-huit ans grâce à une dernière victoire face à l’Estonie (4-0). Une frénésie sympathique s’était emparée du  pays, à l’époque où le football était médiatisé, mais de manière moins  massive qu’aujourd’hui. Portés par cet enthousiasme, un jeune supporter de douze ans et son père de quarante-trois ont donc pris l’avion pour la première fois.

Le premier choc ? Le Pontiac Silverdome ! Un stade couvert de 80’000  places, qui allait accueillir les deux premières rencontres de la Suisse, face aux Etats-Unis et à la Roumanie. Après le 1-1 inaugural (deux coup-francs, l’un de Georges Bregy, l’autre d’Eric Wynalda), la  Suisse avait donc rendez-vous avec la redoutable Roumanie. Déjà, rien qu’à l’échauffement, les plombs envoyés par Gheorghe Hagi nous faisaient craindre le pire, mais la Suisse entrait bien dans la partie et ouvrait la marque grâce à une frappe formidable d’Alain Sutter. Hagi, du gauche, forcément, égalisait. 1-1 à la mi-temps, un mauvais résultat pour la Suisse, puisque, virtuellement, les USA et la Roumanie auraient pu compter quatre points à l’issue de cette journée, contre deux pour la Suisse.
C’est alors que Stéphane Chapuisat, pas très en réussite à l’époque sous le maillot rouge à croix blanche, inscrivait le 2-1 en vrai renard des surfaces. Après ? L’hystérie dans  les tribunes, avec deux nouveaux buts d’Adrian Knup, dont j’étais très fier de porter le visage sur mon t-shirt (oui, je me l’étais fait moi-même, en demandant à un ami de me faire un t-shirt avec la vignette  Panini de mon buteur préféré. C’est ça, marrez-vous, j’avais douze ans  à l’époque).

Mon père, heureux, et moi avec, deux complices de trente  ans d’écart. Il est hors de question de dire que les joueurs de cette  époque étaient plus ou moins doués que ceux d’aujourd’hui, mais il est tout aussi impossible de prétendre qu’ils n’ont pas marqué leur  époque ! Franchement, Georges Bregy, le vieux briscard avec sa petite  moustache absolument géniale ? Et bon, y avait des Romands à l’époque ! (Au fait, Ottmar, je sais pas ce que t’as contre les Nord-Vaudois, mais Arnaud Bühler et Xavier Margairaz attendent ton  téléphone, hein). Des noms ? Marco Pascolo ! Alain Geiger, sa dégaine et son placement. Marc Hottiger et ses montées sur son flanc gauche…  Christophe Ohrel ! Patrick Sylvestre ! Stéphane Chapuisat, Christophe  Bonvin…Yvan Quentin, Dominique Herr, Sébastien Fournier, Stephan  Lehmann (bien sûr qu’il est romand !), bref, toute la défense  titulaire, gardien compris, le buteur et le milieu relayeur. Les autres ? Des Tessinois ! Nestor Subiat, Marco Grassi. Les  Alémaniques ? Faut bien les chercher ! Allez, on cite Ciriaco Sforza,  Adrian Knup (mon préféré), Alain Sutter, Georges Bregy pour les  titulaires. La Suisse est romande, en cette Coupe du Monde 1994.
Bon, allez j’arrête de creuser le Röstigraben (mais que c’était bon,  quand même !). Des souvenirs, près de vingt ans plus tard ? Ceux d’un  gamin de douze ans qui découvre les USA avec son papa, oui, mais ce qui me frappe le plus aujourd’hui est sans doute l’état d’esprit qui  régnait alors dans le camp des supporters suisses. Heureux d’être là, tout simplement. Ça me fait tout doucement rigoler de voir certains pitres réclamer la fin du monde quand on ne se qualifie pas pour  l’Euro 2012… Comme me l’a confié récemment le grand Pablo Iglesias  (oui, je côtoie des personnalités aujourd’hui, il est loin le petit  garçon, hein ?), il faut simplement se rendre compte que ce qu’a réalisé l’équipe suisse de 1994 à 2010 est formidable. Ils étaient où des pays comme la Belgique, la Suède ou l’Autriche ? Parfois là,  parfois non. La Suisse ? Quasiment toujours là. Il faut simplement dire merci, apprendre à le faire et rêver en repensant à cette époque dorée, celle de l’enthousiasme et de la découverte. A-t-on perdu ces deux valeurs aujourd’hui ? Peut-être un peu, mais il s’agit sans doute  de la rançon du succès et quand je lis les récits enflammés de Julien Mouquin concernant le pèlerinage des supporters helvétiques à la Coupe du Monde, je me dis que le petit con de douze ans est déjà devenu un vieux con de trente ans. Peut-être, mais je dois avouer que je repense  souvent avec nostalgie à cette époque. On dira que c’est normal, que c’est l’enfance disparue, tout ça, ça m’évitera au moins les frais de psychanalyse.

Allez, je vous avoue encore un dernier truc, ça complètera ma thérapie : il y a quelques années, je suis allé assister à un choc de  Ligue des Champions entre l’AS Monaco et le Lokomotiv Moscou… avec ma  maman (oui, marrez-vous). On boit un café dans un bar près de Louis  II, quand j’aperçois Roy Hodgson. Vous savez ce que j’ai fait ? Ouais, je me suis approché de lui, j’ai tendu la main et je l’ai remercié. «Merci, mais pourquoi ?» (je traduis, hein) «Je suis suisse, Sir.» «Oh, je vois». Peut-être qu’il s’en foutait, hein, mais moi, j’ai eu  besoin de le lui dire à ce moment-là. Parce que d’accord, il était payé pour ça, ok, c’était son boulot d’entraîner une équipe de foot, mais je pense qu’il a fait un peu plus que cela. Thank you, Sir.

Écrit par Jean-Paul Maurice

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12 Commentaires

  1. Merci pour cet article qui m’a fait revivre ces quelques jours de 94 avec mon père et ma mère dans mon cas. Comment oublier le tableau d’affiche du Silverdome avec SUI 4 – ROU 1 et « We are the Champions » des Queens ? Et quelle justesse dans vos remerciements à Roy Hogdson. Il nous a fait rêvé jusqu’à son départ de la Nati après la campagne victorieuse pour l’Euro en Angleterre (est-ce que quelqu’un nous fera revivre le match Suisse-Suède 4-2, le match le plus abouti de l’équipe suisse de l’époque?)

  2. Putain les souvenirs!

    Merci, merci, merci pour cet article!!! 🙂

    Petit bémol, Hottiger jouait à droite… A gauche, c’était Yvan Quentin 😉

  3. La cassette « Hop Suisse » est certainement encore chaude d’avoir été vue et rembobinée maintes et maintes fois… « Après le match Georges dira: J’ai vu le gardien mal placé il y avait un trou! » ou encore  » A cause du marine des Ecossais, l’arbitre Quiniou est en blanc! »… Les commentaires de Tillmann ça fait toujours plaisir…

  4. Magnifique.
    Cette qualification pour les USA faisait tellement plaisir à mon grand-père, qu’il a payé à mes parents, ma sœur et moi (13 ans), le voyage jusqu’à San Fransisco. Nous disant que cela n’arriverait plus très souvent.
    Et lui est resté devant la TV car il avait peur de l’avion.
    Merci pépé c’était génial.

  5. J’y étais aussi, et je me souviens d’avoir pleuré de joie le 1er match à l’entrée de l’équipe suisse sur le terrain.
    Je n’étais pas le seul je dois dire, tous mes voisins étaient dans un état second.
    Et la suite :
    Inoubliable!!
    Merci la nati

  6. Ouais c’est beau. Ça fait également du bien de réentendre les commentaires de Pierre Tripod…

    Hop Suisse ! Lol incroyable le Jean-Jacques. 10’000 spectateurs au Wankdorf, sinistrose…ça c’était au match allé contre l’Ecosse. Droit envie de la regarder cette cassette…si elle marche encore!

  7. extraordinaire.
    Le bar du Rouge & Blanc a Sion avait eu l’immense idee de promettre une tournee gratuite a tout le bistrot a chaque but des Suisses contre les Roumains….
    Je vous explique pas l’etat du bistrot a 3h du mat….ainsi que le notre….
    Je me demande si on revivra de tels moments….

  8. Et bien moi je n’ai jamais pardonné la grossière erreur de coaching de ce décidément mauvais entraîneur qu’est toujours Roy Hogdson.

    En effet, pourquoi il n’a pas fait jouer les remplaçants contre la Colombie alors qu’on était déjà qualifié et, qu’en plus, notre meilleur joueur était blessé ? Non en faisant jouer À. Sutter avec le onze de base, non seulement la Suisse s’est fait laver par les colombiens mais elle a surtout perdu sa confiance et sa fraîcheur avec, comme conséquence, le résultat désastreux qu’on connaît contre l’Espagne…

    Bref si RH avait aligné ses remplaçants contre la Colombie, non seulement le résultat n’aurait pas pu être pire mais cela aurait aussi permis à de nombreux joueurs d’avoir une fois l’occasion de jouer un match de coupe du monde, sans parler de la profitable journée de repos pour les titulaires. Non, vraiment sur ce coup là, Roy a fait tout faux !

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