Et le King s’en est allé…

Nous sommes deux Lausannois de 35 ans, anciens joueurs du Stade-Lausanne et fans du Lausanne-Sport depuis l’âge de 5 ans. Comme tant d’autres footeux de la région, nous avons eu la chance de croiser Richard Dürr dans un vestiaire, au bord d’un terrain, dans son bistrot ou même dans son bureau pour une discussion animée. Parce que le King nous a marqués et que sa disparition nous a profondément touchés, nous tenons à lui dédier quelques lignes qui nous rappellent que Richard était un… King !

Richard, nous avons connu une relation quelque peu tourmentée. Tu étais l’un des premiers abonnés de Carton Rouge, à l’époque où CR n’était qu’un vulgaire assemblage de feuilles photocopiées, rassemblant les théories passionnées et rageuses de quelques ados boutonneux. Il y a près de 20 ans nous signions un article au vitriol sur ta gestion des juniors et de la première équipe du Stade-Lausanne. Si nous savions que la charge était salée, franche, elle était pour nous teintée d’une vérité sincère et nous n’aurions jamais pensé qu’elle puisse te toucher. C’était faire fi de ton humanité, de ta sensibilité et de ta générosité. Nous n’avions simplement pas compris l’homme et son amour pour un club et ses joueurs, son amour pour les gens tout simplement. Un épisode qui nous a marqué et qui aura mis du temps à se lisser. C’est sur la terrasse baignée de soleil de ton bistrot que, bien des années après et dans un geste dont toi seul as le secret, tu as définitivement enterré cette vieille histoire. Sortant un classeur fédéral, «mon classeur du Stade-Lausanne», tu nous redonnais la fameuse édition de Carton Rouge: «Je vous redonne le journal, on se sert la main et on oublie tout.» L’affaire était entendue, pour notre soulagement et celui de nos proches qui t’ont tellement fréquenté, tellement apprécié, tellement raconté, et qui se seraient bien passé de ce conflit, de cette blessure ouverte.

Alors Richard, quand vendredi dernier nous avons appris la nouvelle, nous avons pris une claque. De celles qui restent. De celles qui sentent les souvenirs, les émotions d’un temps, d’une jeunesse qui nous a vu trainer nos souliers au bord et sur les terrains du Stade-Lausanne. Une époque où Adilette aux pieds et veste de training Adidas tu étais le maître des lieux. Sur le banc les jours de match, tu étais dos à ton public. Les amoureux du stade, les clients du bar de Rosemont, les habitants sous-gare, les amoureux de Richard qui venaient passer un bon moment et crier comme certains «jouez plus secs !». De vraies légendes, de vrais bons types que tu saluais le match terminé et avec qui tu échangeais à la sortie du vestiaire. Un véritable microcosme de proches, d’amis, de connaissances qui aimaient Richard autant qu’ils aimaient le club. Le Stade-Lausanne, tu le couvais de ton aura, de ta bonne humeur et de tes anecdotes. «Eh petit, moi aussi j’ai raté un pénalty, c’était à la Coupe du Monde au Chili…»
Le Stade-Lausanne d’alors sentait le gazon fraîchement coupé, la sueur, le cuir des ballons, l’humidité de vieux murs fissurés et usés par le temps. Les douches, elles, n’étaient pas tous les soirs chaudes. L’automne, le «terrain dur» usait les crampons quand il n’était pas simplement inondé, presque injouable. Mais le cadre était magique, splendide. Le club respirait la bonne humeur. Celle des très nombreux juniors qui aimaient le foot couvés par des entraîneurs et des parents dévoués. A peine descendu d’une croisière sur ton bateau, installé dans ton Portacabin où triomphaient de nombreux trophées, tu saluais tout le monde du lundi au vendredi. Tu riais avec les parents et tu avais un bon mot pour tous. Il n’était pas rare non plus de te voir le week-end aux alentours du grand terrain, des terrains 1, 2 ou 4 observer les juniors. A la mi-temps, il t’arrivait d’intervenir : «allez les petits, je les ai vus ils sont comme vous, ils ne l’ont pas plus grande entre les jambes.» A la fin du match, il te restait toujours un billet pour la caisse d’équipe ou la caisse de bières.
Ton aura traversait tout le club. Des parents qui avaient vu jouer la légende et qui respectaient l’homme, sa sympathie, jusqu’aux plus jeunes qui se passaient le mot de génération en génération : «il jouait à Lausanne, il a fait deux Coupes du Monde et il paraît qu’on l’appelait le King !» Tous les clubs ont des souvenirs, des histoires, mais il n’y a qu’un club qui avait Richard : le Stade-Lausanne. Et tu n’avais qu’un club. Quand tu avais dû émigrer à Folgore, tu le disais à qui voulait bien l’entendre avec raison: «ce n’est pas le Stade, je sais que je reviendrai à Vidy».

 

Des souvenirs, nous en avons encore de ton bateau ou de ta maison de Préverenges où tu accueillais tes amis comme tes joueurs avec générosité, humour et anecdotes dans la fumée de tes cigares. Des souvenirs dans ton bistrot, «Chez Richard», où tu n’acceptais pas que les gens te vouvoient, y compris les plus jeunes. «Bonjour Monsieur Dürr», «non petit, appelle-moi Richard» rétorquais-tu à ceux que tu impressionnais. Dans ton bistrot régnait une ambiance magique, unique, celle des bars qui ont vécu des soirées d’anthologique où, autour d’un jeu de carte, d’une bouteille de rouge et d’un cendrier, on passait des nuits à se raconter des vies. Des photos de l’époque aux murs, celles du Lausanne-Sports, des Seigneurs de la Nuit ou de l’équipe de Suisse, on pouvait sentir le poids de l’histoire et revivre des souvenirs. Les matches à la Pontaise avec 35’000 personnes, les finales de Coupe suisse dans le vieux Wankdorf, les maillots tricotés… et tant d’autres. Tu y avais toujours un sourire pour tes clients, la plupart des amis, et on ne pouvait pas y repartir sans «la tournée du patron».
Des souvenirs avec toi, la moitié des amoureux du foot du canton en ont. De la Pontaise jusque dans toutes les buvettes des terrains de la région, ils te disaient tous «salut Richard !» Tous te reconnaissent une aura unique. Ils seront là vendredi, l’œil humide pour beaucoup. Comme tes anciens joueurs qui ne manqueront pas de te saluer une dernière fois. Dans ces têtes-là, comme dans celles de tant d’autres, ton souvenir ne s’effacera pas.
Vendredi 29 mai 2014, c’est une page monumentale qui s’est tournée. Celle d’un grand joueur, du plus grand peut-être. Celle d’un homme, d’un entraîneur ouvert, humain et généreux. Celle d’un amoureux du foot, d’un club et d’une ville.
Lausanne a perdu une légende, Lausanne a perdu son King…
Photos copyright www.24heures.ch

A propos Marco Reymond 470 Articles
Un p'tit shot ?

Commentaires Facebook

4 Commentaires

  1. Je t’ai connu en 88 alors que je bossais à la poste en face.

    Tu étais un gars avenant, accueillant, chaleureux et très simple, humble même. Malgré ta stature qui en imposait.

    De chez toi me restent les souvenirs de parties de baby-foot fort disputées. La victoire de notre Pirmin national au détriment de Pitch Müller lors des JO de Calgary. Une rencontre pas piquée des hannetons avec Folgore contre une formation espagnole de Lausanne dont le nom m’a échappé.

    Et surtout, mes premiers émois amoureux avec celle dont je partage mon existence depuis 26 ans à présent.

    Ce fut un honneur et une grande joie de t’avoir côtoyé pendant ces deux années d’exil en Pays de Vaud.

    D’où tu es, prends bien soin de ta famille et continue de veiller sur ton Stade Lausanne.

    À bientôt, ciao.

  2. Cher ami Richard.

    Quand j’étais gamine et que je voyais à la TV les Seigneurs de la nuit illuminer le ciel de Lausanne et le football suisse du haut de la Pontaise, j’ai su que j’aimerais le football pour toujours. Le tien, celui de tes potes. Cette finale de 1967 contre Bâle. Ca c’était des mecs qui en voulaient….

    Et puis dix ans plus tard, je t’ai connu personnellement à la Pontaise. On a refait mille fois le monde du football et le monde tout court autour d’un ballon, plus souvent de blanc!

    On s’est raconté nos vies et on en a bien rigolé aussi. J’étais alors journaliste pour un hebdo de foot romand qui a changé plusieurs fois de noms mais toi tu étais toujours le même, le King.

    En 1981, je me souviens du Wankdorf en délire, quand tu avais oeuvré comme manager du LS et gagné la Coupe.

    Et puis, c’était toujours un plaisir d’aller voir jouer le Stade. On savait qu’on allait y passer un bon moment. Pendant le match, puis à la buvette.

    Et puis on allait boire des verres en haut de l’Avenue d’Ouchy ton bar mythique. Pour gagner du temps, je parquais mon boguet sur le troittoir, après, les années ayant passé, je faisais quinze tours du quartier en voiture pour trouver où parquer… j’ai pris une ou deux cuites mémorables dans ton antre, notamment après un match du LS… avec des amis valaisans !

    Chez toi, Richard, le client était roi et toi le King. Avec ta voix grave, ton accent succulent, tu avais toujours un mot gentil pour chacun, le compliment à fleur de peau et le coup d’oeil complice.

    Lausanne sans toi, ca va faire bizarre. Car il y a en plus comme toi. Le moule est cassé. C’est certain.

    Tu es parti dans un beau paradis blanc, là où la pelouse est toujours impeccable et de là haut, tu vas regarder la prochaine Coupe du monde, avec des vieux potes à toi et vous vous direz en hochant la tête: « De notre temps…  » et oui, de votre temps, c’était vraiment très chouette.

    Si tu croises Geni Meier, dis lui que je l’embrasse très fort et toi aussi, Richard. Repose en paix, mais sache que tu nous manques déjà.

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée.


*


Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.