Zeman, le dernier prophète

Dans les brumes teintées de corruption qui étouffent le calcio depuis des temps immémoriaux, un homme se dresse, résiste, et combat vaillamment pour faire triompher ses idéaux. Son nom, il le signe à la pointe de l’attaque, d’un double Z, qui veut dire Zdenek Zeman.

Zeman, l'ultime rebelle                                                                                                                     Zeman est un coach atypique, dont le seul et unique credo est l’attaque, sur le terrain comme en dehors. Adepte du 4-3-3, dont la simple évocation du nom en Italie renvoie au grand Zdenek, ses équipes sont portées irrémédiablement vers l’offensive et le beau jeu, condition sine qua non pour atteindre le résultat, selon les dires du coach. Et c’est sûr qu’en Italie, cela sonne un peu bizarre.

Zemanlandia, le parc d’attractions !

Né à Prague en 1947, celui qu’on surnomme le « Bohémien » (il boemo) arrive en Italie en 1968 et commence sa carrière d’entraîneur dans les séries (très inférieures) du championnat italien. Le grand saut, il l’effectue en arrivant à Foggia, un club des Pouilles de Serie B, ambitieux, et en quête d’un renouveau sportif. Une année de rodage, puis la révélation : Foggia survole le championnat 1990-91 de Serie B et gagne son ticket pour l’élite. Les chiffres sont parlants, plus grand nombre de victoires, meilleure attaque, mais aussi… pire défense du championnat ! Tout un paradoxe, mais les Zeman-boys sont désormais partis pour faire parler d’eux et faire trembler les grands d’Italie. Foggia se maintient facilement, sans jamais renier les fondements qui ont fait ses succès : le 4-3-3 à outrance, que l’on joue contre Pise ou la Juve, que l’on soit dominé 3-0 ou que l’on mène 1-0 à cinq minutes de la fin. Des actions véloces, des redoublements de passes, des schémas offensifs à faire vomir les défenseurs adverses, un pressing tout-terrain : ce sont les ingrédients du chef Zeman, qui, fort également de l’effet de surprise, fascine l’Italie, et s’attire les convoitises des grands clubs. Zemanlandia, jeu de mots sur le nom d’un parc d’attractions italien, est née.
Il quitte Foggia en 1994 et rejoint la Lazio de Rome, où il poursuit sa mission et ne change pas un iota de sa tactique, insouciant de la pression qui grève sur un club prestigieux comme les biancazzurri. En 1995 il obtient la deuxième place au classement, derrière une Juve qui jouit sur la fin de saison d’une série de « cadeaux » des hommes en noir qui laissent Zeman songeur. Peu importe, Zeman a démontré qu’il était apte à diriger un grand club, et de grands joueurs : Signori (qu’il a pris dans sa valise en quittant Foggia), Boksic, Nesta, Casiraghi, Di Matteo… Après trois saisons, ZZ quitte le club pour passer sur l’autre rive du Tibre, et rejoint l’AS Roma. Atypique, disait-on. Des performances moyennes, dues surtout à un effectif moyen, mais encore une fois un amour sans concession de la part des supporters pour cet homme qui ne craint personne et qui vaut à lui seul le prix du billet. Durant toutes ces années, ses équipes ont les attaques les plus prolifiques de la Serie A.

Zeman et ses quatre vérités

Photo de Zdenek ZemanC’est durant ses deux saisons chez le club de la Louve que tout va basculer. Toujours à l’attaque, sur le terrain comme en dehors disait-on. Un homme qui ne fait pas dans la langue de bois, et qui va provoquer un tollé, non sans s’attirer des ennuis. Lors d’une interview durant la pause estivale, Zeman lâche la bombe « le football italien doit sortir des pharmacies, il y a trop de joueurs avec une musculature louche ». Il donne des noms, et quels noms : la Juve, Vialli, Del Piero, etc…C’est de là que naît le scandale-dopage en Italie, avec le conséquent procès à la Juventus, dont il sera certifié que le médecin administrait environ 200 médicaments différents aux joueurs, avec un soupçon jamais levé d’usage d’EPO, des témoignages de joueurs plutôt hésitants… Peu importe le verdict final (rien du tout donc…), le pavé a frappé la mare, et désormais Zeman divise. D’un côté ceux qui l’adorent, son être propre, franc, honnête, à l’attaque, de l’autre ceux qui y voient un fauteur de trouble, un gars qui se mêle de ce qui ne le regarde pas. Car Zeman dès ce moment en a pour tous : les arbitres corrompus, les journalistes au service des grands clubs, la fédération soumise aux intérêts économiques… Tout le monde y passe, et ZZ dit simplement ce qu’il pense. Avant tout le monde.
C’est le début pour Zeman d’une longue descente aux enfers. Il quitte la Roma et tente une aventure en Turquie, avec Fenehrbahce. Les résultats sont décevants, alors il revient dans la Botte, mais quelque chose  a changé : celui que tous voulaient dans leurs rangs lui tournent le dos, il n’y a plus d’embauche. Zeman doit repartir depuis la B, et ce sera fiasco sur fiasco : Naples, Salerne, Avellino… Partout où il va, il se heurte à des situations douteuses : obstructionnisme manifeste de certains clubs lors du recrutement et « erreurs » d’arbitrages brûlent les ailes du Bohémien et l’empêchent de terminer à chaque fois la saison ou le confrontent à des résultats médiocres. On ne comprendra que plus tard les raisons de ces échecs et des difficultés pour Zeman à retrouver un club. Même si les plus malins se doutent bien de ce qui se passe…

La vengeance du prophète

photo de Zeman tirant sur une clope
En 2004, la rédemption : Lecce, club de Serie A ayant obtenu un confortable maintien la saison précédente, confie son banc à Zeman. Il y trouvera tout ce dont il raffole : pas de stars mais des jeunes assoiffés de football, dont certains sont promis à un avenir étincelant. Cela grâce à des recruteurs éclairés et un centre de formation parmi les meilleurs en Italie, deux fondements sur lesquels Lecce construit depuis une dizaine d’années sa politique de club. Zeman est de retour donc, et il en veut ! Lecce passe la première partie du championnat dans les hautes sphères du classement, avant que les résultats ne commencent à faire défaut dès les matches retours. La faute à une « mutinerie » interne des joueurs, selon les indiscrétions, mais aussi à des événements plus troublants… Disons simplement que Lecce subira durant la saison 2004-05 13 penalties sifflés contre lui… Mais le maintien est malgré tout atteint, et le spectacle aura été magnifique. On peine donc à comprendre pourquoi son contrat n’est pas reconduit (Zeman ne signe que des contrats d’une année). Lecce l’écarte et engage un illustre et incompétent inconnu, Angelo Gregucci, pour le remplacer. Ce n’est qu’un an plus tard, après l’explosion du scandale « calciopoli » que les gens remarqueront que Gregucci est un entraîneur associé de la GEA, la société d’agents de joueurs dirigées par le fils de Moggi. Et bizarrement, durant cette saison, Lecce a droit à un nombre considérable de penalty-cadeaux… mais n’empêchera pas la médiocrité ambiante de pousser le club en deuxième division. La preuve que céder aux pressions et s’acoquiner avec le pouvoir n’est pas synonyme de succès.
 Le reste, c’est de l’histoire récente. Les conversations interceptées de Moggi font clairement état de la volonté des puissants du football de nuire à Zeman, et pour cela tous les moyens sont bons. On imagine qu’après avoir corrompu tout le monde du foot italien, faire pression sur de petits clubs ou empêcher l’achat de tel ou tel joueur réputé utile à la cause de Zeman ne doit pas être difficile. Mais voilà, le scandale a donc éclaté au grand jour, Moggi n’est plus là, le foot italien est (peut-être) meilleur, et Lecce a engagé à nouveau Zeman. Il repart donc de la Serie B à la tête des salentini, toujours à l’attaque, et savoure sa victoire. Il avait raison sur toute la ligne, dès le début. ZZ ou le dernier prophète du calcio.

Écrit par Maurizio Colella

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