Edito: la crise et les criseux

Les bars et les restaurants sont en mode ouverture-fermeture au même rythme que la braguette de Rocco Siffredi depuis le mois de novembre. Les commerces dits « non essentiels » (sic !) sont fermés depuis le 17 janvier (les églises sont un business plus essentiel que les musées, les bibliothèques et les librairies, qu’on se le dise en ce pays éclairé). Le Lausanne-Sports Tennis a annoncé sur Instagram qu’il ne rouvrirait pas ses portes avant le 30 février (au moins), tout comme ses collègues centres sportifs helvétiques. Les pistes de ski sont… ah non. Bref, on va pas vers le beau, comme disait la mère de Radek Stepanek pendant l’adolescence de son fils. Mais au-delà des faillites, licenciements et autre chômage partiel qui s’abattent sur les parents pauvres de notre société, nous sommes sur le point d’oublier les véritables victimes de cette crise. Qu’elles se rassurent, Carton-Rouge, ardent défenseur de la veuve et de l’orphelin, est là pour relayer la voix de la fameuse majorité silencieuse©️.

Le drame que l’on s’apprête à vous conter s’est joué au Grand Hyatt Hotel de Melbourne, le modeste 5 étoiles où certains des meilleurs joueurs de tennis de la planète ont été confinés pendant deux semaines à la suite de contrôles positifs au coronavirus dans trois des 17 avions spécialement affrétés par Tennis Australia pour les mener à bon port depuis Doha, Abu Dhabi, Dubaï, Singapour, Los Angeles et deux autres pauvres hameaux. Oui, il aurait été bien dommage de se mêler à la populace, probablement porteuse d’une version désargentée du virus. Ce qui était initialement une quarantaine allégée avec la possibilité de s’entraîner 5 heures par jour en extérieur s’est donc soudain transformé en isolement strict dans l’équivalent d’une misérable masure dans l’attente de participer à l’Open d’Australie (8-21 février 2021). Lisez plutôt: une chambre « entrée de gamme » du glauque motel de campagne dans lequel les joueurs ont dû se résigner à résider ne met que 35 mètres carrés d’espace à leur disposition pour la modique somme de 300 dollars australiens la nuit (environ 205 CHF). L’histoire ne dit pas si les suites diplomatiques de 80 mètres carrés à 2000 dollars australiens la nuit sans compter le petit-déjeuner (environ 1300 CHF) ont aussi été réquisitionnées pour l’occasion. On espère que oui, histoire d’alléger la souffrance innommable du prolétariat des circuits ATP et WTA (et le porte-monnaie de la fédération australienne).

Un vrai scandale on vous dit. Surtout en sachant que les conditions d’entrée actuelles en Australie pour le commun des mortels sont les suivantes: n’y sont autorisés que les citoyens australiens, les résidents, la famille proche et les chanceux ayant séjourné en Nouvelle-Zélande dans les 14 derniers jours. Tous ces braves gens doivent naturellement respecter une quarantaine des plus strictes incluant au moins deux tests et parfois même une contribution financière aux frais induits par ladite quarantaine. Rien à voir avec les conditions atroces dans lesquelles le top 100 de la petite balle jaune a dû vivoter pendant l’interminable équivalent de 30 Isner-Mahut. D’autant que la prime qui leur est promise en cas de défaite au premier tour à Melbourne n’est que le pitoyable équivalent du salaire annuel d’un prof de gymnase vaudois. L’horreur, comme dirait Joseph Conrad. On espère vraiment pour eux que l’accès au minibar était illimité.

Voici les revendications des preneurs d’ot… euh des joueurs.

Fort heureusement, les voix (éraillées par les méfaits de l’air conditionné de leur cellule) de ces héros et héroïnes des temps modernes ont pu trouver une tribune sur les réseaux sociaux pour relayer leur appel à l’aide. Novaxx Djocovid a bien évidemment mené la charge depuis sa bulle privatisée d’Adélaïde. Après avoir tout fait pour accélérer l’accession à une immunité collective lors de son désormais fameux Cluster Tour dans les Balkans au printemps dernier et tenté d’informer la population sur les séquelles psychologiques du confinement en présentant ses propres délires sur Instagram, le Serbe s’était même prêté à une expérience new-yorkaise ayant pour but d’alerter le circuit sur les risques physiques encourus par le corps arbitral. C’est donc sans surprise que le plus altruiste des glutenophobes est monté aux barricades pour exiger un retour à la normale, c’est-à-dire que les règles et autres lois valables pour tout un chacun cessent de s’appliquer à sa corporation. Rien de plus normal en somme. Tellement normal que Sorana Cirstea (même si son utilisation du conditionnel à l’écrit reste hésitante dans le meilleur des cas), Yulia Putintseva (en pleine lutte avec une souris qui s’était introduite dans sa chambre au mépris des mesures sanitaires) et Alizé Cornet (avant de se raviser) l’ont rapidement rejoint dans sa noble lutte. Allez savoir pourquoi, l’opinion publique, la presse australienne et même certains de leurs pairs leur sont immédiatement tombés dessus avec la délicatesse d’Obélix devant une patrouille romaine égarée en plein territoire de chasse au sanglier à l’heure du repas.

Traduction sommaire: « Si j’aurais su, j’aurais pas venu. »

Mais ce n’est pas tout. Figurez-vous qu’on a gardé le pire pour la fin de notre récit digne des films d’horreur les plus glaçants. Non contents d’être limités à un budget à 4 chiffres pour leur séjour carcéral, les confinés de la raquette n’ont eu droit qu’à 100 AUS$ (environ 68 CHF) d’argent de poche par jour pour se nourrir. Arina Rodionova, locale de l’étape et 70ème mondiale de son état, faisait d’ailleurs très justement remarquer sur Twitter que ses confrères et consœurs n’avaient en tout cas pas les moyens de compléter cette somme histoire d’au moins absorber les nutriments nécessaires à la pratique du sport de haut niveau, faute de pouvoir s’entraîner normalement. Mais que font les syndicats ? Benoît Paire lui-même en était réduit à commander du McDo à bas prix, ce qui n’est en tout cas pas son genre. C’est vous dire l’étendue des dégâts. Quant à la pauvre Vanessa Sierra… son calvaire a été tellement insoutenable qu’on n’arrive même pas à trouver les mots pour vous le décrire.

Bernard Tomic a enfin trouvé la perle rare: « Le pire dans cette quarantaine ? Je ne me lave pas les cheveux moi-même, je ne l’ai jamais fait, ce n’est simplement pas quelque chose que je fais. »

Fort heureusement, Craig Tiley et son équipe ont trouvé une solution (et on vous promet que le staff sous-payé du tournoi ne devra pas dépasser les 18 heures de travail quotidien pour y arriver):

Et au niveau des infrastructures, on ne se fait pas trop de souci:

Bref, ça tombe bien. Ceux qui ont décidé de réunir 1270 ressortissants de 100 nations différentes potentiellement accompagnés des upgrades britannique et sud-africaine du COVID dans un pays qui s’est nettement mieux comporté que tous ses invités face au virus et dont les résidents ont dû sacrifier toutes velléités de voyage dans le but de maintenir un nombre de cas journaliers à peu près 150 fois moins élevé qu’en Suisse n’étaient probablement plus à un risque près pour sauver le plus gros paquet de pognon d’Australie du Sud-Est. 99’556 heures de couverture télévisée et 387,7 millions de dollars injectés dans l’économie de l’Etat de Victoria (chiffres 2020), ça vaut bien les deux permanentes quotidiennes de Mme Tomic, non ?

Le mot de la fin ? Difficile de faire mieux que l’un des philosophes les plus respectés du circuit (avec Ernests Gulbis et Jeff Tarango), qui nous rappelle étrangement notre première semaine de camp de ski sans les parents à l’âge de 12 ans:

 

Crédits photographiques :

Photo de tête (Rod Laver Arena) : Pulv/CC0/Wikimedia Commons: https://commons.wikimedia.org/wiki/User:Pulv

A propos Raphaël Iberg 174 Articles
"Chaque matin on prend la plume parce que l'on ne peut plus faire autrement sous peine de malaise, d'inquiétude et de remords." Maurice Leblanc

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8 Commentaires

  1. Et le gouvernement Australien qui refuse l’entrée à un joueur ne représentant aucun risque sanitaire (guérison depuis moins d’un mois, pour autant que ça soit vrai) et qui accepte des joueurs dangereux car leur vaccin date de plusieurs mois. Incompréhensible, je trouve scandaleux qu’ils jouent comme ça avec la santé de leur citoyens.
    Sans parler de Roland Garros qui décide maintenant que seuls les joueurs vaccinés pourront jouer… cet été donc, lorsque toute l’Europe aura abandonné le pass.

    • Le gouvernement australien qui refuse l’entrée à un joueur qui a menti de manière répétée, s’est « planté » (sic) dans son visa et a peut-être même falsifié un résultat de test PCR, effectivement. On peut décider de ne pas être d’accord avec certaines règles, la liberté d’expression est garantie en démocratie. Penser qu’elles ne s’appliquent pas à notre petite personne sous prétexte qu’on est habitué aux privilèges en tous genres, c’est autre chose. Djoko aurait eu toute sa place dans la version 2022 de cet édito.

      • Les motifs invoqués sont « qu’il représente potentiellement un risque sanitaire » et « que sa position contre le vaccin représente un risque pour l’ordre public ».
        Donc le premier motif, puisque les autorités ont admis la véracité de son test positif, tombe à l’eau, puisque comme je l’ai dit en cas de récente guérison il représente moins un risque que les joueurs vaccinés depuis longtemps. Pour le deuxième motif, c’est digne d’une dictature nauséabonde.
        Et quand on entend « il a triché, c’est normal qu’il soit expulsé »… Donc qu’on soit au courant, maintenant si un joueur pro en bonne santé veut disputer un tournoi dans un pays, c’est de la triche. Folie hypocondriaque.

          • Le terme « dictature nauséabonde » que j’ai utilisé ne désigne même pas l’aspect sanitaire, il désigne le fait de refuser l’entrée à un étranger à cause d’une banale opinion différente. Le fait que Djokovic ne veuille pas se faire vacciner contre ce virus, même s’il ne demande à personne de le suivre, suffit peut apparemment constituer un motif suffisant pour le renvoyer… Là on a clairement franchit une limite. Si quelqu’un se voit, par exemple, refuser son entrée en Russie parce qu’il tient des propos trop favorables aux homosexuels, je pense qu’on sera tous d’accord pour dire que ça ressemble à « une dictature nauséabonde ».
            Alors avant de sortir la réponse épidermique simplette habituelle « oh encore un con qui parle de dictature », réfléchis juste deux secondes.
            (Je vois que la justice australienne va commenter plus en détail sa décisions. Peut-être qu’on apprendra d’autres aspects qui justifieront mieux l’exclusion).

  2. Outre le fait que la subtile différence entre encourager la vaccination et être homophobe semble vous échapper (il y avait un doute concernant le statut dictatorial de la Russie ?), il semble que vous êtes également passé à côté du sens de la citation essentielle que vous mentionniez plus haut: « sa position contre le vaccin représente un risque pour l’ordre public ». Djokovic est numéro un mondial de tennis et possède une plateforme et donc une influence d’une magnitude assez exceptionnelle. Il ne demande à personne de le suivre (à vérifier quand même), mais le résultat est le même, il est devenu un poster boy antivax et un état qui validerait ce comportement officiellement enverrait un message catastrophique. La forme est une autre histoire: jamais une exemption n’aurait dû lui être accordée pour lui être retirée ensuite. Elle n’aurait jamais dû être accordée tout court d’ailleurs.

    Finalement, on parle beaucoup de la lettre de cette règle (exemption si on a contracté le covid), mais peu de son esprit (exemption qui existe puisqu’il peut arriver qu’on n’ait juste pas la possibilité de se faire vacciner et donc obtenir des anticorps d’une autre manière doit être envisageable, et non pas pour quelqu’un qui aurait contracté le covid et utilisé cela comme moyen d’esquiver la règle).

    P.S. Je suis curieux: existe-t-il des dictatures non nauséabondes ?

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